mercredi 17 octobre 2018

Yellow Shark - EIC (29 Septembre 2018 - Cité de la Musique)

Bernhard Gander - take death

Pourquoi s'inspirer du Sacre du Printemps pour en faire ce machin lourdingue, tant dans les rythmes, sans invention et répétitifs, que dans les sonorités, sombres et moches ? Ça ressemble par moments à une parodie, mais qui manquerait d'humour. Non, la caractéristique principale, c'est vraiment que c'est lourd ; et en plus, ça dure (10 bonnes minutes, heureusement moins que les 17 annoncées - les durées indiquées dans les livrets sont de plus en plus souvent fausses, non ?).

Frank Zappa - Naval Aviation in Art? / Dupree's Paradise / The Perfect Stranger

Je connais mal l'oeuvre de Zappa, mais cette soirée ne m'a guère convaincu de l'explorer davantage. C'est agréable à écouter, mais vraiment peu original. "Naval Aviation in Art" crée un joli climat d'anxiété, évoquant la musique de film. "Dupree's Paradise" serait plutôt du musical, mais tout ça me fait penser à des années 50 qui n'auraient pas connu le dodécaphonisme ni rien en découlant, une musique gentiment vieillotte dès son écriture, bien propre, bien en place ; mais où sont les inventions, quand tout est tonal, synchrone, conforme ? "The Perfect Stranger" est un peu plus inattendu, avec des glissandi rythmiques, et des alliages sonores un peu plus cherchés. Mais je comprends les agacements de Pierre Boulez quand certains lui rappelaient la création de ces pièces comme un événement majeur dans la musique contemporaine : il a du bien s'ennuyer à les diriger, tant il ne s'y passe pas grand-chose ...

Edgard Varèse - Intégrales

Je voulais de l'invention ? En voilà, bien plus flamboyante, fascinante, incandescente, dans ces 11 minutes écrites en 1925, que dans les précédentes pièces qui dataient de 2013 ou 1983. La sonorité, instruments à vent et percussions, les répétitions obsessives des cuivres sur le tapis de lave des fracas percussifs, les stridences, soudain un fragment d'espagnolade, un peu plus loin une mélodie déchirante au hautbois (formidable Didier Pateau), tout reste surprenant, captivant, magnifique. La pièce la plus moderne et la plus vivante de la soirée, et de loin.

John Zorn - For Your Eyes Only

Encore un gars qui veut absolument composer de la musique "sérieuse", et à qui ça ne réussit guère. Il ose la virtuosité, c'est bien, on s'ennuie moins, mais la technique de collage de tout et de n'importe quoi, ce zapping entre mille fragments sans liens, où tout peut arriver, et parfois arrive, sans rien pour créer une tension sur la distance, ça finit vite par lasser.

Frank Zappa - Get Whitey / The Dog Breath Variations / Uncle Meat / G-Spot Tornado

"Get Whitey" est une heureuse surprise : voilà qui est bien plus intéressant que la première partie ! Des instruments plus inhabituels, plus de virtuosité chez les solistes, des couches rythmiques multiples et décalées (on se croit par moments chez Charles Ives), cela crée des sonorités, des ambiances, des tensions, bref de la musique ! "Dog / Meat" retombe dans une forme de banalité en vraie fausse fanfare ronflante, et "G-Spot Tornado" s'y complaît également, typiquement le genre de musique que je verrais bien dirigée par Gustavo Dudamel, avec mise en scène et tout. Comme c'est l'EIC dirigé par Pintscher ça reste plus sage, mais le public ovationne quand même ...

yellow shark

Ailleurs : Le concert est disponible pendant quelques mois.

Alexandra Grimal - Kankû (La Gare Jazz - 28 Septembre 2018)

Un lieu dont on parle et que je découvre pour la première fois : c'est sympa, les murs délabrés chics, le choix étendu des bières et autres boissons, le système de paiement au chapeau.
Une occasion d'enfin revoir Alexandra Grimal, surtout en petite formation, après le grand ensemble de l'ONJ, puis une pause que je comprends mieux quand elle arrive bardé d'un bébé en bandoulière.
La possibilité d'entendre sur scène un disque que j'aime beaucoup, qui alterne puissances et mystères.
Pour la puissance, pas de problème : la paire rythmique Sylvain Daniel à la basse électrique et Eric Echampard à la batterie donnent une assise assez AkaMoonienne, sur laquelle Alexandra Grimal, exclusivement au saxophone ténor, se déchaîne en envolées musclées, lyriques, acrobatiques ; c'est fort.
Mais la beauté du disque tient aussi aux passages plus fragiles et délicats, quand Alexandra Grimal passe à la voix, quand Sylvain Daniel fouille les sonorités aux pédales, quand Eric Echampard devient percussionniste coloriste. Et la, sur scène, c'est un peu le drame : la salle réverbère, le bar reste bruyant, mes voisines discutent au-dessus de leur téléphone, bref, y a pas grand-chose qui passe, alors que je suis au deuxième rang ! La magie opère quand même par moments, par exemple lors d'un long roulement de tambour, mais c'est rare.
Bref, je suis content de devoir à nouveau surveiller la page schedule, mais ne retournerai à cette Gare Jazz que pour des groupes bien tout en puissance plus qu'en subtilité ...

kankû


Le Crépuscule des Dieux / Gergiev - Mariinsky (Philharmonie de Paris - 23 Septembre 2018)

Pour cette ultime journée, j'échappe in extremis à l'arrière-scène pour me retrouver à un bien plus propice deuxième balcon. Comme d'habitude, le premier acte me gonfle gentiment (en y sauvant cela dit un très beau voyage sur le Rhin - l'orchestre est toujours impeccable). Dans le deuxième acte, l'absence de mise en scène atteint ses limites, surtout quand Tatiana Pavlovskaya interprète Brünnhilde assez platement, sans jamais que je ne me sente concerné par ses tourments. Et le couple Gutrune / Gunther de Elena Stikhina / Evgeny Nikitin est trop puissant et charismatique par rapport à Brünnhilde / Siegfried. Mais la richesse de la musique du troisième acte suffit amplement à mon bonheur. Au final, les révélations de cette tétralogie sont incontestablement Elena Stikhina et Mikhail Petrenko.

la damnation des dieux

Ailleurs : Patrice Imbaud

Siegfried / Gergiev - Mariinsky (Philharmonie de Paris - 22 Septembre 2018)

Comme pour le premier épisode, je suis très sur le bord, ce qui est fort agréable pour écouter l'orchestre, et plus problématique pour les voix. Le premier acte ressemble à un concours de puissance sonore entre le Mime de Andrei Popov et le Siegfried de Mikhail Vekua, et je n'y prends guère plaisir (mais les scènes de forge, et l'air de Notung, sont toujours aussi irrésistibles). Au deuxième acte, les voix sont plus nombreuses et variées, entre le charme de l'oiseau d'Anna Denisova et surtout le magistral Fafner de Mikhail Petrenko : je surplombe tant l'orchestre que je ne le vois pas, mais sa voix semble en effet résonner dans une grotte, et c'est très impressionnant. Et puis, pour achever ce voyage de l'obscurité de la forêt toute testéronée vers le sommet d'une montagne, on a, après une Erda un peu trop hors d'âge, la Brünnhilde de Elena Stikhina, prodigieuse, une voix d'une luminosité sans aucune trace d'effort, une évidence qui emporte tout et tous les suffrages, pour un réveil miraculeux.

siegfried

Ailleurs : Patrice Imbaud