dimanche 29 mai 2011

Alexandra Grimal solo (Atelier du Plateau - 28 Mai 2011)

alexandra grimal

Dernière prestation d'Alexandra Grimal pour cette saison de résidence à l'Atelier du Plateau : cette fois, c'est en solo. La salle est remplie de connaissances familiales et professionnelles (le grand frère, la maman, des producteurs de France Musique je crois, ou encore Jeanne Added ...). Elle commence par un peu de souffle, qui enfle et rugit rapidement. Peu à peu, cela devient comme un jeu d'escaliers parcourus en tous sens, certains majestueux, d'autres plus étroits et abrupts, parfois pris à contre-sens. Elle passe d'un saxophone à l'autre pour prolonger le discours, plus violent au soprano, plus moelleux au ténor. Il y a des pages rageuses à la densité coltranienne, d'autres d'une douceur debussyste. Il y a des syllabes qu'elle lance comme des ponctuations, comme des points d'appui, ou comme des bourdons. Les fins de séquence sont souvent très brusques, sans même tentative d'atterrissage, elle s'arrête en plein milieu d'une phrase et puis c'est tout.
Le solo n'est pas la formule qui lui convient le mieux (j'admire sa qualité d"écoute de ses partenaires, et là, y a pas), mais la démarche reste intense et intègre, elle ne triche pas avec des trucs et astuces, il y a des passages à vide et d'autres qui harponnent, dommage qu'elle arrête parfois trop vite des séquences qui promettaient beaucoup (mais qui pour elle sentaient peut-être la redite, qu'en sais-je).

alexandra grimal

Ailleurs: CitizenJazz
Spotify: En quartet Seminare Vento, en duo Ghibli, en trio vocal Birgitte Lyregaard - Blue Anemone.

Les Concerts Gais - Programme 4 (Oratoire du Louvre - 27 Mai 2011)

Pour ce concert donné en Commémoration de la Déportation Homosexuelle, aux musiciens des Concerts Gais se sont associées deux chorales, les Gamme'elles, et les Dodecamen.

Max Bruch - Romance pour alto et orchestre op. 85

Créée en 1911, cette pièce ne profite guère des inventions d'Erwartung, par exemple ... Mais pour de la musique romantique, elle est très agréable, "tendre et noble, [...] le fruit et le reflet d'un apaisement enfin atteint" dit le livret, et j'agrée, l'image qu'elle me donne est d'un vieil homme auprès de son chalet cossu à flanc de montagne respirant avec bonheur, loin des agitations de sa jeunesse dans la ville qu'on aperçoit au loin dans la vallée.

Robert Schumann - Konzertstück pour 4 cors et orchestre, op. 86

Quatre cors, ça rutile, et ça envoie de la dorure ! Parmi les cornistes solistes, il y a une femme, ce qui doit être statistiquement assez rare. Quelques spectateurs applaudissent à la fin du premier mouvement, mais personne ne le leur reproche, c'est bien.

Gustav Mahler - Ich bin der Welt abhanden gekommen

Les choses sérieuses commencent après le court entracte (pas de local adéquat pour mettre en place une buvette, je suppose et le regrette), avec l'entrée des deux choeurs.
Le livret n'indique pas d'où vient cette adaptation pour orchestre et choeur de ce dernier lied des Rückert-lieder. Est-ce un collage au-dessus de la partition orchestrale originelle de la transcription pour choeur de Clytus Gottwald ? En tous cas, c'est beau. On rejoint l'atmosphère apaisée de la Romance de Bruch, mais en bien plus profond. Quelque-chose d'éternel, un flottement hors-temps.

Gabriel Fauré - Pavane, op. 50

Mais le sommet du concert fut cette pavane, tube bien connu, mais dans une version moins souvent entendue avec choeurs, ce qui lui redonne de l'éclat, avec la drôlerie (sans doute involontaire !) du texte, et le contrepoint dialogué que les voix ajoutent au-dessus de la ritournelle. Beaucoup de plaisir.

Frédéric Chopin - Ballade n°4, OP. 52 (orchestration d'Anthony Girard)

On me dit que la partition par pupitre est fort compliquée, alors que le rendu global sonne très classique, ce qui n'est pas forcément le signe d'une bonne transcription. A part ça, aucun souvenir.

En bis, ils nous redonnent la "Pavane", qui du coup accompagne très agréablement le chemin du retour.

concert gai

Ailleurs: Joël (pour le concert du lendemain, sans choeurs, mais avec buvette et pop-corn).
Spotify: Yuri Bashmet – Bruch: Romance for Viola & Orchestra, Op. 85, Accentus – Mahler: Ich bin der Welt abhanden gekommen, The Academy of St. Martin in the Fields – Fauré: Pavane, Op.50

samedi 28 mai 2011

Courtois Quartet, Sclavis Quintet (Le Triton - 26 Mai 2011)

Vincent Courtois Quartet

Ce pourrait être un quartet de Jazz vocal assez classique - sauf que ce ne l'est pas. A la place d'un simple batteur, on a François Merville, qui y ajoute un rôle de percussionniste rubrique accessoiriste, avec tout plein d'objets divers pour frapper les peaux des tambours ou juste agiter en l'air pour faire du bruit. A la place du contrebassiste, on a Vincent Courtois, qui non seulement officie sur un violoncelle, mais l'équipe d'un tel dispositif électronique qu'il en fait varier le son, depuis une contrebasse jusqu'à une guitare électrique, volontiers saturée. A la place de la chanteuse de Jazz, on a Jeanne Added, une présence à l'intransigeance Punk-Rock, capable de psalmodier du "lalala" rugueux, puis de faire défaillir l'audience d'émotion (par exemple dans "Faible et faiblissant"). Et à la place du saxophoniste, on a Yves Robert, au trombone, et également, je l'y préfère, à la flûte. Ce dernier est le seul à ne pas avoir d'électronique à sa disposition pour perturber sa musique. Ce qui le range d'ailleurs un peu en marge du reste du groupe, où il est arrivé le dernier, et où il représente l'aspect le plus classiquement Jazz, alors que les autres ne sont jamais vraiment dans ce territoire-là.
Où sont-ils, alors ? Dans de l'expérimental plus ou moins bruitiste, dans de la chanson déclamée presque à nu, dans de l'énergie rock déchaînée ; le paysage est vaste. Le slogan du premier album "what do you mean by silence" me semble un peu lointain : c'est plus le bruit qui prend le contrôle (mais si John Greaves décide que "The Rest is Silence", Alex Ross préfère croire que "The rest is noise", donc tout cela est très cohérent).
Et cohérent il l'est, ce projet, paradoxalement (même si les interventions d'Yves Robert peinent encore à s'inscrire parfaitement au milieu des autres, mais peut-être est-ce voulu, ou du moins assumé), dans ce mélange de sons malpolis, d'émotions brutes, de climats violemment changeants.
Pour le bis, Louis Sclavis et Matthieu Metzger viennent ajouter leur énergie, dans un morceau rock épique et incendiaire.

vincent courtois quartet au triton vincent courtois quartet au triton

Louis Sclavis Quintet

Nous voici dans des territoires plus conventionnels, si on veut. A la batterie, nous avons de nouveau François Merville, mais dans un rôle beaucoup plus classique de batteur, dynamique et énergique. Accolé à la basse électrique d'Olivier Lété, cela donne une base rythmique solide et puissante. D'autant plus que s'y rajoute à la demande la guitare facilement rugissante de Maxime Delpierre. Et devant, on a les flux entremêlés des clarinettes de Louis Sclavis et des saxophones de Matthieu Metzger.
Si certains démarrages de thème, en chorus puissants, me font beaucoup penser à Henri Texier, le développement des morceaux est plus complexe, aventureux et risqué en terme de structure, avec des solos qui se superposent, et une énergie plus grande, quand la guitare s'allie à la basse électrique.
Mais le meilleur du groupe reste dans les solos foudroyants, d'une vélocité virevoltante étourdissante, de Sclavis et Metzger, impériaux.

louis sclavis quintet au triton

Spotify: Bruno Ruder, Jeanne Added & Vincent Lê Quang – Yes is a Pleasant Country, Tchamitchian, Roy, Courtois – Amarco, Louis Sclavis – Lost On The Way, Delpierre – Mutatis Mutandis

vendredi 27 mai 2011

Olivier Le Goas Unit (Studio de l'Ermitage - 25 Mai 2011)

Ce concert, je l'ai choisi non pour les participants, puisque je ne connaissais aucun des musiciens présents ce soir, mais pour la salle, puisque c'était l'occasion de la découvrir. Très agréable petite salle, et finalement très agréable petit concert.

olivier le goas unit au studio de l'ermitage

Les musiciens commencent à trois puis accueillent Kenny Wheeler, avec qui ils ont enregistré l'album Sur les corps des klaxons. La structure des morceaux est simple : thème, suite de solos (qui sont applaudis, habitude qui tend à se perdre, peut-être parce qu'ils ne sont pas généralement si clairement séparés que ce soir), conclusion. La plupart des thèmes viennent de Kenny Wheeler. On est souvent dans la balade, ou le mid-tempo.

Le batteur et ici leader Olivier Le Goas est représentatif d'un type de batterie Jazz avec lequel j'ai un peu du mal. C'est un jeu très pensé, posé, avec plein de petites incises et dérives, mais qui ne propulse pas le discours. Une construction très ouvragée, pleine de détails, là ou j'attends plus un moteur. Cela s'arrange un peu dans la deuxième partie, où le jeu semble partir un peu moins de la tête et un peu plus des tripes, où il prend même des solos.
J'ai l'impression qu'il doit être très confortable d'avoir Marc Buronfosse comme compagnon à la contrebasse : un son rond, un swing précis, une présence solide et très rassurante. Du beau travail.
Celui qui est accueilli avec les honneurs d'une star, c'est le trompettiste canadien Kenny Wheeler, octogénaire, qu'il faut aider à s'installer sur scène, et qui donne des solos simples, très chantants, naturels (il est chez lui après tout, ce sont essentiellement des morceaux à lui qui sont joués).
Du coup, la part d'exploration plus aventureuse des thèmes, ce sera pour le guitariste David Chevallier, qui cherche des chemins de traverse, alterne entre trois guitares sèches ou électriques, et est armé d'une collection de pédales et boitiers d'effets, pour finalement conserver les mêmes sons d'un bout à l'autre du concert.

Le tout donne de la belle ouvrage, pas spécialement révolutionnaire ni torride, mais agréable et respectueux.

olivier le goas unit au studio de l'ermitage

Spotify: Olivier Le Goas – Seven Ways, Kenny Wheeler, Brian Dickinson – Still Waters, Marc Buronfosse – Face the Music

jeudi 26 mai 2011

La Voix est libre - Rhizomes (Bouffes du Nord - 24 Mai 2011)

Comme le dit le présentateur en introduction, les Bouffes du Nord ça peut être la rue, ou un temple. La première partie sera "la rue", avec croisements de personnalités hétéroclites et interactions improvisées, la seconde partie sera "le temple", avec un spectacle très écrit.

Débordanses

Des représentants d'univers musicaux et chorégraphiques très divers sont invités à se croiser et à interagir, en une suite de rencontres enchaînées. Le tout est mis sous le parrainage d'Edouard Glissant (la créolisation du monde en modèle de ces improvisations pluridisciplinaires) dont on commence par entendre un court discours. C'est aussi en parrainage que vient jouer en solo uniquement Jacques Coursil, qui lance comme un doux appel à la trompette, aux esprits ou à l'harmonie, avant de disparaitre. Les choses sérieuses commencent avec Mossim Hussain Kawa aux tablas, bientôt rejoint par le saxophoniste Raphaël Quenehen et le tap dancer Tamango (magistral et élégant, dans la musique comme dans la danse, interventions pleines d'humour et de joie, et de force aussi, quand un petit système d'écho renforce la puissance de son piétinement d'une profondeur plus grave), puis par l'excellent batteur Sonny Troupé (dont les origines guadeloupéennes peuvent s'entendre dans des échos gwo-ka, je le verrais bien jouer avec David Murray !). Forte présence rythmique, donc, avec Troupé, Kawa, Tamango. Cela se renforcera par le beatboxeur et bruiteur L.S.O, et même par Dgiz, à la contrebasse et au slam, très charismatique performeur. L'autre aspect marquant, c'est la danse, avec déjà Tamango, un peu L.S.O et Dgiz, et spécifiquement la danseuse Antoinette Gomis, ondoiements sensuels issus de l'Afrique, et le danseur Mathieu Desseigne, acrobaties issues du cirque (via Alain Platel). Lorsque Bernard Lubat, après un passage "poétique" assez plat, s'installe au piano, le quatuor Lubat - Troupé - Dgiz - Quenehen fonctionne beaucoup moins bien (parce que Dgiz est meilleur en showman qu'en contrebassiste de jazz, et qu'un véritable trio de jazz batterie-contrebasse-piano ... ça ne s'improvise pas). Mais Lubat réussit à perturber un peu le cours de la soirée en exigeant du public qu'il réagisse en scattant, de manière collective, et, plus difficile, de manière individuelle.

la voix est libre - rhizomes - débordanses

Ivresses : Le sacre de Khayyam

Et maintenant quelque-chose de totalement différent. Le chanteur perse iranien Alireza Ghorbani et la chanteuse arabe tunisienne Dorsaf Hamdani unissent leur voix autour des poèmes d'Omar Khayyam sur l'ivresse (et hantées par la mort, la tonalité est souvent funèbre), entourés de musiciens arabes et perses, Sofiane Negra à l'oud, Ali Ghamsary au tar (mais des problèmes de larsen le forcent à passer au "divan", et ça tombe bien, il abandonne au passage un coté guitar-hero peu convaincant, pour jouer avec plus de beauté naturelle), un remplaçant dont je n'ai pas retenu le nom au kamantché, et les percussionnistes Keyvan Chemirani et Hussein Zahawy (étrangement, c'est Zahawy qui semble diriger les échanges, mais c'est Chemirani qui prendra la parole à la fin pour remercier tout le monde).
Les deux voix sont splendides. Comme je ne connais pas grand-chose à la musique classique arabe, je trouve la voix de Dorsaf Hamdani proche de celle de Natacha Atlas ... Celle d'Alireza Ghorbani est souvent proche du chant harmonique (voyelles vibrées du chant soufi), et d'un velouté extraordinaire. Tous ces musiciens restent sagement assis, mais ce sont nos âmes qui voyagent. Merveilleux.

la voix est libre - rhizomes - ivresses : le sacre de khayyam

Ailleurs: La première partie a été enregistrée par ArteLive Web, et la seconde l'avait également été lors d'un festival précédent. Les deux sont disponibles pour encore plusieurs mois : Débordanses, Ivresses.
Spotify: Dgiz – Dgiz-Hors, AliTarighat – Primal Chalice (Jam-e-Alast), Alireza Ghorbani – Kif-e-Engelisi(The English Bag)

lundi 23 mai 2011

Médéric Collignon solo (Galerie Hus - 22 Mai 2011)

A peu prés remis d'un hernie discale qui l'a immobilisé plusieurs mois, Médéric Collignon revient en piste, bonne nouvelle ! Le voici dans un nouveau lieu de concert, la galerie Hus, une galerie d'art animée par un couple qui a découvert la musique improvisée dernièrement et suit les conseils de Joëlle Léandre (quelle meilleure marraine possible ?) pour la programmation d'un concert toutes les trois semaines avec, à moins que j'ai loupé quelque-chose, seulement une boîte à l'entrée où chacun glisse la somme qu'il veut ! Une forme de sponsoring, donc.
Collignon commence sur les chapeaux de roues, un zapping de techniques impressionnant, avec un peu de cornet à moitié démonté, des jouets sifflants qu'il utilise deux à la fois, des triangles qu'il glisse dans la bouche, des jeux de voix, des frappes rythmiques sur le corps et le visage, et tout cela en combinaison diverses et variées, un peu comme s'il faisait d'entrée de jeu le tour de toutes les cartes qu'il a en main.
Cela fait, le déferlement se calme un peu, et il installe plus les climats successifs, avec finalement plus de voix que de cornet, et une très grande implication corporelle (ce qui n'est pas forcément indiqué suite à son accident, mais on ne se refait pas, et c'est là la manière dont la musique s'empare de lui). On sent aussi qu'il se lance des défis en cours de route, peut-on reprendre le même son à la voix que celui du cornet, ou des interrogations, peut-on utiliser les triangles avec les pieds. C'est intense, ludique, imaginatif, spectaculaire.

médéric collignon médéric collignon

Après ce set d'une demi-heure d'une traite, les galeristes et une poignée d'enfants apportent une kyrielle de petits plats et de carafes, habitude des vernissages sans doute, et on se sent encore plus invités plutôt que clients ! Peut-être sommes-nous proches de l'ambiance des "concerts à la maison", avec des hôtes recevant amateurs et artistes (amateurs découvrant pour certains ce genre de musique, vues les questions posées à Collignon !).

Ca papote et grignote une bonne demi-heure, puis Collignon remet ça, pour une vingtaine de minutes plus posées, d'abord au cornet, puis au chant très mobile, et pour finir sur une séquence magnifiquement poétique de souffle polytonal, qui évoque comme le vent au-dessus du désert, un espace vide essentiel, existentiel, qu'il peuple enfin de chants d'oiseaux tropicaux, un dépaysement particulièrement sauvage.

médéric collignon

Ailleurs: JazzMag
Spotify: Pas de disque sorti depuis Shangri Tunkashi-La, mais il envisage un disque solo (une partie en prise directe, performance brute, et une seconde en travail multi-pistes de studio). Miam !

dimanche 22 mai 2011

Zingaro Léandre Benoit (Instants Chavirés - 21 Mai 2011)

C'est ma première venue dans cette salle des "Instants Chavirés", un hangar grossièrement réaménagé avec une scène, des chaises, et quelques projecteurs, mais sans aucun charme. Par contre, la sélection de bières au bar est remarquable de diversité.
Le trio de la soirée se décomposera assez explicitement en 2 + 1 : d'un coté, la contrebassiste Joëlle Léandre et le violoniste Carlos Zingaro, qui se connaissent bien, et qui réagissent en commun, que ce soit en imitation ou en contrepoids ; de l'autre, le guitariste Olivier Benoit, toujours un peu en marge, à proposer autre chose.

zingaro léandre benoit

Comme j'ai souvent vu Léandre en cette année où elle fête ses 60 ans par de si nombreux concerts, je discerne certains modes de jeux récurrents. Matière épaisse, essentiellement à l'archet, terrestre mais très mobile, en ondulations continuelles, traversée par de grosses vagues d'énergie. Recours à la voix, mais non systématique, transe amérindienne, scat scatologique. Carlos Zingaro l'accompagne sur le même registre d'énergie fusante, alterne entre différents archets, dont un surprenant très courbé et souple, qui permet de parcourir toutes les cordes en même temps (mais sans que le résultat sonore ne change vraiment, en fait !).

A coté, Olivier Benoit utilise une guitare, seulement deux pédales d'effets, et quelques objets métalliques, mais en tire des ambiances sonores très surprenantes, une musique très intime et personnelle, obtenue par une connaissance précise des possibilités de sa guitare. Il me donne l'impression de les explorer comme s'il s'agissait de zones érogènes, en caresses, frottements, frappes délicates, et elle y répond avec grand plaisir. Par contre, il a un peu du mal à se mettre vraiment en avant, et reste en arrière-plan.

Séquences d'une dizaine de minutes, pour un set d'une grosse heure, où les morceaux se ressemblent un peu tous.

zingaro léandre benoit

Spotify: Carlos Zingaro / Joelle Leandre / Sebi Tramontana – The Chicken Check In Complex, Régis Huby – Simple Sound

samedi 21 mai 2011

Le Balcon - New York Monsters (Eglise Saint Merri - 20 Mai 2011)

C'est en discutant à la fin du concert précédent que j'apprends l'existence de celui-ci, donné par un ensemble très jeune et atypique, Le Balcon, amateur de nouvelles technologies (théâtralisations, concerts spatialisés, enregistrements vidéos ...).

Phill Niblock - Three Orchids

Nous entrons dans l'église avec du retard sur l'horaire prévu, mais c'est parce que les musiciens ont déjà pris place pour nous submerger dans le son de ce morceau assez typique de Phill Niblock, compositeur très connu d'un certain New-York, mais fort peu en Europe. Quelques flutes et quelques cordes jouent une seule et même note, tenue le plus longuement possible puis reprise, mais en multipliant les micros-intervalles (de ce que je comprends, on leur demande de jouer subtilement faux ...). Le son obtenu, une note unique mais remplie de sous-couches harmoniques en constants renouvellements, est très fortement amplifié. Certains habitués des concerts classiques n’apprécient vraiment pas l'intensité du son, et ne considèrent pas cela comme de la musique. En est-ce, d'ailleurs ? Cela ressemble plus à une installation / performance, et pour les spectateurs à une expérience sonore. C'est comme regarder un instant de son au microscope, d'en scruter les variations comme d'une couleur huileuse. C'est intéressant, comme on dit, mais j'ai l'impression que cet artiste fait toujours un peu la même pièce, changeant juste d'instruments d'une fois sur l'autre, mais obtenant à peu près le même effet. Cela dit, on pourrait dire pareil des peintures de Rothko ...

Alex Minceck - Pendulum 7 (version 1)

C'est comme une suite d'épisodes de musique statique, mais où le statisme serait à chaque fois obtenu par une méthode différente. Tout l'ensemble peut être pris comme un gros appareil mécanique répétant une phrase cliquetante, ou on peut avoir une superposition de boucles plus classiques, etc. Ca m'a fait penser à plusieurs moments à "Vortex Temporum", ce qui n'est pas rien. D'ailleurs, c'est sans doute l'oeuvre de "jeune compositeur" qui m'a le plus plu de ces quelques dernières années. Il y a l'aspect bruitiste, mais allié à de l'étude rythmique et à une pensée compositionnelle entre évidence et mystère, qui donne fortement envie de réécouter et de découvrir d'autres pièces. Seule la fin de la pièce est moins captivante, trop longue à s'arrêter (une recontextualisation du problème de l'hydravion).

Aaron Einbond - Cabinet des Signes II

Une bande sonore diffuse des chants d'oiseaux, des bruits de rivière, plus tard des échos d'altercations (à moins que ceux-ci ne soient réels, quelques personnes dans la rue à coté de l'église mènent grand tapage). Les musiciens commencent par souffler dans des bouteilles de bière. Le point d'orgue de la pièce est un solo de saxophone, qui se souvient de Jazz Free, intense. Le déroulé laisse deviner un scénario, avec à la fin retour à la case départ, une sorte de voyage peut-être, de la campagne à la campagne en traversant une ville.

Morton Feldman / Samuel Beckett - Words and Music

"Words and Music" est une pièce radiophonique écrite par Beckett en 1961. Elle oppose deux personnages "Words" (joué par un comédien) et "Music" (joué par un petit ensemble instrumental) qui tentent vainement de répondre aux commandes d'un certain "Croak", qui leur demande de réagir aux mots "amour", "vieillesse" et "le visage". Déçu par les réponses trop automatiques ou tournant à vide, le despote disparait, et "Words" essaie peut-être de prendre sa place. En 1987, Morton Feldman compose la partie "Music" à partir des indications laissées par Beckett (du genre : "Humble muted adsum; Soft music worthy of foregoing; Irrepressible burst of spreading and subsiding music").
Le Balcon met en scène cette pièce radiophonique, dans un esprit minimaliste (le décor est fourni par l'église) et débrouillard (les acteurs lisent leur texte). C'est la création de la version française (je ne sais pas qui a traduit, et quand). L'alliage Beckett / Feldman fonctionne bien, mais je pourrais imaginer une musique plus ironique peut-être, par Kagel par exemple. Avec les moyens limités de cet ensemble, le résultat est très réussi, et on sent l'enthousiasme de la troupe à nous présenter cet opus un peu ovni.

words and music

Spotify: Phill Niblock – Young Person's Guide to Phill Niblock (YPGPN), Alex Mincek – Nucleus, Morton Feldman – Last Pieces

2E2M - Lazkano 6 (Conservatoire à rayonnement régional de Paris - 19 Mai 2011)

L'ensemble 2E2M organisait cette année un cycle de concerts à l'auditorium Marcel Landowski du CRRP (jolie salle, confortable et intimiste) autour de Ramon Lazkano. On commence par un débat public où les compositeurs présentent leur oeuvre et discutent sur le rythme et la vitesse, leur façon de travailler, et autres questions habituelles. Puis place à la musique.

avant le concert

Sébastien Gaxie - Live sampling 1

C'est un concerto pour violoncelle, d'une forme simple (A B A' B' ...) où l'orchestre reprend toujours en plus ou moins déformé l'énoncé du violoncelliste Frédéric Baldassare. On y trouve du contrepoint à la Bach, de la mélodie de timbres à la Webern, mais pas grand-chose de vraiment marquant. Gaxie explique que c'était une forme de divertissement après une pièce pour l'IRCAM beaucoup plus complexe, et puis il est encore jeune ...

Fabien Levy - A propos

Chacun des 4 mouvements de cette pièce pour flûte clarinette violon violoncelle et piano (formation "taléa" mais j'ignore qui l'a utilisé en premier) s'inspire d'une oeuvre en art plastique. "Les automates internes de Tim Hawkinson" grouille de mécanismes d'horlogerie comme des robots insectoïdes, "Quand Jeff Wall regarde Hokusaï" est imprégné de la lenteur et de la poésie du Gagaku, "Rouge Burri" s'offre un coup de violence, "Rajeunir, par Penone" retourne vers l'innocence des sifflotis, claquements de langues, et autres sons semi-musicaux.
Mais il y a contamination croisée, de mystérieux silences peut-être issus du 2 s'installent soudain n'importe où, les mécanismes du 1 persistent un peu partout, la violence du 3 n'est qu'une densification accélérée des principes précédents, le 4 présente peut-être un résumé camouflé. Et partout, il y a une clarté d'écriture et une pulsion à étages qui séduit et entraîne. Faudrait vraiment qu'AEON se bouge et propose une monographie de Lévy ! En attendant, vous pouvez écouter cette oeuvre et d'autres sur le site du compositeur.

Claudio Monteverdi - Madrigali, Libro V

L'inverse du concept "un cheval une alouette" où une pièce contemporaine est proposée en apéritif d'un concert classique, voici un peu de Monteverdi au milieu de pièces contemporaines, qui plus est avec chanteurs, bon, pourquoi pas, c'est tranquille, pas grand-chose à dire.

Ramon Lazkano - Egan-4

C'est un orchestre qui gronde et bouillonne sourdement, où on sent une énergie souterraine qui travaille, un effort pour pouvoir surgir. Mais l'"envol" (c'est ce que "Egan" signifie) final me laisse peu de souvenirs. Difficile de juger une pièce qui se présente comme renvoyant aux interrogations des trois épisodes précédents non entendus, et comme conclusion de tout un cycle dont j'ignore tout ... Il aurait fallu être là aux précédents concerts !

après le concert

Ailleurs: Zvezdo
Spotify: Ramon Lazkano - Aztarnak, Sébastien Gaxie – Lunfardo

mercredi 18 mai 2011

Ambrose Akinmusire Quintet (Maison des Cultures du Monde - 17 Mai 2011)

Alexandre Saada

Un petit set de piano solo pour commencer la soirée. Alexandre Saada possède une belle technique, issue du classique, au point qu'il décide, en troisième morceau, et en s'en excusant, de jouer, avec la partition, une pièce de Debussy, dont la musique lui a semblé soudain être particulièrement proche de son propre univers. Modestement présentée, tendrement mélancolique, subtilement colorée, joliment improvisée, c'est aussi un peu passe-partout, et à la longue un brin soporifique. Quoique sur ce dernier point, le fait que je m'endorme aussi dans la deuxième partie, d'un pourtant tout autre tonneau, pourrait indiquer que c'est moi qui était particulièrement en manque de sommeil ...

Ambrose Akinmusire quintet


ambrose akinmusire quintet

Le trompettiste commence par un solo, où il affiche toute sa virtuosité, changeant, dans la même phrase musicale, d'intensité, de texture, de mode de jeu, sans que cela n'ait toujours grand sens musical. Mais ça impressionne, c'est clair ! Walter Smith III au saxophone ténor apporte un beau contrepoint, un son confortable et plus apaisant que son chef, et des solos plus construits sur la longueur, qu'il enflamme lentement, alors que Akinmusire est plus friand de courtes séquences pétaradantes d'idées et brillantes de mille feux. Leurs joutes croisées sont très réussies.
Pour les soutenir, le batteur Justin Brown et le contrebassiste Harish Ravaghan sont du genre énergique, pour ne pas dire bruyant. Le concert se conclura presque sur un solo de batterie interminable et lourdingue. Lorsqu'ils sont bien lancés tous les deux, le pianiste Sam Harris devient quasiment inaudible, et se contente sagement de plaquer quelques accords.
Les prestations des musiciens sont plus impressionnantes que touchantes, et pourtant la musique présentée aurait méritée peut-être plus de retenue pour atteindre plus d'émotion. D'ailleurs, le bis commence aussi par un solo d'Akinmusire, mais cette fois la musicalité l'emporte sur le spectaculaire et cela donne un moment magique.

ambrose akinmusire quintet

Ailleurs: Criss Cross, TouteLaCulture
Spotify: Alexandre Saada – Present, Ambrose Akinmusire – When The Heart Emerges Glistening, Walter Smith III – III

Tineke Postma Quartet (Duc des Lombards - 16 Mai 2011)

Tineke Postma présente son nouvel album sur deux soirs au Duc, au sein du quartet totalement hollandais avec qui elle l'a enregistré. Tous les morceaux joués seront donc extraits de ce "Dawn of Light", sauf le bis.
Le batteur Martijn Vink et le contrebassiste Frans van der Hoeven se partagent les rôles à la manière d'un Drum'n'Bass : batterie ultra-rapide mais légère, avec beaucoup de cymbales aux longues résonnances bruitées, de roulements secs et aigus, plus de caisse claire que de grosse caisse, et contrebasse lente, presque minimaliste par moment, pour ancrer le tempo. Leur duo est suffisament souple et uni pour structurer les morceaux par le rythme, souvent changeant, en arrêts et relances, accélérations, pauses silencieuses, qui donnent du relief et de l'intérêt à des compositions par ailleurs très classiques, modales, aux changements d'accords bien marqués.
Le pianiste Marc van Roon me déçoit ce soir par rapport à l'album : trop subtilement classique pour ne pas être fade quand l'inspiration manque. Mais Tineke Postma rattrappe aisément, et tient l'essentiel du discours lyrique. Elle alterne entre alto et soprano, et souffle dans les mélodies des arabesques échevelées, mais où toujours reste, même dans les moments les plus enfiévrés, une pointe de brume, de flou, d'un paysage rêveur, une lumière douce et légèrement languide. Présentation très professionnelle entre les morceaux, "merci beaucoup thank you very much", un peu trop froide du coup, mais le public du Duc des Lombards n'est pas le plus facile pour établir une connivence.

Spotify: Son premier album First Avenue, le deuxième For The Rhythm, et le nouveau cinquième The Dawn of Light.

dimanche 8 mai 2011

Steve Coleman and the Five Elements (Cité de la Musique - 5 Mai 2011)

En fait, les "5 Elements" ne sont pas un groupe fixe accompagnant Steve Coleman, mais représentent plus une démarche musicale (basée sur des combinatoires mathématiques). Au cours des années, la structure a fortement changée, et d'un groupe rythmiquement assez agressif, on en est arrivé à une formule sans paire rythmique. A quoi servent une batterie et une contrebasse, quand toute la musique respire si profondément les polyrythmies ? Leur disparition allège l'ensemble, et permet d'y superposer un travail de contrepoint stupéfiant.
Comme pour les précédents spectacles que j'ai vu avec Steve Coleman, il y a un sens de la retenue, un refus du laisser-aller, une concentration des musiciens autour de la conception musicale voulue par le leader, qui peut crisper, ou désarçonner. Mais le public ce soir semble très réceptif, et le groupe est chaleureusement ovationné.
Pas de contrebasse, soit, mais l'habituel guitariste Miles Okazaki en fait office la plupart du temps, restant assez discret. A ses cotés, David Virelles au piano, le seul nouveau venu. Les autres compagnons sont d'autres habitués, Jonathan Finlayson à la trompette, et Jen Shyu à la voix.
Les morceaux forts longs déroulent leurs mélodies en pleins et en déliés, selon le nombre des instruments jouant simultanément, les départs et les arrêts, ainsi que les "solos" si on peut les appeler ainsi, semblant se décider à l'instinct et à l'écoute les uns des autres, exercice de funambulie collective assez prodigieux d'inventivité et de cohésion. En particulier, la voix de Jen Shyu, qui à la longue m'énervait souvent, est ce soir particulièrement bien fondue dans la trame sonore, après les réglages un peu difficiles du début du concert.
Les interventions ne sont pas vraiment des "solos" parce qu'elles ne cherchent pas le coup d'éclat, la flamboyance, la performance personnelle, mais plutôt l'enrichissement de la trame collective, par une couleur ou une ligne mélodique adéquate. Et c'est un tissage fluide, changeant, d'une souplesse remarquable, qui se déploie. Un passage en claquements de mains permet d'apprécier encore mieux la subtilité et la complexité des rythmes mis en jeux, tant l'exercice semble naturel pour les musiciens et impossible à reproduire pour nous auditeurs. Steve Coleman passera aussi à la voix vers la fin du concert.

Le bis ne sera pas la partie la moins surprenante ! Les musiciens reviennent mais sans Steve Coleman (qui pour toute parole dans cette soirée aura présenté, en annonces longuement séparées, les musiciens l'accompagnant), et se lâchent dans un morceau très éloigné du M-Base, le pianiste et la chanteuse en particulier se lançant dans une expressivité immédiate qu'ils avaient jusques-là du réprimer, et c'est aussi splendide !

Ailleurs: On peut encore profiter de la performance Lingua Franca, disponible en vidéo sur ArteLiveWeb, que chroniquait Alex Dutihl et en commentaire Laurent Coq. JazzMag commentait un concert du même ensemble il y a quelques mois.
Spotify: Un classique, Steve Coleman – On the Rising of the 64 Paths ; cette même année 2002, Jen Shyu sur "For Now" interprétait des standards ! ; le guitariste Miles Okazaki sur "Mirror" reste lui plus près de Coleman.