jeudi 30 novembre 2006

Diptyque 3.2 : Cinéphilique



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"Passé le pont, les arbres vinrent à notre rencontre …"

Malheureusement, dans ma version DVD de Nosferatu, le célèbre carton n'existe pas.
A la place : "Kaum hatte Hutter die Brücke überschritten, da ergriffen ihn die unheimlichen Gesichte, von denen er mir oft erzählt hat."
Traduction : "Dès qu'Hutter eut franchi le pont, ses craintes, qu'il m'avait confiées, ne tardèrent pas à se matérialiser."
Tristement moins fascinant ...

Participation au diptyque 3.2 d'Akynou.

Gustav Mahler - Symphonie 3 (Salle Pleyel - 28 Novembre 2006)

Je continue de découvrir les symphonies de Mahler en concert (exploration récente, toute bloguée : terre, 7, 5, terre, 5).
Première troisième, donc, où Jean-Claude Casadesus dirige l'Orchestre National de Lille, le London Symphony Chorus et le Maîtrise Boréale, et la soprano Dagmar Peckova. Dans le premier mouvement, suite d'épisodes hétéroclites, ouvertures d'opéra, marches militaires, hymnes à la nature, Casadesus se promène tranquillement, dans une allure débonnaire, voire languissante, malgré les tonitruances des cuivres ; la percussion offre de curieux intermèdes sourdement vrombissants.
Mais le plaisir de découvrir l'oeuvre prime sur les défauts de lecture. Le deuxième mouvement est une splendeur de poésie champêtre, où les bois et les cordes rivalisent de finesse, un moment de bonheur. De même pour le troisième mouvement, et la découverte de l'effet sonore du cor de postillon jouant derrière la scène, flottant au-dessus des cordes qui lui répondent.
Dagmar Peckova entre alors ; voix chaude, belle prestance, mais le mouvement ressemble un peu trop à un "Urlicht" en moins bien. Le choeur qui se lève pour le cinquième mouvement me convainct plus, voix angéliques et carillonnantes d'une joyeuse fraicheur.
Le dernier mouvement retombe dans les travers du premier : un manque de souffle et de vision, qui peine à traverser ces presque demi-heures non-stop.

dimanche 26 novembre 2006

Diptyque 3.1 : Refaire le monde


paris carnet 33
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Akynou a choisi un texte de Monsieur LeChieur pour qu'on l'illustre par une photo. Difficile de répondre par le même type de nostalgie à son billet, je suis trop loin du chez moi de mes années lycée. Et puis, refaire le monde au fond d'un bar n'était pas du tout mon genre. Mais peut-être aurons-nous le même pincement au coeur dans 10 ans, en retournant dans l'arrière-salle du Cantina ? De cette photo prise il n'y a que huit mois, combien de visages ont déjà disparu ? Départ à l'étranger, arrêt de l'envie ou du besoin d'écrire, vie bouleversée, pour combien de blogues disparus connaissons-nous l'histoire que cela cache ? Quelles nouvelles de ParisianSmile ? de Laure du WineBlog ? de Mitternacht et Esther ? de Thilde ? Et cela en moins de deux ans, des lectures régulières, des énervements et des éclats de rire, des souffrances partagées et des célébrations, et soudain le silence au bout de la ligne.

samedi 25 novembre 2006

Sauterelles - Biljana Srbljanovic (Théâtre des Abbesses - 24 Novembre 2006)

Dans une Serbie après-guerre, une dizaine de personnages, liés par la famille, la profession ou le voisinage, se cotoient au cours de 18 situations successives, coupées souvent brutalement. Le décor est astucieux, composé de murs coulissants et d'éléments de mobilier montés également sur rails, permettant de glisser d'une discothèque à une salle d'attente, d'une cuisine à une aire d'autoroute, des lieux assez rudimentaires, où tables et chaises prennent une importance primordiale, permetttant aux personnages de s'asseoir et de se confronter.
Trois générations sont présentes : les vraiment vieux, de plus de 70 ans, les quasiment vieux, de 50 ans, et les trentenaires, qui se sentent déjà vieux. Le thème de l'age revient constamment, utilisé comme arme, ou vécu comme un outrage, comme un blocage, incapables qu'ils sont d'assumer leur passé récent collectif, et de s'investir dans un quelconque futur enthousiasmant. Arrivistes, profondément égoïstes mais souffrant de la solitude, banalement abjects, et rempli de haine envers eux-même ou leurs proches, ils passent le temps à s'affronter sur des problèmes mesquins de carrière ou d'héritage que bloque le vieux. Une assemblée de personnalités flétries, racies, mais qui mordent.
Le tout baigne dans un humour acerbe, genre farce (la mise en scène de Dominique Pitoiset lorgne du coté italien "Nouveaux Monstres"), où les acteurs jouent souvent à la limite de l'outrance (pièce "de troupe", où brillent quand même particulièrement Nadia Fabrizio en Nadezda, Nicolas Rossier en Milan, tremblant devant sa femme et devant son père, Claude Evrard, le dit père, maniaque du loto et tout dans le mépris). La façon dont sont disséqués les méchants rapports de pouvoir entre pères et fils, femme et mari, ex-collègues de cellules politiques, est réjouissante, même si la situation d'impuissance générale, camouflée en frénésie dépressionnaire, est désespérante.
Seule touche plus positive : le personnage de Nadezda, qui vient d'une pièce précédente de Srbljanovic, qui entend la voix de sa grand-mère morte, devine les pensées des gens, balance les pieds dans les plats, et leurs quatre vérités ("Quand vous marchez comme ça tout seul, toujours au bord de la dépression, il faut faire attention, il faut faire terriblement attention à ne pas glisser et à ne pas tomber pour toujours dans l’humiliation") à ces monstres sinistrement ordinaires qui préfèrent rester sourds ou qui paniquent.
Il y a aussi une gamine de 10 ans, qui danse comme une "little miss sunshine", qui apprend à manipuler ses parents, qui voit son grand-père mourir sans s'émouvoir, et qui semble annoncer des années pas moins terriblement féroces.

jeudi 23 novembre 2006

New York EIC (Cité de la Musique - 21 Novembre 2006)

Tristan Murail - Légendes urbaines

De son séjour dans la Grande Pomme, le compositeur spectral ramène des images, disposées comme les Tableaux d'une exposition. Des passages dans le métro, remplis de cuivres aigus et de tierces grinçantes, séparent une promenade crépusculaire dans Central Park (mais je n'ai pas reconnu Charles Ives), une description du pont George Washington (bel hommage à varèse), ou des courses dans des coins fort venteux (Skidoo 23 ?). Un chapitre final tentera d'établir des liaisons entre ces divers épisodes. Le tout est agréable, mais assez superficiel. De la belle musique, mais sans grande ambition. Un peu dommage.

Elliott Carter - Concerto pour clarinette

La structure est beaucoup plus nette sur scène que sur disque. L'EIC, qui commanda cette pièce, est divisé en groupes de musiciens ; devant chacun d'eux, quelques pages de partitions sur un pupitre ; le clarinetiste passera donc d'un groupe à l'autre, qui aura alors la vedette. Quelques cuivres dans les gradins assurent une spatialisation, discrète ce qu'il faut, pour donner du souffle et de la vigueur. Le principe rappelle bien sur les "Domaines" de Boulez, mais le résultat est beaucoup plus attrayant. Les passages lents sont pleins d'intensité et de beautés, les rapides tombent parfois dans une virtuosité moins intéressante. Alain Damiens joue haut la main cette partition, où les rares interruptions ne tiennent qu'au passage d'un groupe au suivant, et où ne figure aucun effet (pas de doubles notes, pas d'effets de souffles, que des notes absolument normales ! - gajeure paradoxalement avant-gardiste !).

Steve Reich - City Life

Il me semble avoir assisté à la création française de cette pièce, qui m'avait quelque peu étonné par le volume de la sono, et qui avait marqué mes premiers doutes sur la profondeur musicale des oeuvres du monsieur.
Les décalages de bribes de voix, lors de la partie 3, "Honeymoon", sont insupportablement irritants ; et l'évocation des pompiers dans la fumée de la partie 3, "Heavy Smoke", sont noyés dans un hululement grisatre d'où rien ne ressort. Je continue de bien aimer l'évocation des bateaux et des ports de la partie 4. Mais dès que Jonathan Nott lève la baguette, que le quatuor à cordes se lance, et que le son surgit, non des instruments, mais des haut-parleurs quelques mètres au-dessus d'eux, le malaise s'installe. Ce n'est pas encore Carmina Burana au Stade de France, mais c'est un premier pas qui suffit à ne plus pouvoir profiter de la musique correctement. Que la musique soit somme toute sommaire et répétitive n'aide pas.

Diptyque 3.1 : Transhumance


(photo par Rh.P)

Sous un ciel pas beau,
Il traînait frigo, trétaux,
A dos d'escargot

Emmenant femme et marmots
Vers quelque nouveau trou d'eau

(Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? )


Ceci est ma participation au diptyque 3.1 d'Akynou.

dimanche 19 novembre 2006

SWR par Cambreling (Salle Pleyel - 18 Novembre 2006)

En entame, Philippe Albéra, musicologue de son état, tient dans le foyer une petite conférence présentation des oeuvres du concert, où passent le rapport à la tradition, la fin d'un langage musical commun, la constitution des orchestres modernes et contemporains, l'exploration du son pour lui-même ou comme point de départ de l'élaboration d'une oeuvre, l'expression pas toujours évidente à détecter au sein des contraintes formelles, et sur ce les sirènes retentissent qu'il est temps de prendre place. Comme pour Dusapin, le non-remplissage de la salle, malgré la fermeture de certains espaces comme l'arrière-scène, permet dans une certaine mesure de choisir sa place. Je me retrouverai du coup au même rang que Pascal et Artefact (Zvezdo préférant prendre de la hauteur ?).

Olivier Messiaen - Chronochromie

Voilà une première oeuvre qui sonne bien différement en concert que sur disque ! La complexité théorique des combinatoires s'efface devant la beauté sonore des claviers et percussions vibrantes, et la monumentalité de séquences d'accord jouées à plein orchestre, et qui doivent donner les fameuses couleurs (Messiaen donnait des couleurs fort précises et merveilleusement poétiques à certains accords et certaines gammes, comme cet exemple cité par le livret : "chrysoprase, vert bleuté mat - sardonyx noir, blanc et brun rougeâtre - avec du jaune pâle"). Comme souvent chez Messiaen, les pages sont jouées presque de manière indépendantes, séparées par des silences, sans que la structure qui les lierait en un tout ne soit clairement visible ni indispensable à notre plaisir.
Les cordes, quelque peu dissipées, démarrant parfois avec un peu d'avance, se reprennent heureusement pour l'épode, qui commence dans un déploiement rapidement progressif extraordinaire, comme un feu qui part d'un violon seul et se communique rapidement à toutes les cordes, par contagion.

Brian Ferneyhough - Plötzlichkeit

La structure en pages successives liées par des principes théoriques obscures de la Chronochromie permettait de bien se préparer à ce gros morceau. Comment ce compositeur surtout connu pour des musiques solistes, destinées à des techniciens surdoués, ou à de petits ensembles, allait-il traiter un grand orchestre ? Il renonce à des jeux trop experts, chaque pupitre reçoit une partition à peu prés "normale" (pour de la musique contemporaine d'avant-garde, quand même ; mais on n'est pas chez Lachenmann, et la majeure partie des sons émis sont des notes tout à fait habituelles !). Mais il place quand même dans l'orchestre quelques instruments au diapason différent (dixit Albera, car le livret n'en mentionne rien - edit: ah si, dans le texte si limpide du compositeur, il parle d'une harpe désaccordée d'un quart de ton), et trois femmes, qui sont utilisées comme des instruments vocaux, émettant des sons et non des paroles (et c'est très beau comme ça !). L'impression générale est une suite de courts moments musicaux, interrompus par des revirements soudains, des ruptures parfois brutales et des retours d'éléments déjà entendus, au sein d'un système de contraintes, comme clos, qu'on explore en passant d'un bloc à un autre par de grands sauts. Tout en préservant une sensation de flux, parfois chaotique, toujours prenant. Il y a des moments beaux dès la première écoute (fanfare de cuivres, dialogues cordes et percus ...), et d'autres qui me donnent envie de ré-écouter. De manière générale, Ferneyhough bien souvent me fascine, et cette musique, bien plus assimilable que par exemple les "Carceri d'invenzione", ne fera pas exception.

Claude Debussy - Cinq Préludes orchestrés par Hans Zender

C'est l'oeuvre inutile de la soirée, ils auraient pu mettre du Stravinski à la place... La transposition triviale ou maladroite de Zender alourdit les préludes rapides, affadit les lents, et les rend tous sirupeux ou prosaïques. Seul "Voiles" garde quelque charme.

Edgard Varèse - Arcana

Comme Chronochromie, le concert transforme cette oeuvre, qui devient un incroyable magma de sons et de rythmes, qui jaillit en torrents d'incandescences, comme des vagues successives d'énergies telluriques, des tournoiements en dérive sous de froides étoiles, avec des morceaux du "Sacre" broyés dedans comme des épices explosives, des marches militaires acides, des piétinements orchestraux furieux, du primitif et des éclats du futur, malaxés par un orchestre du SWR (edit : SWR de Baden-Baden et Freiburg ; ne pas confondre avec l'orchestre voisin de Stuttgart !) qui se donne à fond comme il faut, dirigés par un Sylvain Cambreling dansant comme un boxeur et pointant des doigts comme une abeille.

Radios

Du Messiaen, mais plutôt que la Chronochromie, une pièce plus courte, sur le même CD, et avec des percus sonorement semblables, "La Ville d'en Haut". Et du Varèse, mais plutôt que Arcana, qui ne donne pas forcément grand-chose en compression radioblog, une oeuvre à l'effectif plus modeste, "Intégrales".

vendredi 17 novembre 2006

Pascal Dusapin - Faustus The Last Night (Théâtre du Châtelet - 16 Novembre 2006)

Initialement placé porte 17, le fort faible remplissage de la salle, malgré les groupes scolaires venus en renfort, me permet d'être d'emblée dirigé vers la corbeille. Vue impeccable du coup sur le décor (mais pas sur l'orchestre), une grande horloge où se perchent les personnages. Décor unique, malgré les transformations (plus ou moins inclinée, illuminée par dessus ou par dessous, etc.), que quelques gadgets viendront animer (un mixer ou une machine à pain, un puis deux lapins ...). Cette unité répond au livret, sans progression dramatique, un débat philosophique truffé de références et de citations, dont l'absence de thèses / bons sentiments peut plaire (comparé à "Adriana Mater", c'est sur !), mais qui rapidement me fait abandonner toute tentative de suivi.
Intrigue abandonnée, décor au spectaculaire quelque peu artificiel, reste la musique. Superbe. Un bloc qui malgré des couleurs très diversifiées (cordes immobiles ici, rythmes déchainés là, interludes orchestraux puissants, silences brulés par une ou deux voix déchirantes) reste très unitaire. Défaut de ce type de musique "hypnotique" : ça m'endort, tant j'y suis réceptif !
Le spectacle est dispo en DVD, je me contenterais bien d'une version CD !
(j'avais bien présumé une forte présence blogosphérique pour ce concert - mais n'ai vu personne à la sortie - dommage)

Radio

Je ne possède pas non plus son précédent opéra, mais je mets quand même du Dusapin vocal : des extraits de "La mélancholia" (opératorio), de "Niobé" (oratorio ; une femme trop orgueilleuse est punie par la mort de ses enfants), et de "Dona eis" (une sorte de requiem). Oui, pas gai.

mardi 14 novembre 2006

Thomas Larcher (Bouffes du Nord - 13 Novembre 2006)

Olga Neuwirth - Incidendo/fluido

Voilà une façon originale de "préparer" un piano : non en y incorporant des objets de diverses natures, mais en utilisant un CD, qui diffuse dans la caisse des fréquences fixes, modifiant ainsi toute la structure de résonnance des cordes. Des morceaux de feutrine (entre autres ?) complètent le mécanisme, qui fait bouger de mystérieuse manière les sonorités. Une fois cela posé, la musique elle-même me semble un peu simpliste, des gestes, des bribes, des figures élémentaires, qui peinent à se réunir pour former un langage. Vers le milieu de la pièce (qui dure 13 minutes), une petite mélodie enfantine passe sur le CD, et de l'émotion apparaît, diffuse et inconstante. J'ai l'impression, un peu désagréable, d'être en fait passé à coté du morceau. Comme sa précédente oeuvre vue ne m'avait guère convaincu non plus, c'est Neuwirth que je peine à comprendre, il semble.

Arnold Schoenberg - Opus 11 et 19, Franz Schubert - D946 et D915

Une fois l'appareillage électronique débranché, Thomas Larcher attaque une série de pièce de ces deux compositeurs, sans pause d'applaudissements, comme une longue suite, qui étrangement fonctionne plutôt bien. De Schoenberg, on entendra les mouvements 1 et 3 de la pièce pour piano opus 11, qui serait, dixit le livret, la première pièce atonale (ici et maintenant du moins ; et je subodore des querelles d'experts à n'en pas finir sur un tel sujet). Larcher a tendance à sur-articuler chaque note, dans un souci presque obsessionnel de précision ; c'est plutôt crispant, mais heureusement réservé à cet opus. La pièce pour piano D946 n°2 de Schubert sera beaucoup plus naturellement fluide, avec une structure en refrain et couplets, d'une profonde mélancolie, une douce douleur par moments. Voilà que j'apprécie Schubert, surprise ! Il fallait bien commencer un jour ... De l'Allegretto en Do Mineur D915, je ne garde par contre aucun souvenir. Chassés peut-être par la révélation des Six Petites Pièces pour piano opus 19 de Schoenberg, des miniatures extraordinaires, comme du Webern sans série, des architectures ne reposant sur rien et pourtant d'une évidence indestructible. Larcher sort du voyage comme un peu effaré, et sous les couleurs somptueuses du théâtre des Bouffes du Nord, le paysage fut changeant, intriguant, passionnant, plutôt intense.

Thomas Larcher - Antennen ... Requiem für H.

Larcher est aussi compositeur, travaillant avec Wolfgang Mitterer. La pièce de ce soir consiste à disposer quelques objets sur les cordes du piano, et à les faire rouler, crisser, se balancer. Quand on compare avec les explorations de Sylvie Courvoisier, cela semble pauvre, contraint et même obosolète.

Fabien Lévy - Soliloque sur Olga, Arnold, Franz et Thomas

Le pianiste sorti, la salle quasiment plongée dans le noir, l'ordinateur prend le contrôle pour commenter ce concert mal compris de lui, comme dit le sous-titre. Il s'agit en fait d'un programme, disponible sur le site de Fabien Lévy (mais uniquement pour Mac, dommage, j'aurais aimé m'y essayer !), qui se nourrit de fragments d'autres oeuvres (en l'occurence, celles jouées ce soir), pour en extraire une partition purement électronique d'un petit quart d'heure. Déterminer la part due au programme lui-même, et celle venant des extraits, n'est guère possible lorsqu'on entend un seul soliloque ! Mais comme il en propose un sur son site (basé sur la Marseillaise), on peut constater que certains éléments se retrouvent : une division en globalement trois parties, d'abord une course-poursuite très rythmique d'objets sonores galopins galopants, puis une plage raréfiée avec de gros blocs de silences que des hordes insectoîdes viennent grignoter timides d'abord puis conquérantes, et enfin un épisode plus saturé en événements s'accumulant en mode quasi statique ; le final est aussi un peu semblable, avec une sorte de gros ronronnement terminé brutalement. Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu d'oeuvre acousmatique (souvenir de concerts de haut-parleurs à la maison de la radio, expérience fort agréable et enrichissante, surtout que ces concerts étaient (sont encore ?) gratuits). On se laisse porter par ces sons étranges où surgit ça et là un son de piano reconnaissable, une figure mélodique, un trépignement qui pourrait venir de Neuwirth, de Schubert, ou simplement du programme lui-même. Une originale manière de conclure un concert globalement assez atypique, même pour de l'IRCAM !

Radio

Je propose les fameuses six pièces de l'opus 19 de Schoenberg, puis le Soliloque sur le Marseillaise de Lévy.

dimanche 12 novembre 2006

KozliKarantsis

Nanniv à Koz ! Pour l'occasion, Vroumette et Droop diffusent un questionnaire.

Et toi, tu l'as connue comment la fée ?
Par un commentaire qu'elle a laissé chez moi, suite à son recensement des blogues qui parle de musique classique. A l'époque, je ne lisais que des blogues très mono-thématiques (économie, juridique, artistique ...). Du coup, le mélange des genres des Kozeries m'a un peu surpris, et je ne suis devenu lecteur régulier que pas mal plus tard !

Quel est son billet qui t'as fait le plus rire ou pleurer ?
Ni rire ni pleurer, mais le plus plu. Elle en a reparlé dernièrement : c'est sa description du Dialogue des Carmélites. Un texte émouvant et profond, qui concilie analyse musicale et approche personnelle, un texte comme j'aimerais pouvoir en écrire un un jour.
En plus, c'était un "Dix-moi 10 Mots" !

Et tu l'as rencontrée ?
Souvent, désormais ! Paris Carnets, Paris Pique-niques, elle m'a même emmené voir du Britten au Théâtre des Champs-Elysées !

Elle est comment en vrai ?
En vrai, c'est une slovène de 14 ans.

Qu'est-ce que tu ne pourrais pas faire sans elle ?

Ouh la la ! La question qui ne lui fera pas forcément plaisir ! Si elle est souvent en première ligne pour proposer des jeux improbables, ou pour animer la blogosphère par des rencontres parfois virtuelles et parfois en chair et en os, être indispensable n'est certainement pas son but, plutôt parfois son fardeau !
Sans elle, ce que je ne pourrais pas faire, c'est me demander, "qu'est-ce qu'elle va encore nous inventer ?".

Et si la fée était un logiciel, lequel serait-ce ?
Une logiciel de recttes de cuisine, pour confectionner des clafoutis en 7 minutes chrono.

Barber Gershwin Ives (Salle Pleyel - 11 Novembre 2006)

Samuel Barber - Adagio pour cordes

Commencer le repas par un bon bol de soupe, pourquoi pas, ça s'avale sans y penser, et ça met en appétit. Le livret explique curieusement qu'il conviendrait "aujourd'hui de réévaluer un créateur de premier plan de la scène musicale américaine et plus généralement du XXème siècle". Il faudrait pour cela programmer d'autres oeuvres que cette sempiternelle et usée dégoulinade de cordes.

George Gershwin - Rhapsody in Blue

Toujours dans le livret, je lis que Fazil Say, en plus d'être parail-il pianiste et compositeur, officierait dans des groupes de Jazz-World. Etrange, car dès la première cadence, il semble ignorer complètement ce que peut être un discours de Jazz, un groove, une structure qui fasse sens. Ayant décidé de démontrer sa totale liberté et indépendance, il en profite pour faire à peu près n'importe quoi, enchaînant au petit bonheur la chance des accélérations et des ralentis, des forte et des pianissimos, le tout avec force mimiques et gestuelles d'artiste inspiré tourmenté. Je pense aux notes récentes de Tlön : l'élégance d'Ellington (cruellement manquante), et la pose des artistes(insupportablement présente). Heureusement, toute cadence a une fin, et lorsque l'orchestre reprend les rènes, la musique réapparaît ; même si on sent que là n'est pas l'idiome d'origine de l'Orchestre National de France, ils mettent tout leur coeur dans les glissandi et les couinements d'orchestre de Jazz.
Simon Corley est plus indulgent envers le soliste ; j'ai pour ma part de brefs relents d'envie de meurtre, quand il revient en bis massacrer "Summertime" d'artifices techniques délirants. Qu'il écoute ce que Yaron Herman est encore capable d'extraire de ce matériau.

Charles Ives - Three Places in New England

Finie la soupe, exit le pitre, place à la musique. Les trois pages orchestrales sont de caractères assez différents - un climat aride, dur, une impression de vide, d'horizon bouché, pour évoquer la progression difficile du premier régiment de Noirs dans la Guerre de Sécession ; une suite échevelée de fanfares superposées dans une explosion de joie à la limite du chaos, pour un pique-nique du 4 Juillet ; et une ballade au gré d'une rivière, dans les vapeurs de l'amour, qui s'embrase vers la fin. Orchestre impeccablement tenu par Kurt Masur, dans la lenteur comme dans la frénésie.

George Gershwin - Porgy and Bess, A Symphonic Picture

Voilà sans doute le visage le plus familier de la musique populaire américaine, une suite de "songs" puissantes ou émouvantes, simples et directes, joliment orchestrées (élégance again), où tout le monde trouve un immense plaisir, orchestre, chef, et public. Ils en remettent une couche en bis (ils auraient pu, pour compléter notre bonheur, jouer du Bernstein, un extrait de "West Side Story" par exemple).

Radio

D'abord la "Rhapsody in Blue", dans ce miraculeux enregistrement où trone l'interprétation de Gershwin lui-même. Puis, de "Porgy and Bess", un extrait de l'opéra, suivi de quelques airs réinventés par Gil Evans et Miles Davis. Enfin, du Charles Ives, d'abord la promenade en barque, puis un extrait d'une pièce plus rare, "Robert Browning Overture", à la puissance apocalyptique.

samedi 11 novembre 2006

Sylvie Courvoisier (Centre Culturel Suisse - 9 Novembre 2006)

Ouf, cette fois, je n'ai pas oublié ! Et fort heureusement, car cette prestation solo fut enthousiasmante !
Nous n'étions pas très nombreux dans la petite salle, fonctionnelle mais sans grande âme, du Centre Culturel Suisse, niché au fond d'une impasse, près de la rue des Francs-Bourgeois. Après une présentation par le directeur du lieu, la pianiste s'installe, et pose son jeu dès les deux premiers morceaux : d'abord une courte étude, jouée avec partition, qui n'est pas sans évoquer du Ligeti, puis une vraie improvisation, où se mèlent jeu sur le clavier et interventions percussionistes dans la caisse. Armée d'une série de baguettes, mailloches, bandes de ruban adhésif, boules métalliques, elle transforme son piano (splendide Bechstein) en tambour, en harpe, lorgne vers le clavecin. Il n'y a pas de référence directe à John Cage, il me semble - on est loin du gamelan. C'est une approche beaucoup plus ludique et instinctive, et où elle ne recule pas devant des effets faciles mais impressionnants (frapper fort les cordes basses, pour obtenir le maximum de résonnances). Ce plaisir très direct de créer des sons inusuels se conjugue avec une rigueur intellectuelle, qui s'exprime directement dans les morceaux beaucoup plus écrits (études), et dans une canalisation des explorations sonores qui ne sombrent jamais dans le n'importe quoi gratuit. Souvent, les deux aspects de ce jeu sont simultanés - une main sur le clavier pour une pluie de notes qui ne tombent jamais vraiment au hasard, une main dans la caisse pour compléter en cordes pincées ou en bois frappé. Le paysage sonore ainsi créé est riche, varié, jamais excessif, et très controlé, finalement. Pour preuve, après un peu plus d'une heure, elle entame quelques rappels, mais attend le troisième pour offrir une conclusion qui, sans résolution d'accords ni effets trop évidents, semble néanmoins suffisament définitive pour qu'on comprenne bien que c'était la fin du concert.
A lire : le compte-rendu de Samizdjazz.

Radio

J'ai lu des critiques qui décrivaient Cecil Taylor comme un danseur, plus qu'un pianiste ; parfois, le jeu des mains de Courvoisier sur le clavier, se pourchassant ou se rejetant, s'approchait de cette vision. Je mets donc un morceau de ce grand maître du piano improvisé. Puis quelques improvisations du trio Abaton, où on peut entendre un peu d'explorations percussives. La Suisse connaît une autre pianiste Free, Irène Schweizer ; je n'en ai qu'un disque, en duo avec Marilyn Crispell ; leur complémentarité est extraordinaire, et pourtant c'est bien de l'improvisation totale, sans répétitions ni partitions. C'est un disque que je redécouvre à cette occasion ! Enfin, ce programme s'achève avec le livre des anges, volume 3.

mercredi 8 novembre 2006

EIC Boulez (Cité de la Musique - 7 Novembre 2006)

Hanspeter Kyburz - Réseaux

C'est l'extension en 14 minutes d'une pièce qui, en 2003, en durait 6. Le compositeur passe l'essentiel de sa présentation dans le livret à décrire les "grands rouleaux" du peintre japonais Sesshû. Ces peintures ont un format très particulier : douze mètres de long, sur quarante centimètres de large. Cette linéarité pose des problèmes de structure qui peuvent trouver des équivalents musicaux.
"Réseaux", pour 6 instruments, propose une trame changeante, où se succèdent des ruptures, des thèmes qui s'enfuient pour revenir déformés, dans un rendu parfois beau, parfois un peu chaotique, qui demande une attention soutenue que je n'arrive pas pleinement à lui donner. Dans les phases rapides, peuvent se distinguer des façons de faire assez similaires à celles de "Danse aveugle" - style ou tics, difficile à dire.

Bruno Mantovani - Streets

Cette pièce, dit-il, marque une remise en cause radicale de son langage ; comme c'est la première fois que j'entends ce compositeur, je ne saurais valider. "Streets" impose un charme indéniable. La trame générale est comme une machinerie complexe, qui par moments se bloque, grippe, dans une stase souvent violente, puis arrive à se déformer pour recommencer à avancer. De splendides soli l'éclairent de temps à autre (en particulier, un prodigieux solo de harpe - Frédérique Cambreling m'a rarement parue aussi stressée qu'avant cette pièce !), et il y a là une virtuosité et une énergie qui me donnent fortement envie de ré-entendre du Mantovani (damned ! j'ai raté son opéra !).

Pierre Boulez - Dérive 2

Dans l'enregistrement de 2002, cette pièce durait 24 minutes ; elle en fait maintenant 40. Je préférai déjà "Dérive 1", et je n'étais ce soir pas particulièrement en forme. Les 40 minutes m'ont du coup semblé bien longues, à contempler cette musique, qui comme emporté par une rivière rapide, tourne, virevolte et bascule, entre éléments jamais vraiment répétés, mais jamais vraiment en ruptures non plus. Et passer en mode d'écoute passif n'arrange pas, cela me privant de la fine délicatesse des textures et des jeux de transformation incessants. Simon Corley est lui enthousiaste...

dimanche 5 novembre 2006

Percussions de Strasbourg - Musicatreize (Cité de la Musique - 4 Novembre 2006)

Edgar Varèse - Ionisation

Les Percussions de Strasbourg ont du jouer ce grand classique, transposé pour eux par Georges van Gucht avec accord du compositeur en 1976, des centaines (milliers ?) de fois. Ils coupent le morceau en deux parties, la première très diffuse, temps dansant et suspendu, avec les sirènes au niveau plutôt faible, et la seconde beaucoup plus tonitruante, en temps brutal et concassé, où les sirènes, bien que hurlantes, ne sauraient surpasser le fracas percussif. Du grand classique.

Luciano Berio - Cries of London

Pour huit voix, ce morceau assez court reprend des concepts de musique vocale chers à berio, entre le "O King" de la Sinfonia, la Sequenza III, ou un "Coro" sans les instruments. Terrain bien connu, mais où je n'entends rien cette fois qui me ravisse vraiment - en fait, l'ensemble me semble envahi de traits mieux exploités ailleurs ; du coup, cela fait clichés.

Philippe Hurel - La Célébration des Invisibles

C'est la première pièce de Hurel que j'entende, qui soit d'une telle longueur : 45 minutes. C'est la version concert d'un drame lyrique avec choeur, percussions et théâtre d'ombre, créé à Strasbourg en 1992. Ce soir, sans aucun dispositif scénique, l'histoire nous échappe quelque peu. Il reste la musique, élaborée à partir d'un matériau restreint, percussions limitées aux claviers, et voix traitées sans artifices de jeux (pas de sifflements, roucoulements, cris, ou autres manifestations vocales qui firent modernes à une époque mais commencent à vieillir quand la nécessité ne s'en fait plus sentir - "Cries of London" par exemple ; la programmation de ce soir est fort bien conçue).
Hurel utilise fréquemment les vibraphones. Avec ici 6 musiciens, la matière est dense, assez complexe, échappant aux simplismes Reichiens des phases et décalages pour plonger dans des polyrythmies multi-couches, des cellules longues se répétant en variations, mais laissant la place nécessaire aux voix, aux lignes relativement simples. Deux intermèdes purement percussifs, remplaçant des scènes parlées, permettent des jeux plus immédiatement impressionnants. Les voix sont amplifiées, mais sans que cela ne soit vraiment génant ; cela permet un meilleur équilibre entre les solistes vocaux et les percussionnistes, et aussi une petite spatialisation, discrète.
Le climat général est plutôt calme, apaisant, on se laisse guider au fil de l'histoire, qu'on sent là, quoiqu'on ne puisse la comprendre. Malgré la longueur, qui semblerait annoncer un morceau ambitieux, il y a comme une paradoxale retenue dans les moyens mis en oeuvre. Le tout est agréable, même si cela ressemble plus à une étape qu'à un sommet.

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J'ajoute la "Ionisation" de Varèse (par les premières Percussions de Strasbourg), la "Sequenza III" de Berio (un sommet d'extravagance vocale), et "Loops II" de Hurel (une pièce solo "de concours" pour vibraphone).