samedi 29 novembre 2008

EIC - Le Temps du Récit 1 (Cité de la Musique - 28 Novembre 2008)

Wolfgang Rihm - Gesungene Zeit

Comme je prenais, non la ligne 12, mais le RER B puis, espoir déçu de fuite, la ligne 4, les multiples perturbations RATP me firent arriver en retard à la Cité, ce qui m'est plutôt rare ; c'est du coup depuis la galerie tout en haut que j'écoute Jeanne-Marie Conquer dévider le fil tendu de la mélodie lente de ce "temps chanté", où l'orchestre ne joue le plus souvent guère plus qu'une étroite étole de notes pour l'accompagner dans son cheminement escarpé. La pièce est écrite pour Anne-Sophie Mutter, et son don particulier dans la partie la plus haute de la tessiture du violon ; sur le disque où elle la joue en complément du "concerto à la mémoire d'un ange" de Berg, elle réussit à rendre les deux pièces romantiques.
l'eic à la cité
Avec Conquer, on est plus dans le domaine du rêve (où le temps ne fonctionne pas normalement, on peut courir sans avancer ou avancer sans bouger), ou de l'extase lumineuse (mais sans mysticisme). Même quand les percussions tonnent ou que les cuivrent rugissent, on est dans un ailleurs immobile, comme a coté du temps, et c'est beau.

Miroslav Srnka - My Life Without Me

C'est inspiré du film, et non du blogue. La soprano Claron McFadden récite, parfois en précipité presque rap, parfois en ralenti bégayant, des passages des dialogues du film, devenus monologues par absence des partenaires. A part quelques moments de bravoure où elle doit chanter très très fort, tout se joue sur des ambitus très restreints. Je n'ai rien compris à l'accompagnement instrumental, qui semble obstinément se refuser à dire quoi que ce soit de direct ou de tranché, et flotte entre notes éparpillées, ébauches de mélodies, embryons de figures rythmiques, le tout plus timidement évanescent que brouillon. Le tout m'a semblé particulièrement sans intérêt aucun.

Luciano Berio - Recital 1 (for Cathy)

On devrait donner du Berio plus souvent. En tous cas, je retrouve avec un très grand plaisir, dans cette oeuvre que je ne connaissais pas, sa pâte sonore malléable et capiteuse, ductile et indépendante. Mais l'essentiel dans cette pièce, c'est la cantatrice ; et se mesurer à la mémoire de Cathy Berberian, faut oser ! Measha Brueggergosman s'y lance, avec brio : elle est de la même trempe, soprano à la voix puissante et souple, à la présence intense et musclée, au tempérament conquérant. Elle doit jongler ici entre des extraits d'oeuvres classiques (citations où je ne connais rien, des madrigaux, de la folie de Lucia parait-il, du Requiem ...), des parties parlées où elle fulmine contre le pianiste absent ou contre son métier de chanteuse (qui l'oblige à exprimer des sentiments qu'elle ne ressent pas pour un public dont elle se fout éperdument), entre humour et poésie ("I want to dream in the dark with my eyes full of sound"), et de la musique de Berio ; le patchwork est habituel chez Berio, il peut être de nature politique - le rapport des individus et des masses dans "Coro" par exemple, ici il est de nature psychologique - entrer dans l'âme de cette femme. L'exploration entre finalement dans des zones assez sombres. Pendant ce temps, des acteurs habillent un mannequin, des musiciens viennent mettre des masques, Hae-Sun Kang se lève le temps d'un solo.
Le public offre un triomphe à la cantatrice émérite, mais aussi à David Robertson et à l'EIC.

lundi 24 novembre 2008

Juliette Binoche Akram Khan - In-I (Théâtre de la Ville - 23 Novembre 2008)

La formule avait l'avantage d'être simple : "Akram Khan est un danseur extraordinaire, mais c'est un piètre chorégraphe". Avec "Zero Degrees" puis ce "In-I", le constat se complique. Il sait au moins collaborer, et la rencontre, le dialogue, le partage semblent mieux lui convenir que la position d'un chef de troupe.
La partenaire, c'est ici Juliette Binoche, qui se lance avec une fougue incroyable dans les pas de l'indien virtuose. Course, saut, roulade, sa vivacité est remarquable. Bien sur, elle est parfois dépassée par Akram Kahn, qui ajoute quelques variations gestuelles pour l'attendre, mais c'était déjà le cas avec de "vrais" danseurs !
Quand ils ne dansent pas, ils parlent (en anglais), une histoire qui passe par toutes les étapes et les variations de l'amour. Parfois, ils miment simplement, comme cette hilarante séquence du lendemain matin, où lui et elle commencent à se confronter sur des problèmes de lunette relevée ou pas, de fenêtre ouverte ou fermée, de position des meubles.
Magnifique décor minimaliste (un mur mouvant signé Anish Kapoor, deux chaises), belle musique (de Philip Sheppard) sans rien d'indien en elle. De manière générale, Akram Kahn continue d'intégrer l'essence de son éducation artistique dans un langage de plus en plus occidentalisé. Il y a plus de tango sur scène que de kathak !
Lorsque les applaudissements concluent l'histoire, je suis tout surpris : déjà ?! Les 75 minutes m'ont semblé durer à peine une demi-heure, soit j'étais captivé, soit je me suis endormi ...

Ailleurs : Trois coups, Palpatine, Joël

dimanche 23 novembre 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Ivan Fedele

Allez, reprenons ces chroniques de disque, après une interruption due, d'une part, à une nécessaire réorganisation des fichiers, d'autre part, au manque d'intérêt que me procure ce disque, suivant sur la liste.

Duo en résonance

J'ai déjà vu ce morceau plusieurs fois en concert, et la disposition scénique permet de mieux le comprendre que sur disque : à chaque extrémité de la scène, un joueur de cor ; l'orchestre au milieu, qui réagit, par une palette diverse de procédés, à ces deux meneurs. Ca vibre, gronde, ponctue, filtre, ralentit, etc. Le livret parle de partition électronique sans électronique, pour décrire cet arsenal de réactions. Pourquoi pas. Mais à aucun moment je ne me sens concerné par ce qui se joue là.

Primo Quartetto "Per accordar"

Un quatuor à cordes, en 5 mouvements, que la pochette liste en une seule plage alors que le CD les divise en trois parties (le décalage créant ici par exemple d'insolites "bonus tracks"). Foisonnement de traits vifs en glissandi perpétuels tissant une trame joliment lumineuse, ornementations virtuoses, l'écriture est riche en effets variés, mais là encore, aucune émotion ne me saisit, et sous la couverture chatoyante je ne vois guère que du vide.
Le morceau est écoutable quelque-part là-dedans.

Richiamo

Cuivres, percussions, et électronique. La spatialisation, pour laquelle le livret évoque une fois de plus (c'est un cliché de musique contemporaine) les oeuvres des Gabrieli pour la basilique Saint-Marc de Venise, n'étant pas accessible par le CD, on obtient une partition au début presque atmosphérique et assez statique (ce qui, vu l'instrumentarium, est une intéressante surprise), mais l'électronique a malheureusement assez mal vieillie, en grands gestes ponctuation qui sonnent aujourd'hui parasites.

Imaginary Skylines

Ce dialogue entre harpe et flûte, qui alternent le rôle de leader, est la plage la plus agréablement tranquille de ce disque ; peut-être aussi parce que la plus modeste et la plus directement mélodique.

Chord

Une oeuvre de jeunesse, où "on trouve clairement définies certaines idées de composition relatives à la matière sonore et aux procédés formels, idées qui seront à la base des travaux majeurs du compositeur au cours de la décennie suivante." Sans doute. Ce qui explique que ce morceau ne me parle pas plus que ces futurs travaux majeurs !

dimanche 16 novembre 2008

Retour sur le diptyque 4.4

Il y a quelques semaines, Akynou choisissait pour son jeu du diptyque une de mes photos, à partir de laquelle les participants devaient rédiger un texte.
Il y a d'abord eu le plaisir d'être choisi, surtout qu'elle accompagnait cette sélection d'un texte de présentation flatteur, mais où je me reconnaissais à peu près (j'ai plutôt du mal avec les gens qui parlent de mes photos).
Lire les textes souvent très différents issus de la même image est toujours passionnant, dans ces diptyques. Cette fois-ci, cela l'était pour moi un peu plus encore !

De fait, le coté "effrayant" dont parlait Akynou est ressorti puissamment dans certains textes. Alors que je me m'amuse quand je prends des photos - je n'essaie jamais de témoigner, ou de dénoncer quoique ce soit. Le seul terme qui me conviendrait pour certaines photos aux contenus un peu durs, ce serait "exorciser" - j'ai par exemple pendant un stage à La Défense photographié toutes les caméras de sécurité sur le chemin entre la station de métro et mon lieu de travail, afin ensuite de pouvoir les regarder comme des éléments de composition graphique, avec lesquelles je pouvais m'amuser à créer des cadrages ou des oppositions, elles en avaient perdu tout caractère anxiogène.

Je prends donc souvent des photos pour m'approprier un lieu, pour en regarder les éléments comme du potentiel en terme de couleur de forme ou de texture, pour en scruter les métamorphoses sous le jeu des lumières ou des heures du jour et de la nuit, du sec et de l'humide. De fait, je photographie toujours un peu les mêmes endroits. Mais apparemment, cet aspect ludique, où je m'amuse d'un éclat particulier de soleil ou d'une ombre, de la peinture abimée d'un mur ou d'un reflet sur une vitrine, ne passe guère dans le résultat final. C'est pas grave, ce qui m'importe, ce ne sont pas les photographies produites, c'est le fait de photographier ; et le fait que photographier me permet d'établir avec le monde qui m'entoure un rapport plus riche, plus intense, plus attentif.

Je prends aussi des photos pour passer le temps, dans ces plages d'attente que nous offre souvent les transports en commun, ou avant un rendez-vous, ou le début d'un spectacle quelconque. C'est ce qui s'est passé pour cette photo, où j'attends le bus avec quelques plus ou moins collègues. Et contrairement à certaines interprétations, cela n'illustre pas la déshumanisation des rapports humains dans les entreprises capitalistes modernes. De fait, aux horaires habituels, ça papote pas mal, à cet arrêt, parce que ce sont toujours les mêmes qui s'y retrouvent. Mais ce jour-là, il me semble suite à une grève du RER B, je suis arrivé bien plus tard que d'habitude. Ce sont du coup des gens qui de fait ne se connaissent pas qui attendaient là, commerciaux en tournée de prospection, ou visiteurs occasionnels venus de province pour une réunion.

Enfin, le texte qui m'a le plus surpris est Point de vue de Marie Alster, qui a su exploiter une caractéristique de mes photos qui passe souvent inaperçue : la plupart d'entre elles sont prises avec l'appareil à hauteur de la hanche, et non des yeux. J'utilise en effet un compact avec écran inclinable, avec lequel je retrouve l'attitude d'un moyen format : appareil à hauteur des hanches ou de la poitrine, et regard penché vers l'écran (il faut s'incliner devant son sujet, disait je ne sais plus quel photographe illustre). Ca me donne plus de stabilité, et plus de discrétion. De fait, cette hauteur de regard, ce serait aussi celle de quelqu'un en fauteuil roulant. Depuis, j'ai du coup constaté la totale impossibilité de voyager en fauteuil dans cette gare (pas d'ascenseurs, des routes sans trottoir, des bus sans aucun dispositif spécifique prévu). Des travaux sont en cours, pour l'accès aux quais. Mais il faudrait renouveler complètement les bus, c'est pas pour demain ...

Jeanne Balibar Boris Charmatz - La Danseuse malade (Théâtre de la Ville - 15 Novembre 2008)

Ca commence comme par un coup de feu en direction du public : Boris Charmatz allume une fusée d'artifice fixée sur son casque, avant d'abandonner ses protections. Puis il revient sur scène en poussant de son postérieur une fourgonnette électrique, aidé de Jeanne Balibar. Les muscles sous la peau éclairée par les phares deviennent étranges serpents, prêts de muer. Puis ils se mettent à arracher une sorte de pellicule collée au sol, pour se glisser sous cette peau, s'engluer dans ce placenta étouffant. Puis déchirer cette étrange matière, comme on s'arrache la peau autour des ongles. Puis elle se met à hurler, il la prend sur ses épaules, on ne comprend rien à ce qu'elle raconte, il s'en va, elle grimpe dans la camionnette.

La part centrale du spectacle commence. Jeanne Balibar, voix éteinte pour simuler un gros rhume, récite un texte de Tatsumi Hijikata, coincée derrière le volant, dans la guérite illuminée de ce véhicule qu'elle fait tourner d'un coté ou de l'autre. Ce texte, écrit (réellement ou facticement ?) pour une conférence, où le créateur de la danse Butô explique l'origine de son art, est l'objet principal de la soirée. Je note rapidement dès mon retour quelques images qui m'en restent :
- la maladie comme ferment de solidarité, et du coup la déraison de la recherche effrénée de bonne santé
- le bonhomme de vent dans son enfance, consumé par le vent et la neige
- la légende du moine qui rêve sa crémation, et la constat que les âmes des morts ne peuvent pas se faire entendre des vivants
- les gâteaux de riz dont le croustillant le révulse, qu'il ramollit à la vapeur pour les consommer mou
- les corps de danseurs qui doivent être informes comme de la gadoue, loin des corps spécialement entrainés
- le garçon qui joue que son bras ne fait pas partie de son corps
- la femme qui à force de manger du charbon de bois est devenue à moitié fumée
- le corps qui décide en se désarticulant de ne pas aller à l'école
- la main qui tentant d'attraper un objet se fait happer par le souvenir d'une autre main et en tremble, ces gestes morts enfouis dans le corps qui en consomme la meilleure part, la plus obscure
- "les gestes morts dans mon corps demandent à mourir encore une fois ; les morts dans mon corps se sentent bien car ils savent qu'ils pourront mourir aussi souvent qu'ils le veulent"
- le désir d'être impotent, d'être né impotent - seulement quand apparait ce désir, peut naitre la danse
- le désir d'être un chien estropié caillassé par des enfants, car c'est alors toujours le chien qui gagne
- "si vous avez bien écouté tout ça, peut-être pourrez-vous mieux comprendre le bûto"

Boris Charmatz a reçu ces mots du danseur chorégraphe comme une révélation ; et de fait, la force en est peu commune, qui explicite les racines du Butô, à la fois personnelles (son enfance, ce qui a forgé son caractère), collectives (sa famille, la météo de sa région d'origine), et universelles (le rapport au corps, aux défunts, à l'héritage mémoriel). Le tout dans une langue poétique et concrète, de cette évidence qui vient de la nécessité (il ne s'exprime pas de manière étrange pour faire joli, mais parce que c'est la seule manière qu'il a - et ça, ça se sent).
Mais comment mettre en scène un tel texte, dans un spectacle qui se veut "de danse" ? Ce fourgon qui tourne et tourne finit par lasser à tourner en rond ; la métaphore est sans doute genre "camion = corps", véhicule de transport, dans lequel peuvent s'entasser d'autres corps ou d'autres mots ; mais ça ne suffit pas. Il varie du coup un peu les effets, avec Balibar rampant sous le camion, ou une fausse intervention du public. Mais ça reste un peu boiteux, trop radical ou pas assez (pourquoi pas simplement Balibar sur une chaise lisant le texte et rien d'autre ?).
A la fin, Charmatz reprend un peu de danse, se fait attaquer par un chien, Balibar en survêt esquisse quelques mouvements puis mime l'introduction feu d'artifice. Et puis voilà.

De Charmatz, je n'avais rien vu depuis "Herses" en 1997, donné à l'IRCAM, sur musique de Lachenmann, où les corps nus des trois protagonistes brouillaient le regard. Je vois qu'il continue à placer le public dans des situations peu habituelles et peu confortables, ici à cheval entre danse et théâtre, à essayer de placer un texte comme principal acteur d'une performance, à se poser et poser des questions sur la nature, l'essence, de ce qu'est la danse, en en éprouvant les limites.
Bien sur, ça plait pas à tout le monde, mais c'est pas fait pour non plus.

Ailleurs : TuDéblogues, Arte (vidéo), Palpatine, Un soir ou un autre, Images de danse, Octuple sentier, Trois coups, Le Tadorne, etc.

jeudi 13 novembre 2008

Ton Koopman - L'offrande musicale (Cité de la Musique - 12 Novembre 2008)

Johann Sebastian Bach - Das Musikalische Opfer BWV 1079

Le Amsterdam Baroque Orchestra est une formation dont Ton Koopman est le pivot indispensable. Lorsqu'il joue, son clavecin pulse une énergie qui sert de moteur à tous. Lorsqu'il se tait, il y a baisse de régime notoire, et le son devient globalement mou. Du coup, on a droit à une très agréable "sonate en trio", d'une douce luminosité, tendre, sans ascétisme. Par contre, le "ricercar a 6" semble vraiment long.

Johann Sebastian Bach - Cantate du café "Schweigt stille, plaudert nicht !" BWV 211

Fichtre la délicieuse cantate que voilà ! Un réjouissant moment de théâtre, où un père tente de contraindre sa fille à cesser de boire tant de café ("Monsieur mon père, ne soyez pas si dur ! Si je n'ai pas trois fois par jour ma petite coupe de café je deviendrai, à mon grand regret, comme un roti de chèvre desséché" - VSQVBTQ vous pensez, à propos de chèvre et de café ...), et ne parvient à une promesse que face au chantage du célibat forcé ("Ah, un mari ! Exactement ce qu'il me faut ! Si cela pouvait se faire bientôt, qu'au moins à la place du café avant d'aller au lit je puisse avoir un vaillant amoureux !"), tout en le grugeant pour avoir les deux en même temps.
Le père, c'est la basse Klaus Mertens, précis et souple, à peine onctueux et bien fruité ; la fille, c'est la soprano Sandrine Piau, charmante et ondoyante, colorée et aux aigus généreux ; il y a aussi Jörg Dürmüller, ténor, en récitant.
Musique vive et bondissante, avec un trio final où la flûte se lance dans des acrobaties, et qui sera bissé.
De loin la cantate profane la plus enthousiasmante que j'ai entendu jusqu'ici.

lundi 10 novembre 2008

Radios : le retour (one more time ...)

Quand enfin ont été résolus mes quelques déboires à propos de stockage des fichiers musicaux servant à mes radio.blogs, voilà que la mise à jour de Flash 10 les empêche de fonctionner. Comme le site "radio.blog.club" est mort, inutile d'espérer une correction de leur coté. Mais cette incompatibilité ne concerne que la version 3 de radio.blog, celle avec les multiples playlists ; l'ancienne version 2 ne semble pas affectée.
Du coup, régressons gaiement : vous pouvez trouver ci-contre une liste de liens vers les programmes habituels, du Jazz ancien, du Jazz moderne, des cantates made in Bach, du contemporain orienté cordes, et du Dark Side annuel ou mélangé.

J'espère que cette fois-ci, ça fonctionnera plus longuement que quelques jours ...
Profitez-en tant que ça dure et bonne écoute !

Bernard-Marie Koltès - Le Retour au désert (Théâtre de la Ville - 9 Novembre 2008)

Du Koltès mis en scène par Catherine Marmas, j'avais déjà vu "Fragments Koltès", montage effectué avec des élèves comédiens, il y a ... quelques années ; l'exercice était intéressant, mais cela restait un exercice. Cette fois encore, il y a de l'expérimental : la pièce est jouée à la fois en français et en portugais, avec une troupe mixte France / Brésil. Pour se faire, presque chaque personnage est dédoublé, et les phrases sont prononcées parfois par l'un, parfois par l'autre, parfois par les deux, simultanément ou successivement : les possibilités sont multiples ; cela parfois éclaire le texte d'une manière intéressante, en mettant bien en avant certains mots répétés par exemple, mais le plus souvent, devoir jongler continuellement entre écouter et lire les sur-titres (projetés clairement sur un écran très haut, ce qui oblige à ne plus pouvoir regarder la scène, ou alors sur le décor directement, où les jeux de lumière les rendent plus difficilement lisible, ce qui oblige à un effort de concentration supplémentaire), distrait du jeu sur scène, et empêche de vraiment entrer dans les propos ou dans les émotions de la pièce.

Pièce assez ambigüe, au demeurant ; écrite pour et créée par Jacqueline Maillan, elle garde l'empreinte de ce "monstre sacré", dans des répliques ou des tirades dont elle devait savoir exploiter à merveille l'humour féroce ou la mauvaise foi vacharde et pleine d'énergie. Mais à coté de ces passages dignes d'un one-(wo)man show, il y a aussi du drame, des morts, de la politique, du conflit nord-sud et de la guerre des classes, des souvenirs de l'Algérie, de la haute-bourgeoisie qui se planque derrière de hauts murs, des personnages sacrifiés, un fils que son père garde prisonnier pour le protéger des singes qui peuplent le monde extérieur (qui rêve de gloire militaire tant qu'il est confiné dans le jardin, puis une fois enrôlé n'aura plus que peur de mourir), une femme cinglée alcoolique et dévote (pourquoi Koltès a-t-il créé un personnage si ridicule ? vengeance anti-bourge, ou y a-t-il des facettes que cette actrice et cette mise en scène n'ont pas su ou voulu exploiter ?), une fin de boulevard au ridicule assumé (la bonne qui interrompt par épisodes le dialogue du frère et de la soeur ennemis qui s'en foutent, pour annoncer en grands hurlements que la fille de la dite soeur accouche, de jumeaux, noirs, ce dernier détails provoquant une fuite panique), des drames passés suggérés (pourquoi exactement la soeur a-t-elle du s'enfuir en Algérie ? quel a été alors le rôle du frère ?), ou transfigurés (la première femme du frère, qu'on pense admirable et morte de façon tragique et taboue, se révèle dans son apparition fantomatique une caricature de morgue aristocrate, dégoutée qu'on ait pu lui proposer du gâteau posé sur une feuille de papier journal).

Grand point positif cependant : le décor. Composé essentiellement de deux éléments de murs à angle droit, ils structurent l'espace en chambres, ruelles, jardins, bars, à peine soulignés de quelques meubles. Minimal, efficace, et beau.
Mais le parti-pris du bilinguisme se révèle plus un artifice encombrant et contraignant, qui nous tient trop souvent à distance des personnages.

Ailleurs : Les trois coups

samedi 8 novembre 2008

Trilok Gurtu - 20 ans de talking tabla (Salle Pleyel - 6 Novembre 2008)

C'était quoi, ce concert ? Du jazz, ou de la World ? Trilok Gurtu pose la question dès le début du concert, expliquant que le terme "World" n'existant pas à ses débuts, on disait alors "Jazz". Mais aujourd'hui ? Avec comme invités Jan Garbarek d'une part, et Oumou Sangaré de l'autre, il joue l'ambigüité ; et précise aussi que le concert aura ses erreurs, puisqu'ils sont, quoique sur scène, humains. Aveu d'une préparation déficiente ?
Bref, au départ, on a donc Trilok Gurtu, dont les tablas sont montés comme éléments de la batterie, elle-même parfois aidée électroniquement ; Roland Cabezas à la guitare et Johann Berby à la basse assurent la conduite harmonique des morceaux, sans trop se mettre en avant ; le rôle lyrique est tenu par le violoniste Carlo Cantini, qui me crispe au départ (un son disons trop joyeux et plein, pas assez subtil) avant de s'imposer comme élément clé de l'ensemble, assumant et assurant pleinement le premier plan ; enfin, Phil Drummy utilise quantité d'instruments, percussions, didgeridoo, flûte, saxophone (pas sa meilleure idée, quand Garbarek est aussi sur scène ...) - j'ai de loin le plus aimé ses interventions sur une sorte de cymbalum, une sonorité qui au moins n'entrait en concurrence avec personne.
Et les invités. Je découvre la chanteuse malienne Oumou Sangaré, voix magnifique. Et voie pour la première fois Garbarek, qui possède une aura sur scène un peu semblable à celle de Marc Ribot, arrivant avec son instrument dans son étui, puis jouant de sa manière inimitable et superbe.
Le problème, c'est la mise en place de l'ensemble. Pour un magnifique duo Garbarek - Sangaré où ils alternent en questions-réponses, et où elle laisse sa voix s'envoler dans des pirouettes élancées, il y a de nombreux passages à vide, où ils semblent se demander quoi jouer, où se placer, comment s'organiser. Ce ne sont pas les invités qui sont en cause, les morceaux sans Sangaré sont un vrai tunnel où Garbarek joue son pire coté pop abstraite et glacée. C'est d'esprit d'équipe que ça manque, de capacité d'écoute et de relance, et c'est l'ambigüité initiale entre Jazz et World qui limite finalement la musique jouée, des deux cotés. On a parfois l'impression de ces gloubi-boulga mélange des cultures, où au lieu de s'enrichir, elles se réduisent à leur plus petit dénominateur commun.
Le bis est le pire moment, où d'une manière totalement anarchique, Gurtu, Berby, ou Sangaré, exhortent le public à participer, en tapant des mains, en répétant des phrases rythmiques, ou en chantant des ritournelles africaines, parfois en même temps ...
Le "dialogue des cultures" était autrement passionnant entre Eric Harland et Zakir Hussain.

Ailleurs : Télérama

Allemagne Année Zéro (Cité de la Musique - 4 Novembre 2008)

Accompagner par de la musique jouée live la projection d'un film, c'est presque banal. Mais habituellement, il s'agit de film muet. Ce que "Allemagne année zéro" de Rossellini n'est assurément pas, ce qui rend ce projet plus étrange.
Les trois musiciens commencent à jouer sous l'écran encore vide, ce qui permet de gouter plus tranquillement leur style. A la batterie, Chris Corsano, jeune échalas au CV déjà bien fourni et fort divers, alterne entre tous types de baguettes avec maestria, et complète sa batterie en déposant sur les futs des coupelles ou autres petites cymbales, pour un jeu mutant. Mutant aussi, le son que John Edwards tire de sa contrebasse, grognements et grincements, prédominances telluriques, voire souterraines. Enfin, Evan Parker, l'ainé et leader, reste dans des domaines presque tendres, une forme de douceur apaisante.
Lorsque le film commence, les choses se compliquent, puisque la bande originale apporte son propre univers, musique symphonique assez moderne pour l'époque (1947), mais que les techniques d'enregistrement de l'époque ont quasiment privé de basse. Le duo Corsano Edwards y remédie, et leur base rythmique concassée et pierreuse propose un contrepoint pertinent aux ruines berlinoises, et au climat moral décomposé. Le saxophone de Parker essaie peut-être plus d'unir les deux matériaux sonores.
Comme le trio se tait pendant les dialogues, il y a quand même une sensation de gachis par rapport à l'utilisation de pareils talents musicaux dans de telles circonstances, où on ne les entend finalement guère, et où leur présence, qui n'est que de complément, par rapport à un film aussi fort, ne s'imposait finalement pas.
Etrange projet, donc. Je suis content d'avoir vu "Allemagne année zéro", que je ne connaissais pas, mais pour la musique, j'espère pouvoir écouter un jour Evan Parker dans un cadre moins limitant.