Added, Ruder, Lê Quang - Yes is a pleasant country (Studio de l'Ermitage - 24 Février 2012)
J'ai déjà vu Jeanne Added en quatuor et en duo, la voici en trio, dans la formation qui a donné lieu au très joli disque Yes is a pleasant country (disponible sur Spotify).
Comme d'habitude avec elle, nous ne sommes pas exactement dans une formation usuelle, ni dans la forme, ni dans le fond. Piano, saxophone, voix : pas vraiment de base rythmique, donc. Mais en fait, elle n'est pas nécessaire.
Ce qui caractérise peut-être le plus ce concert, c'est sa fluidité dans les variations : on passe du chaos au silence, du glacé au chaud, de l'émotion à l'ironie, du plaisir d'une mélodie simple à la recherche douloureuse d'une improvisation beaucoup plus expérimentale, en quelques clins d'oeil, et comme les morceaux sont enchainés dans des sortes de suites musicales, cela fait des montagnes russes parfois vertigineuses.
Pour de telles voltiges, il faut des musiciens tous-terrains.
Au piano, Bruno Ruder laisse transparaître son apprentissage du piano classique, et son amour du Jazz sous toutes ses formes : parfois discret comme s'il accompagnait un lied, parfois plaquant des accords aux dissonances subtilement menaçantes, puis se lançant dans des cavalcades be-bop où la main gauche tient la pompe et la droite accumule vitesse et densité, avant de conclure soudain de notes grappillées on ne sait d'où. Très concentré sur son clavier, il ne jette que de brefs coups d'eoil à ses camarades pour se synchroniser ou leur indiquer qu'ils peuvent reprendre.
Vincent Lê Quang n'utilise que le saxophone soprano. Mais il lui donne parfois la douceur d'une clarinette, et parfois s'écorche le son en stridences plus féroces et brûlantes.
Quant à Jeanne Added, elle reste bien sur stupéfiante. Elle est à la fois complètement dans sa musique, et toujours décalée d'un pas, comme une sécurité qui lui permet de se livrer dans une sincérité qui serait effrayante, ou obscène, s'il n'y avait toujours cette présence du jeu, cette conscience de l'effet produit.
Cette fluidité, elle est aussi dans le répertoire, entre standards de Broadway ou de Mingus, improvisations au fil du rasoir, ou compositions de Added ou de Lê Quang. Par rapport au disque, les écarts sont plus grands : les solos individuels sont bien sur plus longs, mais ce sont surtout les interactions qui comptent, et qui vont de moments où la voix soudain marche sur du vide, à une hauteur à peine soulignée par quelques notes des deux autres, à d'autres où ils se marchent sur les pieds, saturant l'écoute en se concurrençant dans l'intensité. Un trio rare, qui se connaît suffisamment pour savoir jusqu'à quel point ils peuvent encore se mettre en danger, et un concert qui est mon concert du mois, pourtant fort rempli.
Le concert était diffusé par France Musique et peut être écouté pendant quelques semaines sur le site du Jazz Club.
1 commentaire:
quelques images et impressions de cette même formation en concert le 30 mars au Triton :
http://is.gd/c2hi02
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