lundi 29 novembre 2010

Bach Cantata Pilgrimage : intégrale ou pas ?

Pour commémorer les 250 ans de la disparition de Johann Sebastian Bach, John Eliot Gardiner eut cette idée folle d'enregistrer pendant l'an 2000 toutes les cantates sacrées, en jouant chaque semaine dans une église différente les cantates écrites pour cette semaine-là. Le tout fut enregistré, puis diffusé par un label conçu à cette occasion, Soli Deo Gloria.
Les derniers volumes viennent de paraitre, accompagnés d'un dépliant permettant de retrouver quelle cantate est sur quel disque, et d'un site Web CantataFinder qui permet d'identifier une cantate à partir d'un extrait de texte.

On peut alors s'apercevoir que les 27 volumes de ce pèlerinage parus chez SDG ne contiennent que 165 cantates, sur un corpus de 200 numéros (BWV 1 à BWV 200). Où sont les autres ?

Il faut en fait compléter ces 27 volumes par 6 CD "Deutsche Grammophon Archiv" :
- Cantates pour le jour de l'Ascension (11, 37, 43, 128)
- Cantates pour le 3ème dimanche après l'Epiphanie (72, 73, 111, 156)
- Cantates pour la fête de la Purification de Marie (82, 83, 125, 200)
- Cantates pour le 9ème dimanche après la Trinité (94, 105, 168)
- Cantates funèbres (106, 118, 198)
- Cantates pour le 11ème dimanche après la Trinité (113, 179, 199)

Cela nous amène à 186 cantates. Il en manque encore 14. Mais ces dernières sont des erreurs de classification, des cantates qui soient ne sont pas de Bach, soit ne sont pas vraiment sacrées.
- BWV 15 : composition de Johann Ludwig Bach
- BWV 29 : élection du conseil municipal de Leipzig (1731)
- BWV 53 : composition de Georg Melchior Hoffmann
- BWV 119 : élection du conseil municipal de Leipzig (1723)
- BWV 120 : élection du conseil municipal de Leipzig (1728 ou 1729)
- BWV 141 : composition de Georg Philip Telemann
- BWV 142 : composition de Johann Kuhnau
- BWV 157 : cantate funèbre pour Johann Christoph von Ponickau (1726)
- BWV 160 : composition de Georg Philip Telemann
- BWV 189 : composition de Georg Melchior Hoffmann
- BWV 193 : élection du conseil municipal de Leipzig (1738)
- BWV 195 : cantate de mariage
- BWV 196 : cantate de mariage
- BWV 197 : cantate de mariage

Et si vous voulez d'autres intégrales de ces cantates sacrées de Bach, Ulyssestone en a sélectionné plusieurs disponibles sur Spotify.

Rihm Dufoury Kourliandski Mantovani (Cité de la Musique - 27 Novembre 2010)

Wolfgang Rihm - Gejagte Form (version 1995/1996)

J'aime bien tout ce cycle, il me semble, des "formes chassées" de Rihm. On retrouve cette course parfois trépidante, ici initiée par un quatuor de flûtes et de clarinettes, à peine souligné de harpe, puis rejoint par des bouffées orchestrales, qui s'organise ensuite en multi-couches. Différents climats se succèdent, plus étals cependant que dans d'autres pièces de ce cycle, on a le temps de s'installer, même si la pulsation rythmique nous entraine toujours. C'est vif, parfois cinématographique, avec même du suspense, et une fin en cliffhanger.

Hugues Dufourt - Les Chasseurs dans la neige

Comme il y a un écran au-dessus de la scène, ils y projettent en introduction l'image de la peinture de Bruegel. Le rythme est moins trépidant que chez Rihm (et c'est pourtant l'une des plus vives du cycle "Les Hivers" de Dufourt !). On ressent la fatigue des chasseurs, le froid, l'attente ponctuée de mini-événements dramatiques. Je ne sais pas si Mantovani ne s'ennuie pas un peu en dirigeant cette musique très éloignée de la sienne. Dans les nombreux musiciens venus compléter l'EIC, il y a une bien jolie violoniste russe, qui aide à faire passer les longueurs.

Dmitri Kourliandski - Objets impossibles I et II

Ce sont ces pièces qui justifient le mieux le thème "Art total" de ce concert, qui ont reçu le plus de publicité sur les réseaux sociaux (la salle est bien pleine, d'ailleurs ...), et qui s'avèrent les plus mauvaises de la soirée, et j'espère de l'année. Il faut près d'un quart d'heure pour changer le plateau, avec des loupiotes sur chaque pupitre, puisque l'orchestre sera dans l'obscurité, afin qu'on puisse passer de la vidéo sur le grand écran. La musique est en effet transcrite en temps réel en animation informatique : d'où l'aspect art total. Sauf que c'est d'une pauvreté qui fait pitié. La musique ne semble composée que de quelques éléments à peine variés pendant un bon quart d'heure (pour l'objet 1, des cordes qui claquent à vide, des vents qui vrombissent soufflent et hululent, et des percussions très métalliques ; pour l'objet 2, des trucs qui grincent et qui raclent, et des machins qui geignent et qui couinent), et que cela est traduit sur l'écran de manière simpliste (l'objet 1 est une scène d'architecture, avec des poutres qui s'illuminent quand claquent les cordes, et des murs qui se déstructurent quand vrombissent les vents ; l'objet 2 est une sculpture de planches de bois enchevêtrées qui bougent, avec des boules facettées qui se forment et évoluent aux points de convergence). Et c'est tout. On a l'impression d'une démonstration, peut-être d'un "proof of concept". Sauf que j'ai vu plus intéressant sous Winamp ... Utiliser les moyens de l'EIC pour un si piètre résultat, c'est vraiment du gâchis.
Et là, incroyable, presque inouï, à la Cité, une création de l'EIC, est huée par une partie du public ! Ouf.

Bruno Mantovani - Concerto de chambre n°1

Concerto pour orchestre de chambre, qui multiplie les interventions solistes virtuoses (bravo à Jérôme Comte pour le solo de clarinette), dans une structure où le compositeur dit tenter de renouveler sa manière d'écrire de la musique, et qui perd du coup en originalité et en identité, pour rejoindre le bataillon d'oeuvres en pleins et en déliés, avec des tutti et des soli, des moments d'attentes et des moments de frénésie, comme écrit un peu tout le monde. De beaux passages individuels, mais des alliages sonores moins intéressants que d'habitude.

Ailleurs: Le concert est disponible pendant quelques mois sur Cité de la Musique Live.
Spotify: Minguet Quartet – Rihm: 4 Studien Zu Einem Klarinettenquintett - 4 Male, Ensemble Modern – Hugues Dufourt: Les Hivers, Ensemble Alternance – Mantovani: D'un rêve parti

dimanche 28 novembre 2010

David Lescot - L'instrument à pression (Théâtre des Abbesses - 26 Novembre 2010)

Un spectacle flottant entre théâtre et Jazz, un affrontement entre Jacques Bonnaffé et Médéric Collignon, l'idée était fort séduisante, et a attiré suffisamment de monde pour que des séances supplémentaires à 18h soient rapidement proposées. Sauf que depuis, Collignon souffrant d'une hernie discale a déclaré forfait, et une telle personnalité n'est tout simplement pas remplaçable sur la piste.
Ce n'est pas que son remplaçant Virgile Vaugelade démérite particulièrement : on ne peut pas lui demander de posséder la même intensité charismatique, la même démesure extravertie, que Collignon. Mais du coup, le spectacle n'est certainement pas celui auquel avait pensé David Lescot et Véronique Bellegarde.
L'histoire : un "souffleur de biniou" qui veut se frotter au Jazz rencontre un professeur qui lui enseigne le souffle et quelques B A BA, se confronte à d'autres musiciens dans des clubs de Jam, s'éprend d'une contrebassiste qui fascinée un temps prend peur et s'enfuie, et se radicalise dans une recherche Free qui l'éloigne de tous.
La mise en scène consiste en une série de tableaux, parfois musicaux, fondus enchainés, commentés par les comédiens/musiciens (Philippe Gleizes habituel batteur de Collignon, David Lescot trompettiste et guitariste, Odja Llorca qui chante et mime la contrebasse) dans une sorte de voix off polyphonique. Il y a aussi de la vidéo, créée/manipulée en direct par Olivier Garouste.
Il y a de l'humour (le spectateur qui veut à tout prix qu'on lui joue "Le lion est mort ce soir"), de l'émotion (la première nuit entre le héros et la contrebassiste), de beaux moments (le club de Jam vu comme un ring de boxe), mais la folie Médéric manque, et le tout devient du coup un peu fade, pas vraiment raté, mais sans grand intérêt.

l'instrument à pression

Ailleurs: Amelie Blaustein Niddam
Spotify: Médéric Collignon – Shangri Tunkashi-La, Bruno Dumont – La Vie De Jésus

jeudi 25 novembre 2010

Sylvie Courvoisier Mark Feldman Quartet (Sunset - 21 Novembre 2010)

Dans ce concert, ceux que je venais voir étaient les meneurs, Sylvie Courvoisier et Mark Feldman. Leurs acolytes a priori ne m'intéressaient guère. Erreur ! C'est un vrai quartet hors-normes, où tous ont un impressionnant background, et savent créer une musique sans guère de pareille.

Vu le savoir-faire classique du viloniste et de la pianiste, on se dit qu'ils n'ont pas vraiment besoin d'une paire rythmique pour leur indiquer le tempo. Et de fait, ils s'en abstiennent. Le batteur Gerry Hemingway, qui a longtemps joué dans le fabuleux Quartet d'Anthony braxton avec Dresser et Crispell, exerce plus ses talents de percussionniste, proposant une sorte de brouillard coloré de brisures de rythmes, un halo flottant et scintillant, qu'il densifie quand il faut jusqu'au martellement d'une impressionnante compacité.
A ses cotés, le contrebasse Thomas Morgan, que j'avais déjà dans les Five Elements de Steve Coleman, joue les tous-terrains. Par moments complétant et charpentant le flou incandescent du batteur, puis doublant note à note les lignes du violoniste, puis se lançant dans des solos vigoureux ou en corde raide.

C'est Feldman qui se présente face au public, annonce en français les morceaux, et généralement mène la barque le plus souvent. Son jeu est toujours mélodique, limite post-romantique, avec des envolées où les cordes aigües pleurent des plaintes déchirantes, avec quelques effets de jeu, avec souvent des lignes répétées au-dessus du flux mouvant de ses partenaires.
Quand à Courvoisier, la voir jouer est un plaisir à chaque instant renouvelé, tant elle jongle avec tous les jeux possibles du piano, énonçant une suite d'accords plaqués gentiment, quand soudain la main droite part papillonner dans les aigus pour un pépiement étourdissant de rapidité, ou bien la main gauche part dans les cordes graves pour des pizzicati grondants, puis elle se lève et joue dans la caisse avec de grosses billes qui créent un rythme auquel le batteur répondra à sa manière, et tout cela avec une assurance et un naturel qui donnent le sentiment que chacune de ses interventions est juste nécessaire et adéquate.

Les morceaux sont longs, remplis d'espaces d'improvisations, avec des retours, des façons de couplets entre des sortes de refrains, des départs, vers on ne sait trop où, on est entre musique classique de chambre d'avant-garde et free-jazz sans son coté facilement agressif.
Deux sets pas très longs, mais intenses en émotions, en surprises, en écoute et en dons. Un grand grand concert.

courvoisier feldman quartet au sunset

Ailleurs: Native Dancer
Spotify: Sylvie Courvoisier & Mark Feldman – Oblivia, Sylvie Courvoisier & Mark Feldman & Erik Friedlander – Abaton, Steve Coleman & Five Elements – Weaving Symbolics, Anthony Braxton & Gerry Hemingway – Old Dogs (2007)

mardi 23 novembre 2010

Simon McBurney - Shun-kin (Théâtre de la Ville - 20 Novembre 2010)

De Simon McBurney et de sa troupe Complicité, j'avais déjà vu il y a quelques années The Elephant Vanishes, autour de nouvelles de Murakami. Cette fois, c'est une nouvelle de Tanizaki qui sert de matériel.
L'histoire est simple : la relation sado-masochiste entre une joueuse de Shamisen aveugle et son serviteur plus âgé de quelques années, lui la vénérant, elle le battant et l'humiliant à tous prétextes. Lorsqu'une nouvelle attaque criminelle la laisse défigurée, il se crève les yeux pour l'assurer ne jamais regarder son visage ravagé.
Simon McBurney aime les mises en scène spectaculaires. Ici, sur un plateau rempli d'ombres, il crée les lieux à l'aide de quelques planches et manches de bois, qui en constantes reconfigurations évoquent des portes, des arbres, des jardins. Des projections aident à l'envol des alouettes. Les diverses formes classiques de l'art théâtral japonais sont convoquées, du bunraku pour la marionnette figurant Shun-Kin enfant, du kabuki dans certaines modulations vocalisées, etc. Un joueur de Shamisen joue en arrière-plan. Certains moments sont absolument magiques, comme le passage de Shun-kin à l'age adulte, où simplement l'une des marionnettistes, dans une scène de colère contre son amant-serviteur Sasuke, se lève soudain, jette la poupée au loin, et voilà, c'est elle maintenant qu'il habille d'un magnifique kimono, et qui devient Shun-kin.
Simon McBurney entoure ce récit cruel et profond d'autres points de vue qui l'enrichissent. L'auteur Tanizaki est là, qui écrit ce texte après une blessure amoureuse et suit de près l'évolution de ses personnages ; Sasuke vieux les regarde aussi, attendri par l'évocation de cet amour qui aura été toute sa vie ; une actrice radio, invitée à réciter le texte pour la NHK, fournit la voix-off, ainsi que des pauses plus comiques, et un écho actuel à cette histoire, en téléphonant à son amant, qu'on comprend plus jeune qu'elle.
Le sous-titrage est excellent, doublé au-dessus de la scène et à hauteur du sol. Certaines particularités du spectacle ne sont clairement accessibles qu'au plus japonisants du public, comme cet affichage du texte à certains moments pour permettre de goûter aux subtilités des niveaux de langage utilisés. Ca tombe bien, il y a beaucoup d'asiatiques dans l'assistance !
Le seul bémol à ce spectacle magnifique est dans le choix de Yoshi Oida pour jouer le rôle de Sasuke vieux, qui est si emblématique de Peter Brook, que je ne peux m'empêcher d'essayer d'imaginer ce que lui aurait fait de cette pièce. Cela aurait sans doute été moins spectaculaire, mais peut-être encore plus profond ...

shun-kin

Ailleurs : Allégro Théâtre, Rue du Théâtre, Armelle Héliot, Palpatine ...

mercredi 17 novembre 2010

Einstürzende Neubauten - 30 ans (Cité de la Musique - 16 Novembre 2010)

C'est la troisième fois que je vois les Neubauten en concert, et la dernière fois remonte à pas mal de temps. Certains musiciens sont partis, les restants ont vieilli. La musique n'est plus cette coulée de bruit rageur et assourdissant, mais propose des ambiances plus calmes, apaisées serait peut-être insultant.
La première chanson est un excellent début : "The Garden", en montée lente d'émotion, la basse trop forte de Alexander Hacke (réglé au bout de 10 minutes), des cordes jouées au synthé, la voix toujours envoutante de Blixa Bargeld, des percussions presque légères, une entrée en matière en douceur. Le problème c'est qu'on restera un peu trop dans ces ambiances lentes. L'énergie reste latente, le son globalement très propre, la mise en place impeccable, et impressionnant le ballet des techniciens qui entre les morceaux déplacent quelques bidons tuyaux ou râteliers pour le compte de N.U. Unruh. Mais entre deux explosions du genre "Die Interimsliebenden", ou "Let's Do It A Dada" suivi de "Haus der Lüge" (magistral ! le clou de la soirée !), on s'ennuie un peu ...

Ailleurs: Good Karma
Le concert filmé est disponible pour quelques semaines sur ArteLiveWeb et sur CitéDeLaMusique, où on peut admirer plus facilement qu'au concert lui-même le disparate maitrisé des instruments assemblés ou fabriqués.
Spotify: Strategies Against Architecture Vol 1 80-83, Vol 3 1991-2001, Vol 4 2002-2010.

dimanche 14 novembre 2010

Alexandra Grimal - Adrien Mondot (Atelier du Plateau - 13 Novembre 2010)

Alexandra Grimal aime les rencontres. Comme Marc Ducret, je ne l'ai jamais vu deux fois dans la même formation. Invitée régulièrement à l'Atelier du Plateau (elle y sera de nouveau en Mars en compagnie de Bruno Chevillon), elle propose une collaboration originale avec Adrien Mondot, présenté comme "jongle / arts numériques".
Elle commence seule, solo de saxo soprano, musique sinueuse et lentement envoutante, très charmeuse de serpents. Il la rejoint avec une boule en verre dont il mime l'apesanteur ("l'upesanteur" préfèrent-ils évoquer dans ses textes de présentation, comme utopie), et une présence chorégraphique où se reflètent élégance, arabesques et contorsions.

alexandra grimal + adrien mondot à l'atelier du plateau

L'heure de prestation est clairement délimitée en morceaux successifs, où il change de matériel, une deux ou trois boules de verre, ou fugitivement balles de caoutchouc, mais que le sol trop inégal de la salle ne permet guère d'utiliser.
Entre deux numéros de jongle, il change de casquette et lance des programmes sur son ordinateur, qui projette des animations sur le grand mur, qui réagissent aux sons projetés par Grimal.

alexandra grimal + adrien mondot à l'atelier du plateau

C'est un arbre dont les branches se tordent, c'est un essaim de mots qui papillonnent, c'est un voile qui se déforme, c'est une fine pluie de lettres.

alexandra grimal + adrien mondot à l'atelier du plateau

Alternant entre ses deux saxophones, elle nous garde en haleine toute l'heure, faisant preuve d'une grande inventivité mélodique, exploratrice harmonique, un flux de longues phrases insinueuses et insistantes, une tension maintenue sans excès, qui épouse avec bonheur les grands gestes de Mondot, ses jeux d'équilibres et ses poses poétiques.
Dans le cirque dit-elle à la fin, on ne fait pas de bis. Mais ce soir la musique gagne, et ils nous en proposent un, où elle cite pour la première fois de la soirée un air connu (mais oublié). Même dans cette rencontre surprenante, elle fait montre de son habituelle intensité.

Ailleurs: Quelques photos.
Spotify: Alexandra Grimal se produit principalement dans de tous petits labels pas (encore) présents sur Spotify. Mais une première exception cette année : Birgitte Lyregaard – Blue Anemone (qui sera présenté au Sunside en Février)

samedi 13 novembre 2010

Lachenmann Bruckner (Salle Pleyel - 12 Novembre 2010)

Helmut Lachenmann - Nun

"Le Moi n'est pas une chose, mais un lieu" est une des réflexions de Kitaro Nishida qui a donné naissance à cette pièce. Pour cela, Lachenmann a conçu une musique qui n'est pas une trajectoire, mais un lieu traversé d'événements. Le rôle de soliste de la flûte et du trombone n'est pas vraiment primordial : ils génèrent juste des événements plus marqués que le reste de l'orchestre (SWR Sinfonieorchester Baden-Baden & Freiburg), traité comme un bloc producteur de sons étranges, halètements, crépitements, palpitations ... Il y a aussi 8 chanteurs (Schola Heidelberg), assis en cercle autour du chef d'orchestre (Sylvain Cambreling). Ils ne prononceront des mots que vers la fin, dont un "Mu - Si", et "K" en claquant la langue. Il y a aussi une légère manipulation acoustique, les voix pouvant être amplifiées, les sons des solistes projetés à l'intérieur des pianos à queue pour mieux y résonner, et peut-être d'autres peu discernables dans l'étrangeté des sonorités engendrées.
"D'une manière toujours autre, c'est toujours la même chose", explique Lachenmann dans le livret, et de fait, cette pièce est comme un jardin qui, sous divers circonstances météorologiques, reste le même tout en changeant beaucoup d'aspect. La flûte et le trombone y serait des éléments marquants, comme deux arbres, parfois essentiels à l'équilibre, parfois noyés dans le brouillard ou la pluie, parfois secoués par le vent. Le terme de répétition est inadéquat, parce qu'il ferait référence à un déroulement temporel, alors qu'on est plus dans un déploiement spatial.
Musique belle ? Ce n'est pas vraiment le sujet. C'est une expérience intéressante, ayant sa charge cérémonielle, ouvrant l'esprit à toutes sortes d'interrogations et parallèles.

lachenmann et cambreling à pleyel

Anton Bruckner - Symphonie n°3 "Wagner"

De la belle matière symphonique, roborative mais pas rébarbative (ne pas confondre), que Cambreling vivifie par une utilisation marquée de la dynamique. Un joli cor soliste.

Ailleurs: ConcertoNet
Spotify: Sylvain Cambreling & SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg & SWR Vokalensemble Stuttgart – Lachenmann: Das Mädchen mit den Schwefelhölzern, Anton Bruckner, Hans Knappertsbusch, Munich Philharmonic Orchestra, – Anton Bruckner: Symphony No. 3, Symphony No. 5

vendredi 12 novembre 2010

Francesco Bearzatti - Malcolm X Suite au Triton (Le Triton - 11 Novembre 2010)

J'avais découvert ce quatuor Tinissima il y a quelques mois par une vidéo ArteLiveWeb indisponible désormais. Ils tournent actuellement pour présenter leur deuxième album, consacré à Malcolm X, une suite en 10 tableaux (normal pour X ...), qu'ils jouent d'un bloc, comme Francesco Bearzatti nous l'indique en préambule dans un excellent français.

Danilo Gallo ne jouera que de la guitare basse, avec forces pédales d'effet, pour la transformer parfois en guitare très bluesy. Le batteur Zeno De Rossi peut jouer un peu libre et destructuré, mais la plupart du temps reste dans une rythmique très carrée, lorgnant ou plongeant dans un coté Funk/disco sans grande imagination. Cela donne une base solide, mais qu'on pourrait aimer plus légère et surprenante.

L'animation vient donc des deux souffleurs. Francesco Bearzatti est la tête pensante du groupe, compositeur de tous les morceaux, il alterne entre saxophone et clarinette, lyrisme sous contrôle, chorus généreux, beaucoup de présence sur scène. Giovanni Falzone assure une plus grande folie, trompettiste spectaculaire, techniques vocales "à la Collignon" mais plus rudimentaires. Les échanges ne sont pas encore télépathiques, comme on dit, mais leur interaction est prometteuse.

Originale fin de set : les musiciens se présentent face au public, tandis que l'épilogue de la suite pour malcolm X, où chante Napoléon Maddox, passe sur les enceintes, que tous écoutent en intégralité et sans broncher.
Un second court set leur permet de donner deux morceaux du premier album, dont un "Why" très énergique.

Un bon concert, mais où on sent un groupe qui peut devenir encore bien meilleur.

bearzatti au triton

Ailleurs: Alex Duthil.
Des extraits d'un concert de la même tournée sont disponibles sur Youtube :
Bearzatti; Malcolm X part 1, part 2, part 3, etc.

jeudi 11 novembre 2010

HK Gruber - Kurt Weill (Cité de la Musique - 10 Novembre 2010)

Kurt Weill - Vom Tod im Wald

Le concert commence en retard et dans une salle un peu vide, à cause d'un colis suspect dans la station de métro. Cette courte pièce vocale était supposée être intégrée au "Berliner Requiem" que nous entendrons en deuxième partie, mais finalement resta isolée. On y retrouve cependant le même groupe instrumental, à savoir la phalange des vents de l'Orchestre Philarmonique de Radio France, dirigée par HK Gruber. Qui malheureusement chante aussi, ou plutôt psalmodie et vocifère, opte pour un parlé-chanté qui convient à sa voix assez banale, mais ne m'enthousiasme guère. Reste la musique, balançant entre calmes glacés et rages éructantes, pour conter la mort d'un homme dans une forêt, que ses compagnons horrifiés voudraient voir disparaître comme un gentleman, alors qu'il crève comme une bête.

HK Gruber - Busking

C'est un concerto pour trompette et orchestre à cordes. Le soliste Hakan Hardenberger commence par jouer d'une embouchure détachée, comme un sifflet, puis change de trompette pour chacune des trois parties, mais globalement ne se tait jamais. Dans l'accompagnement des cordes, c'est le rôle exotique du banjo ou de l'accordéon qui m'intéresse le plus. Mais tout cela est long, répétitif, débordant de virtuosité gratuite, en somme, assommant.

Kurt Weill - Das Berliner Requiem

On reprend donc les cuivres et les bois du Philarmonique, accompagnés du choeur de Radio France et d'un percussionniste, et surtout de deux vrais chanteurs, le ténor Rainer Frost et le baryton Florian Boesch, ce dernier absolument remarquable d'intensité et d'engagement, à la limite d'en faire trop par moments, mais quel coffre, et quelle émotion ! La version donnée par Gruber ne suit pas le livret habituel, peut-être est-ce la version originale avant remaniement du à la censure. On commence directement par la "Ballade de la fille noyée", puis "Die rote Rosa" au lieu de "Marterl" ! Je ne connaissais pas ce cycle, mais on est d'emblée à la hauteur de mes Weill préférés : arrangements d'une fausse simplicité, comme ces accords à la guitare sous le choeur introductif, douceur désespérée de la clarinette pour Rosa, véhémence des poèmes de Brecht sur le soldat inconnu, massacré et défiguré par ses camarades et enterré sous une lourde plaque pour ne plus jamais revenir les accuser, parfois lentes montées en puissance avec entrée successives des instruments, parfois flamboyances soudaines, c'est à la fois d'une évidence lumineuse et rempli de surprises qui forcent l'attention. Captivant, magistral, féroce et bouleversant.

Ailleurs: Vous pouvez écouter pour quelques semaines le concert enregistré par France Musique (avec de beaux compléments, du Weill chanté par Nina Hagen ou Lotte Lenya).
Spotify: Paul Hillier – Weill: Das Berliner Requiem, Lotte Lenya – Lotte Lenya Sings Kurt Weill, Swedish Chamber Orchestra – Gruber, H.K.: Manhattan Broadcasts / Cello Concerto / Zeitfluren

mardi 9 novembre 2010

Ensemble Modern - Peter Eötvös (Salle Pleyel - 6 Novembre 2010)

Bruno Mantovani - Postludium

Ca commence par un fracas impressionnant, qui se calme peu à peu. De jolies couleurs comme d'habitude, avec un accordéon bien fondu dans l'orchestre. Qualifier la fin d'épure au discours raréfié me semble un peu exagéré, on n'est ni chez Ligeti statique, ni chez Nono ascétique.

Jens Joneleit - Dithyrambes

Le compositeur explique avoir en quelque sorte improvisé l'écriture, en proie à "une rage d'écrire". Du coup, ça part un peu dans tous les sens, et ça fait beaucoup de bruit. C'est d'ailleurs une constante ce soir : au premier rang du balcon, qui n'est pas une place très agréable pour les jambes, l'orchestre pléthorique requis par Schoenberg et utilisé pour les trois créations de la soirée (c'est le seul vrai concert de musique contemporaine à Pleyel cette année ...) est près de m'agresser par le volume sonore déployé. Trop de percussions, trop de cuivres, l'Ensemble Modern s'en donne à coeur joie, et Peter Eötvös ne le retient pas.

Arnold Schoenberg - 5 pièces opus 16

Schoenberg me reste toujours assez opaque et fascinant, tout en tension entre le langage qui tend vers l'abstrait, et le discours expressionniste encore gorgé de romantisme inavouable. J'essaie de repérer la Klangfarben melodie de la pièce 3, et échoue - mais apprécie l'atmosphère mystérieuse.

Johannes Maria Staud - Contrebande (On Comparative Meteorology II)

Toujours le même très gros effectif d'orchestre, mais de la musique moins agressive. Il y a quelque-chose de météorologique en effet, comme une transcription de phénomènes naturels, marée, vent, nuages. Mais toujours de grosses bouffées de violence orchestrale. Garder d'une pièce à l'autre le même instrumentarium permet de limiter considérablement les durées d'attente entre les morceaux, puisqu'il n'y a pas de changements à effectuer sur le plateau. Mais ça donne aussi un peu trop la même texture aux pièces successives. Sur la longueur, je décroche un peu.

Arnold Schoenberg - Variations opus 31

Pas de souvenirs.

Ailleurs: Joël, ConcertoNet.
Spotify: 20th Century Classics: Arnold Schoenberg, Siegfried Mauser – New Piano & Chamber Music

lundi 8 novembre 2010

Intersessions 6 (Le Triton - 5 Novembre 2010)

Le principe des "Intersessions", c'est de mélanger des musiciens de l'Ensemble InterContemporain avec des musiciens de Jazz, pour des improvisations. C'est la première fois que j'y assiste (ma découverte de cette salle étant récente).
Ce soir, nous avons coté Jazz la contrebassiste Joëlle Léandre et la pianiste Sophia Domancich, et coté EIC la flûtiste Emmanuelle Ophèle et le violoncelliste Eric-Maria Couturier. Un quartet peu fréquent, donc, "sans tambour ni trompette", et avec un doublement des cordes basses. Au gré des morceaux, ils se recombineront en trios et duos.

Ce qui me frappe surtout, c'est la différence dans l'approche de leurs instruments. Joëlle Léandre empoigne sa contrebasse dans un affrontement physique impressionnant, en extirpant toutes sortes de sons, claquements, vrombissements, grognements. Sophia Domancich attaque elle aussi son piano avec une pointe de véhémence, galopades et clusters, mais dans un discours très articulé, notes précisément énoncées. Les rôles sont distribués : Léandre en fondation, Domancich dans le décalage presque indépendant.
Entre elles deux, les membres de l'EIC, pour qui l'instrument semble, non pas un partenaire à affronter pour en tirer des étincelles, mais un prolongement de soi à travers lequel passe la musique. Eric-Maria Couturier n'est pas novice en Jazz, ayant déjà joué avec David Linx. Il se prête donc facilement aux approches bruitistes, ou bricole un contrepoint, ou s'épanche dans une belle mélodie. Emmanuelle Ophèle a plus de mal. J'ai l'impression qu'elle se refuse au spectaculaire, mais du coup reste un peu en arrière-plan ; bien sur, elle possède toutes les techniques, elle ose le cri, et les souffles, mais c'est plus en accompagnement qu'en force de proposition.

Entre les musiciens, le courant semble bien passer, et c'est essentiel. Il y a de la gaieté, de l'humour, de la complicité qui se crée. Léandre demande à Ophèle de se déplacer pour qu'elle puisse voir ses yeux, Domancich prolonge plus que nécessaire une coda à une superbe improvisation, expliquant en riant "Vous croyez que c'est terminé, mais pas du tout ! This is my concerto !", les musiciens se trompent dans les entrées/sorties ... Si bien que malgré la timidité d'Ophèle, et grâce à l'énergie de Léandre, la maitrise de Domancich, l'émotion de Couturier, c'est un très agréable moment musical qui se partage sur scène.

intersessions 6

Spotify: Flowers Trio (Ramon Lopez, Sophia Domancich, Joëlle Leandre) – Flowers Of Peace