dimanche 26 septembre 2004

Martin Crimp - Cruel and Tender (Bouffes du Nord - 25 Septembre 2004)

Cette pièce de théâtre s'inspire des Trachiniennes de Sophocle, qui raconte comment Déjanire donne à son mari Hercule une chemise trempée dans le sang du centaure Nessos, chemise censée garantir l'amour de ce mari, amour qu'elle craint menacé par l'arrivée d'une jeune esclave. Mais Nessos, qu'Hercule avait tué parce qu'il avait tenté de violer Déjanire, avait menti, et la chemise empoisonnée causera la mort dans d'atroces souffrances de Hercule. Déjanire du coup se scuicide.
Martin Crimp, assisté par Luc Bondy qui assure aussi la mise en scène, a fortement réactualisé cette légende, la plaçant dans le contexte d'une interminable guerre contre le terrorisme. Déjanire devient Amélia, femme d'un militaire fameux, devenu Général, mais accusé d'être devenu incontrolable, peut-être coupable de crimes de guerre. Il envoie chez sa femme une très belle africaine, Laela, et son petit frère, des rescapés d'un village terroriste, rasé par le Général. Mais la vérité est que, très amoureux de cette jeune femme, il a rasé le village pour la récupérer. Amélia envahie par la haine envoie à son mari un cadeau littéralement empoisonné, puis réalisant son geste, se scuicide. Le Général revient, vivant mais très infirme, et rejeté par Laela, veut jeter son fils dans ses bras, perd la tête et s'accroche à sa folie. La fin est complètement non-conclusive.

Tout se passe dans une chambre d'hotel, exercice de "réalisme minimaliste" brillament réussi (décors de Richard Peduzzi). Sur les murs sont projetés les surtitres (le spectacle est en anglais), excellement lisibles. Dans cet espace réduit, les acteurs n'ont pas d'échappatoire. Amelia, jouée par Kerry Fox, ne quitte la scène que par la mort. Role très exigeant, dont elle se tire très bien, même si l'hystérie finale est un peu too much. Elle est alors remplacée par le Général, incarné par Joe Dixon, qui rend formidablement palpable cette folie dangeureuse et lucide, mélange de haine de soi, de paranoïa, et de folie des grandeurs ("J'ai tué le lion de Némée, je suis descendu aux Enfers..." / "Oh non, pas encore ça !"). Les autres personnages (une masseuse asiatique, une esthéticienne pimbèche, un journaliste contestataire, un politicard amant ...) forment une sorte de choeur, qui plaignent, méprisent, prennent en pitié ou en horreur le couple.

La tension s'installe peu à peu, remplaçant l'humour vachard du début par un sentiment qui touche à l'horreur. Crimp se coltine un sujet fort (quoique pas vraiment original : que faire des guerriers qui par nécessité du champ de bataille sont devenus fous ? "Apocalypse Now" se pose déjà la question), de grands thèmes (la jalousie, la folie, ...), de vrais personnages, des situations réussies. Tout n'est pas parfaitement maitrisé, et les surtitres détachent un peu trop (la distanciation est néfaste pour les spectacles shakespariens), mais c'est globalement un grand moment de théâtre.

vendredi 24 septembre 2004

Sonates de Beethoven (Cité de la Musique - 22 Septembre 2004)

Sonate N°28 opus 101

Cette musique se promène, comme un ruisseau parfois presque figé, parfois galopant, dans des paysages contrastés, de mouvements lents en mouvements rapides, avec une vivacité lumineuse et évidente, une simplicité conquérante, émaillée tout du long de surprises et d'inventions.

Magnifique.

Sonate N°31 opus 110

Ici, le discours se complique. De passages mozartiens, en fugues plaintives, j'ai plus l'impression de naviguer dans du brouillard. Manque de concentration de ma part, sans doute. En tous cas, il ne me reste peu de souvenirs !

Sonate N°29 "Hammerklavier" opus 106

Ah, le gros morceau ! Les deux premiers mouvements, pourtant impeccables, semblent devoir s'effacer devant l'adagio. Une demi-heure de musique qui tutoie le sublime, qui escalade un Everest en s'adossant au vide, qui peint une fresque vertigineuse avec à peine quelques traits de fusain. La matière est pauvre, les notes se font parfois rares, l'oxygène manque, on est à des hauteurs qui ne sont peut-être pas tout à fait adéquates à la vie humaine. Mais quelle expérience ! Quelle vision !

A cette escalade à main nue dans le presque silence, s'enchaine une mirobolante cavalcade, où la stamina du pianiste est rudement mise à l'épreuve !

Il semble difficile d'être médiocre dans la "Hammerklavier" : une interprétation faible est aussitôt une catastrophe. Heureusement, Jean-Efflam Bavouzet est très bien. Il jette sur ces pages une lumière méticuleusement travaillée, où chaque note se détache précisément, dans une gradation d'intensité marquée. Il joue le spectacle juste ce qu'il faut, théâtralisant son abandon de veste avant la 106, s'épongeant longuement avant de plonger dans l'adagio.

Et il possède suffisament de jus pour conclure sur un bis inattendu : le Klavierstück IX de Stockhausen, qui commence par un accord répété 142 fois, et se termine par un très joli gazouillis d'aigus (mais qui, tout en me faisant penser à du Nono, du Ligeti ou du Messiaen, ne me touche quasiment pas, ne me parle pas, cas fréquent pour ce qui concerne Stockhausen).


samedi 18 septembre 2004

Bartabas - Entr'aperçu (Théâtre du Châtelet - 17 Septembre 2004)

Bartabas déployant ses chevaux sur des planches de théâtre, pourquoi pas, mais pour quoi faire ?
D'emblée, Bartabas utilise la profondeur surprenante de la scène, met en place des dispositifs complexes (des voiles tendus où sont projetées des images de montagnes pour évoquer une traversée au milieu des brumes), joue avec les éclairages savants.
Malheureusement, tout cela ne crée pas de sens. Les images se succèdent, certaines très belles (un cavalier et son ombre, qui se détache comme un double, puis comme un partenaire ; un croisement entre un nazgul et un papillon de nuit, agitant lentement ses ailes avant de les renfermer comme un cocon), mais presque toutes sont trop longues, peinent à se renouveler et à instaurer une émotion valable. Le voyage au sein d'un tableau (une sorte de coucher de soleil assez kitch !), par exemple, est particulièrement éprouvant.
Pour tenter de relier ces scènes, Bartabas utilise des textes de Victor Segalen (dommage qu'ils soient si pompeux, et récités avec si peu de talent !), des éléments de scénario (un vieillard sur fauteuil roulant entourés d'infirmiers et infirmières lubriques, humm). Fatal.
Pou enrichir encore le propos, Bartabas invoque d'autres arts, d'autres matières, comme de la calligraphie d'idéogrammes, jolis certes, mais qui, en pièces rapportées, juxtaposées, n'expriment rien.
Que reste-t-il ? Des moments, des instants de beauté, dûs la plupart à la force brute des chevaux. Un simple cheval blanc qui se roule dans la poussière. Un groupe de chevaux qui tournoient au galop autour d'un vieux agitant des grelots hystériques. De splendides jeux d'ombres. De courts moments de magie et de vie. Quand la durée s'installe, l'ennui s'impose.
Reste enfin, heureusement, la musique. Le toujours phénoménal Jean-Pierre Drouet, ici accompagné d'un acolyte, Gaston Sylvestre, se promène autour de machines belles et mystérieuses créées par Claudine Brahem, et en extrait une musique d'eau, de vent, et de grondements sismiques, une nappe sonore fluctuante et puissamment élémentale.
Le public, plein d'enfants qui s'agitent avant de s'endormir, et d'escogriffes qui se plaignent de l'exigüité des places, doit provenir de Zingaro plus que du Châtelet. Il n'a même pas le temps de donner son verdict dans les applaudissements : le rideau tombe et la lumière revient presque tout de suite.

jeudi 9 septembre 2004

Pandémonium et Dave Douglas Quintet (Cité de la Musique - 7 Septembre 2004)

Pandémonium - François Jeanneau


François Jeanneau, saxophoniste et chef de groupe, dirige sa douzaine de musiciens, grace à un langage des signes ostentatoire, amusant, et assez fascinant, et promène sa musique, jouée quasiment sans interruptions, en des paysages fort variés, depuis des marches big-bands matinées d'harmonies est-européennes (à la Téxier ?), des passages bops classiques et virtuoses (un quartet ornant un très impressionnant solo de saxophone), des assemblages sonores originaux (un accordéon, une vocaliste, un tuba, permettent des configurations peu fréquentées, à la Threadgill ?), ou des séquences plus expérimentales, avec des articulations savamment déstructurées (à la Braxton, cette fois ?).

Bref, l'histoire du Jazz est parcourue en tous sens, heureusement dans un tempo plus calme que chez Zorn par exemple, ce qui permet de profiter des étapes.

Dans cet assemblages hétéroclite de styles et d'influences, d'idées et de surprises, il est difficile de tout aimer, et chacun selon ses gouts préférera tel ou tel ingrédient. Mais la musique est là, indubitablement, et l'esprit du Jazz aussi.


Dave Douglas Quintet


Le concert est trop court, sans doute, pour que le groupe se mette vraiment à bruler. Il se contente de briller, et reste lisse, trop parfait, trop professionnel.

Pourtant, difficile de trouver un défaut. Les musiciens sont tous de premier ordre. Dave Douglas semble ne connaitre aucune limite pour sa trompette, qui fuse en tous sens, et dans un "Seventeen" d'anthologie, clôt le concert par une exploration bruitiste explosive et passionnante. Marcus Strickland, le frère de EJ vu avec Ravi Coltrane, adopte une pose imperturbable, saxophone tenu droit, dodelinant à peine de la tête dans les moments les plus fiévreux. Uri Caine ne joue malheureusement que du Fender Rhodes, et malgré son immense virtuosité, ne parvient pas à donner de la chair à ce son si décoratif, presque vain. James Genus à la contrebasse et Clarence Penn font un énorme travail, mais restent dans le background, ne se mettent jamais en avant, mais c'est peut-être aussi un problème de balance (ils se plaignent plusieurs fois, mais je ne sais pas trop de quoi exactement).

Le concert est basé quasiment exclusivement sur des morceaux de "Strange Liberation", avec un morceau plus vieux au milieu, et se complète d'un "Unison" (de Björk) en rappel. Les solos sont excellents, mais la structure des morceaux un peu trop sage (introduction, exposition du thème en duo trompette/saxophone, solos, et répétition conclusive du thème ; efficace, mais trop répété), et malheureusement donc, le courant passe mal, la glace ne fond pas, l'armure ne se fend pas. Dommage.