samedi 25 février 2006

Monnet - Ligeti - Stravinsky (Cité de la Musique - 24 Février 2006)

Marc Monnet - Mouvement autre mouvement (en forme d'étude)

Pour cor et ernsemble, cette pièce est composée de deux types de moments alternés : des séquences dirigées, aux rythmes assez complexes, et au climat plutôt enlevé, et d'autres non dirigées, plus introspectives, où le cor a plus de champ libre. Ce sont ces dernières qui ont ma préférence, les premières manquant d'originalité et de profondeur. Quelques scories, comme cette charleston sur laquelle le soliste doit marquer un tempo banal et inutile. D'étranges réminiscences de Wagner, mais ce doit être moi. La longueur de l'oeuvre, proche de la demi-heure, son découpage intensif, qui fait qu'elle retombe continuellement dans le silence, ne la rende pas facile à apprécier en entrée de concert. Plus généralement, la façon dont, dans le livret, Marc Monnet se présente et explique sa musique, dans une posture d'anti-conformiste rebelle et hors-sérail que le système tentera toujours de faire taire, n'arrange pas.

György Ligeti - Concerto pour piano

Un classique. C'est Hidéki Nagano qui s'y colle, et c'est Susanna Mälkki qui dirige l'EIC, en attendant d'en assurer la direction musicale à partir de Septembre prochain.
Nagano différencie presque trop les discours des deux mains, le feu roulant passant en arrière-plan, sur lequel les notes solos marquent lourdement. Le mouvement lent, "lento e deserto", se souvient des mouvements lents des concerti pour piano de Bartok ; le désespoir y est latent, puis lancinant, puis véhément, une magistrale réussite. Etonnant qu'il lui ait fallu plusieurs écoutes pour que Ligeti se rende compte de la nécessité d'ajouter des mouvements aux trois premiers. Le quatrième démarre par un échange très plat entre le piano et l'orchestre, qui se densifie peu à peu, dans un élan irrépressible. Interprétation formidable de précision, de netteté, impeccable.

Igor Stravinsky - Pulcinella

Je ne connaissais que la suite orchestrale, mais c'est l'intégrale qui est donnée ce soir, avec voix. Si la basse de Tigran Martirossian est un brin trop rude, et le ténor de Johannes Chum (qui remplace Topi Lehpituu souffrant) un peu fluet, Maite Beaumont, mezzo-soprano, ravit d'un velouté moelleux qui convient parfaitement à cette oeuvre ; et leurs voix en trio s'harmonisent à merveille. Le plaisir des mélodies de Pergolèse, à peine revues, des timbres juste un peu acides, parfois à la frontière de l'ironie, les rythmes simples et vifs, tout cela est parfaitement rendu ; il n'y a qu'à déguster sans arrière-pensée. Susanna Mälkii dirige un EIC augmenté (effectif quasiment doublé), pour un son ample et chaleureux, mais qui reste précis ; aux cordes, Hae-Sun Kang et Christophe Desjardins laisse chanter leurs instruments dans des couleurs fort séduisantes. Cela donne 40 minutes de musique qui pétille, qui gambade et qui chatoie.

Mise à jour : J'ajoute dans le Pot-Pourri les deux derniers mouvement du concerto pour piano de Ligeti, joué par Aimard, et la suite Pulcinella de Stravinsky, dirigée par Boulez.

jeudi 23 février 2006

de Bethmann/Codjia/Jannuska (La Fontaine - 22 Février 2006)

Alléché par la chronique enthousiaste de Samizdjazz, je suis allé hier soir à La Fontaine, bar du Xème arrondissement, transformé, avec les moyens du bord, en laboratoire de la création. Devant les instruments rangés serrés, les quelques rangées de chaises sont prises d'assaut par un public très jeune ; rester au comptoir permet finalement de mieux respirer, même si le contact avec les musiciens en devient plus distant.
A la batterie, Karl Jannuska. Alternant souplement entre baguettes, balais et mailloches, il crée une frise rythmique soutenue, assez dense mais jamais lourde ; dans les solos, assez rares, il expose une idée, puis une autre, puis une autre, parfois brutalement, et sans grand lien avec le morceau lui-même. Ce n'est qu'ensuite, par cet entretien, que je me rends compte que j'ai un disque où il joue ; sa prestation ce soir fut heureusement bien plus convaincante (ce disque m'ennuie...).
A la guitare, Manu Codija, déjà vu avec Texier au sein du Strada Sextet. Dans le premier set, les morceaux choisis (du Oregon entre autres me souffle le collègue), sonnent un peu trop lisses, et il choisit un son assez liquide, pour de grands solos voyages agréables mais qui manquent de mordant. La sélection du second set lui permet de se lacher bien plus : une ritournelle pop, une bonne gorgée de blues, de l'avant-garde presque bruitiste, il s'adapte avec bonheur, et chaque fois décolle dans de belles explorations sonores, qui vibrent de plaisir communicatif.
Enfin, au piano, le leader, Pierre de Bethmann. Je ne sais si c'était une petite forme de sa part, ou une inadaptation à mes goûts, mais sa façon de jouer ne m'a guère emporté. De longues introductions vaguement rêveuses mais manquant de la magie nécessaire à ce genre d'exercice, à de puissantes chevauchées mais sans passion, j'ai le plus apprécié son support en bons accords plaqués, et quelques jeux rythmiques en décalages monkiens, mais cela fut peu. Dans le second set, alors que Codija adoptait aussitôt le son et le style adéquat au morceau, lui pateaugeait quelque peu dans des idées répétées et trop semblables. Bref, peu convaincu...
A part ça, c'est étrange (nouveau pour moi) d'écouter du Jazz de qualité dans un bar, au milieu des conversations et des bruits de verre. Mais cela est une sorte de retour aux sources. Il y a quelques disques mythiques qui ont été enregistrés dans ces conditions...

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, des ambiances de bar, avec des pianistes... Ahmad Jamal au Pershing Lounge de Chicago, et, album ô combien indispensable, Bill Evans au Village Vanguard. Et un peu en gag, un morceau du mix que Booster a réalisé par Blue Note ; l'extrait sonore "Sam, bring me some champagne", est-il un extrait connu de film ?

mardi 21 février 2006

VSQVBTQ

Vous Savez Que Vous Bloguez Trop Quand ...
vous sentez venir l'overdose, sous le flux des commentaires idiots ou hargneux, méprisants ou méprisables, sur des sujets qui mériteraient un peu de finesse et de décrispation, au point de songer à vous désabonner (momentanément) de certains fils RSS.
Et puis, vous découvrez cette vidéo (via), et la bonne humeur revient !

Un pro de chez Flickr

Les limitations des comptes gratuits de Flickr sont bien prévues, qui semblant anodines, ne rebutent pas le chaland, et lui permettent de s'amuser à télécharger quelques photos. Mais rapidement, l'envie de stocker les vrais formats se fait plus forte, et les restrictions sur le nombre de "sets" ou sur la longueur du "photostream" deviennent suffisament irritantes pour inciter à acheter un compte "pro".
Bref, c'est fait.
Vous pouvez désormais admirer les photos dans toute l'étendue de leurs 9 Mp, ce qui étrangement n'améliore pas leur intérêt, mais permet de vérifier que nombre d'entre elles sont légèrement floues.
Pour que certains ne scrutent pas de façon trop détaillée les lézardes de la salle de bains, j'ai laissé les premières dans leur format mini.

lundi 20 février 2006

Alain Platel - vsprs (Théâtre de la Ville - 19 Février 2006)

Musique passionnante, danse virtuose, propos obscur.

Ne rien lire en avance d'un programme, permet parfois de jolies surprises. Par exemple celle de retrouver sur scène Aka Moon (youpi !), au milieu de l'ensemble baroque Oltremontano, accompagnés d'une soprano et de deux musiciens manouches. Le titre signifie "vêpres", en l'occurence celles de Monteverdi, pour la Vierge ; Fabrizio Cassol les a légèrement revues, en dosages variés, parfois laissées pures, ou aux rythmes juste soulignés par Stéphane Galland, parfois gardées à l'état de vague écho dans des périodes de jazz puissant et roboratif. Ces différents éléments, musique monteverdienne, jazz m-base, violon manouche, se coulent dans un creuset en produisant bien des étincelles, pour un alliage incertain, malléable, parfois splendide, parfois intriguant, passionnant presque tout du long. Ils sont sur scène, donc, une petite estrade au bas d'un iceberg fait de lambeaux de vêtements blancs. Ils s'avancent parfois, Galland pour un numéro de claquette, Michel Hatzigeorgiou pour un air de bouzouki, la cantatrice pour danser à son tour. A la fin ne restera que le violoniste, en une note tenue jusqu'à la douleur.

Pour équilibrer les 10 musiciens, 10 danseurs et danseuses. Un homme seul, au départ, qui se déplace comme en accéléré, se déshabille à moitié, en gestes affolés ; la salle rit, est-ce nécessaire. Une ex-acrobate contorsionniste naîtra difficilement d'un sac de jute, sur un pied, sur une main, puis tentera d'escalader l'iceberg, chutant et reprenant, telle Sisyphe. Il y aura des imprécations de noms de super-héros, des chants très doux venant des danseurs montés se perdre parmi les spectateurs, de l'humour, de la tendresse, de la sensualité, bref l'ordinaire. Mais surtout, beaucoup de tremblements, hystériques, incontrôlés, des corps dépossédés, aliénés, détraqués. Contraints ou exacerbés. Les performances sont admirables, les solos dévastateurs, les séances d'ensemble quelque peu éprouvantes.

Mais tout ça pour quoi ? On ne convoque pas de telles images et de telles puissances sur scène juste pour faire spectacle. Transe et extase (bon moment, juste après le cycle de la Cité !), folie, religion, sexualité, tant d'éléments en présence, mais pour quel discours ? J'y suis resté sourd. Car la musique de Monteverdi, "une des oeuvres de dévotion les plus abouties" dixit Platel, doit avoir son mot à dire par rapport à l'état de ces corps que l'âme ne commande plus ; mais déclencheur, ou inhibiteur ? Musique aliénante, ou calmante ? Même cela n'est pas dit, et le spectacle finit par tourner en rond. Dans le final presque silencieux, quelques corps enfin apaisés en trimbalent d'autres, morts. Une écriture trop ouverte, ou trop faible, et qui finit par être illisible.

Point de vue plus synthétique (et jolie citation de Stravinsky) sur Panopticon.

Mise à jour : Vous ne pouviez y échapper, j'ai ajouté du Aka Moon dans le Pot-Pourri... Un extrait de "Invisible Moon", où le violon n'est pas manouche, mais carnatique, et multiplié par 3 ; bel album, remplies de collaborations variées, guitare de David Gilmore, voix de David Linx, piano préparé de Benoît Delbecq... Puis un extrait du peut-être un peu trop ambitieux "Invisible Mother", en compagnie de l'Ensemble Ictus (les parties purement "musique contemporaine" fonctionnent moyen moyen, mais les parties jazz sont excellentes).

Mise à jour (bis) : JD commente cette pièce et en illumine le propos.

samedi 18 février 2006

Menus travaux de plomberie

Les spammeurs de commentaires s'attaquent vraiment à n'importe quel site ! Haloscan, semble-t-il, filtre fort bien, puisque je n'ai pas vu un seul spam apparaître sur ce blogue, ni entendu une seule plainte d'un commentaire bloqué (que ceci ne soit pas une occasion pour vous d'essayer de me vendre du Veaugras ou de la Nicotine, ou pour m'indiquer les moyens d'élargir ma pelisse, merci) ; mais défaut des plateformes propriétaires : je ne suis nullement maître des moyens utilisés !

Par contre, pour le site des Radios, j'ai utilisé Dotclear (plus pour tester que par nécessité ; c'est à peine un blogue, il n'y a que quatre pages, régulièrement modifiées, et dont je maintiens le code source par NVu, qui gère plus commodément les tables ; de l'art d'utiliser les bons outils de la mauvaise manière ...).
Et là, certainement attirés par une audience record de 20 pages lues par jour, voilà que débarquent les pollueurs !
Solution :

  • mettre à jour Dotclear (en utilisant la bonne méthode, je confirme que copier directement les fichiers, "pratique suicidaire", ne marche pas)

  • installer Spamplemousse

  • constater que 77 commentaires viennent d'apparaître dans la file de modération, et remercier biou et Zeubeubeu pour leur excellent travail !


Je viens également d'activer la fonction Haloscan spécialement dédiée à BlogSpot, qui permet d'indiquer dans les commentaires le titre du billet auxquels ils s'attachent. Pour ceux qui utilisent le fil RSS dédié, ce sera plus pratique.

Enfin, hors-sujet, sur Flickr, quelques nouvelles images.

lundi 13 février 2006

Richard Wagner - Götterdämmerung (Théâtre du Châtelet - 12 Février 2006)

Dernière étape ... Heureusement, car placé de plus en plus haut, dans des places de plus en plus étroites, pour des spectacles de plus en plus longs, la suite eut été pénible !
Prologue des Nornes : superbes costumes, mais les voix se marient mal. Rapidement, retour au rocher de Brünnhilde. Et là, surprise ! Passer une nuit avec cette guerrière, ça vous change un homme : vous vous endormez Jon Fredric West, vous vous réveillez Nikolai Schukoff ! Faut dire, la nuit fut sans doute agitée, ils ont fait table rase, totalement détruit toute trace de décor ! Enfin, il part, à cheval, sur le Rhin (un hippocampe, peut-être). Jolie idée de mise en scène, pour tous les changements de scène où les héros se déplacent : deux toiles tendues descendent en avant-plan former un couloir, ici éclairé par un beau néon vertical.
J'ai toujours du mal, avec les Gibichungen, cette dégradation du mythe divin en intrigue bourgeoise. Notons la lance déjà sanguinolente de Hagen, au masque impressionnant. La musique du retour vers le rocher fait-elle parallèle avec le Rheinfahrt ? Mais sur un mode musique de chambre, remplie d'ombres, trouée de presque silence ; plus rien de triomphant, ni de prometteur, dans ce voyage.
Pendant ce temps, Brünnhilde reçoit la visite de sa soeur (après plusieurs minutes pendant lesquelles sonne de plus en plus véhément l'air des Walkyries, son "Altgewohntes Geräusch raunt meinem Ohr die Ferne / un bruit anciennement familier résonne à mon oreille venant du lointain" est presque comique !) ; retour de Mihoko Fujimura, qui démontre qu'on peut chuchoter pendant le Ring ... Etrange parallèle encore : Alberich avait renoncé à l'amour pour l'or et l'anneau ; Brünnhilde refuse de se séparer de l'anneau car ce serait renoncer à l'amour ...
L'acte 2 s'emplit de suspense : comment Wilson va-t-il se débrouiller avec le choeur ? En fait, il le congédie dès que possible, tous ses gens encombrent son décor. Le "Schläfst du Hagen mein Sohn" m'impressionne moins que je ne l'espérais ; mais Kurt Rydl ameute le peuple avec une énergie impeccable. La dimension "sociologique" manque, pour ce gigantesque procès manipulé par Hagen, où Siegfried doit être condamné à mort, pris en pantin par des forces qui dépassent de loin sa compréhension des événements.
En introduction de l'acte 3, retour des filles du Rhin, très gracieuses au milieu de la brume aquatique. Elles taquinent et flattent Siegfried, qui accepte de leur rendre l'anneau ; mais idiotie de leur part ? incompréhension dramatique ? refus de perturber le destin qui leur promet l'anneau au milieu de morts pour le soir même ? elles en rajoutent une couche, en menaces et intimidations, qui le rebutent totalement. De même que Brünnhilde devant Waltraute, Siegfried refuse de donner l'anneau par refus de s'impliquer dans la marche du monde ; ils ne veulent pas se sentir concernés par tous ces drames.
Plus que la marche funèbre, je découvre avec stupeur le récit de Siegfried, qui résume tout l'opéra précédent en 10 minutes, avec un feu roulant de thèmes en-dessous ; et sa mort, en écho exact du réveil de Brünnhilde. Comment la même musique pouvait-elle être si lumineuse, et maintenant si lugubre ? Une fois le héros tombé, l'orchestre se déchaîne à plaisir ; pour occuper l'espace, un nouveau couloir, où le mort va et vient, peu convaincant.
Par contre, le même couloir, baigné d'un bleu profond magnifique, enclôt Gutrune dans une solitude pathétique. L'aurait-t-elle vraiment aimé ? Le décor final est splendide, deux places pour gisants, un balancier prêt à flamber, trois fois rien, mais une ambiance parfaite. Le geste de Siegfried pour stopper Hagen est plus que discret, et le départ de ce dernier avec les filles du Rhin bien trop pacifique pour que les néophytes comprennent ce qui est supposé se passer. Mais la scène finale est magnifique, avec la brume qui envahit le plateau, d'où monte un bac transparent rempli de flamme (de courte durée ; Wilson n'aime pas les flamboiements trop marqués) ; un ultime jeu de lumière crée un rayon d'espoir (?).

Et puis voilà. Rendez-vous dans ... ? Au Met, saison 2010-2011, mis en scène par Robert Lepage ?

Points de vues complémentaires : ici ici ici ici ici.

Mise à jour :Quelques extraits dans le Pot-Pourri : le voyage sur le Rhin, la visite de Waltraute, le demi-sommeil de Hagen et son appel au peuple, le récit de Siegfried (qui apprendra à ne pas faire de résumé trop exhaustif des épisodes précédents), et le grand final.

dimanche 12 février 2006

Terry Riley - Nuit indienne (Cité de la Musique - 11 Février 2006)

Terry Riley - In C

Je n'aime pas la musique minimaliste. John Adams est insupportable, Steve Reich est très surfait, le peu que je connais de Philip Glass m'ennuie profondément. C'est dire si je n'attendais pas grand-chose de cette partie du concert !
"In C", c'est quoi ? Une partition minimale : 53 bouts de phrase en Do majeur, qu'il faut interpréter dans l'ordre, par un nombre quelconque de musiciens, en répétant autant que chacun veut chaque section. Une oeuvre tout ce qu'il y a d'ouverte, qui peut donner des résultats fort différents. Ce soir, c'est l'ensemble Ictus qui s'y colle, suite au récent enregistrement sur disque. Les musiciens indiquent :
C’est donc une sorte de "Ligeti-Remix" d’In C que nous avons recherché, en renonçant à la candide clarté californienne au profit d’une texture quasi-symphonique plus chargée dramatiquement, et riche en effets instrumentaux.

Ca donne quoi ? D'abord, une pulsation, tempo imperturbé, obstination obsessionnelle, rythme à un temps, au-dessus de laquelle se succèdent diverses textures en mille-feuilles, réveuses ou trépidantes, fougueuses ou fluctuantes. Sur scène, il y a 17 musiciens Ictus (dont certains passent d'un instrument à un autre, les percussions sont ainsi très partagées), et Terry Riley himself, au clavier et par moment à la voix. Cela fait 18, ce qui, avec la forte présence des vibraphones/xylophones/marimbas (pas bien vu), évoque irrésistiblement Steve Reich.
D'un bout à l'autre des 75 minutes, l'émotion, la tension, la force et l'élan, sont conservées, à travers les paysages et les courses.
"In C", c'est un substrat nourricier, duquel toutes sortes d'organismes peuvent surgir ; forcez la basse et vous obtenez de la techno ; ajoutez des ornements et c'est du jazz expérimental ; travaillez par l'écriture tous les déphasages et les passages d'un climat à un autre, et c'est un prototype de musique spectrale. L'interpétation Ictus est en cela remarquable qu'elle incorpore Reich, Ligeti, des aspects technos, qui se sont nourris de cette musique, et qui en relève les potentialités utilisées, et en révèle de nouvelles.
Schoenberg disait "Il reste encore beaucoup de bonnes musiques à écrire en do majeur". Il reste beaucoup de musique à extraire de "In C".

Chants d'extase du désert du Thar

C'est de la musique du Rajasthan, Inde du Nord, composée au XVIème siècle. Un drone au tandurah, une pulsion (parfois maintenue bancale !) au manjira, une percussion qui reste sobre, et des voix, dans un schéma couplets refrains, presque sans ornement. De la musique minimale, là encore, dans son expression originelle. C'est quand même rapidement lassant ; la seule ornementation qu'ils s'autorisent est un doublement du tempo au milieu de certaines chansons.

Musique aux bols de porcelaine

Voilà du plus spectaculaire ! Ganesan Anayampatti Subbier est un des rares joueurs de jalatharangam encore vivant. Il commence par remplir ses 18 bols de porcelaine d'eau, puis les frappe avec diverses baguettes, pour un son cristallin ou percussif. Sa virtuosité extraordinaire est démontrée dans des joutes typiques de la musique carnatique, en défi et réponse avec le violoniste Venkatasubramanian Anayampatti Ganesan (même famille ?). Ils sont accompagnés de deux percussionnistes, et d'un joueur de guimbarde (morsing), qui auront eux aussi droit à leur quart d'heure d'improvisation. Comme les bols se désaccordent avec les éclaboussures, les ragas sont assez courts, séparés par des réaccordages assez "truite de Schubert à la Raymond Devos". Concert très agréable, donc !
Après quoi, direction dodo, je zappe le "chant dévotionnel carnatique", qui aurait fait louper le dernier métro.

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ai mis le morceau de Ligeti où il se cite en compagnie de Reich et Riley (et Chopin), puis un extrait de la "Musique pour 18 musiciens" de Reich, et un morceau de techno lointainement semblable aux effets produits par "In C" (un héritage par dérivations successives) ; ensuite, du Riley, issu d'un disque très étrange, "Atlantis Nath", où se croisent entre autres des influences indiennes, des vocaux mystiques, et des bidouillages électroniques - en l'occurence, une des reprises les plus bizarres du thème "Caravan", qui en a vu pourtant bien d'autres ; enfin, pour la partie indienne, du Nusrat Fateh Ali Khan, qui est qawwal et pakistanais, mais ça ressemble quand même assez aux chants d'extase du désert du Thar, les ornementations virtuoses en plus ; et un duo sarangi / tabla.

samedi 11 février 2006

Lumière

Enfin une jolie lumière ce matin sur Paris ! J'en ai profité pour prendre quelques photos. La prochaine fois, j'espère ne pas oublier d'emmener un jeu de piles de secours. Une fois que l'oeil s'est mis en condition "photographique", il repère plein de situations intéressantes, et lorsque l'appareil refuse de les enregistrer d'un grand baton rouge clignotant, c'est ... frustrant.
Et maintenant, le ciel se charge de nuages qui masquent le soleil ; la fenêtre de tir semble se refermer.

jeudi 9 février 2006

Radio-Jazz : Onzième heure

Maintenant qu'il y a de nouveau un peu de place disponible, je peux ajouter à la radio-Jazz, au repos depuis plusieurs mois, une heure supplémentaire, qui liste mes achats Jazz section nouveautés.
J'aimerai un jour savoir chroniquer des disques ; pour l'instant, je vais me contenter de très rapides annotations :
- "Civil War Diaries" est une sorte de remake Live (dont les producteurs auraient pu supprimer les applaudissements intempestifs) d'un ancien album, "The Blues and The Greys", autour de chansons traditionnelles de la guerre civile américaine ; c'est également une sorte de renaissance du label Sketch, sous le nom de Illusions, dont ce disque est en fait la première production.
- "The Claudia Quintet", un groupe étrange, avec des noms connus, John Hollenbeck, Drew Gress, Chris Speed, un son très polymorphe, où sonne l'accordéon et le vibraphone, des compositions complexes et mutantes.
- "Close To Heaven" est un hommage par l'Orchestre National de Jazz à Led Zeppelin ; certains morceaux souffrent trop de l'absence de la voix de Jimmy Page, mais les climats variés en font un disque très agréable.
- J'ai acheté "Ursus Minor" lors des émeutes des banlieues ; c'est sans doute le seul disque de rap que je possèderais jamais, et c'est parce que François Corneloup, vu plusieurs fois en compagnie de Henri Texier, y joue ; mais, est-ce du rap ?
- Pour "Weaving Symbolics", lisez la note toute chaude encore de Samizdjazz ; j'en aime l'alternance, avec des plages solos-duos-trios qui reposent entre les densités rythmiques et harmoniques des ensembles. Pour ceux qui voudraient découvrir Steve Coleman, rappelons l'existence du site M-Base, avec tout plein de MP3 à télécharger en toute légalité !
- "La Manivelle Magyare", collaboration entre les allumés français de la Campagnie des musiques à ouïr et quelques musiciens hongrois, était en promo lors des soldes Abeilles Musiques ; on sent le potentiel de délire d'un groupe scénique, ça part parfois un peu trop dans tous les sens à mon goût.
- j'avais découvert Taylor Ho Bynum collaborant avec Anthony Braxton cet automne ; ce disque montre ses capacités de compositeur, j'en ai pris l'extrait le plus doux, qui sert de parenthèse entre des constructions plus imposantes, mais dont la production n'est pas totalement aboutie ; prometteur plus qu'accompli, normal pour un début de carrière.
- le trio, pardon, l'orchestre à trois, Viret - Ferlet - Banville, est mon dernier achat ; un disque aux swings géniaux, et qui marque lui aussi la renaissance du label Sketch, cette fois-ci sous le nom Minium ! Sketch = Minium + Illusions ? Même imprésario Philippe Ghielmetti, mais Minium récupère aussi le graphiste, donc gagnant aux points...
- enfin, le Book of Angels Zornien a vu deux nouveaux volumes apparaître, absolument indispensables, toujours dans des formations très réduites, un trio à cordes, et un duo piano- violon, où je retrouve avec plaisir Sylvie Courvoisier. Le quatrième volume est annoncé, "Orobas", par Koby Israelite ; je parie que la première chronique en apparaîtra ici.

lundi 6 février 2006

Richard Wagner - Siegfried (Théâtre du Châtelet - 5 Février 2006)

Après ce compte-rendu d'une part, et d'autre part cette liste de points avec lesquels j'agrée pleinement, ne restent plus que quelques détails.
Premier acte marqué par la performance de Mime, Volker Vogel étant particulièrement convaincant dans sa gesticulation Wilsonienne. La voix de Jon Fredric West en Siegfried me convient. Mais le décor me plait fort modérement : la forge est là, mais sa transformation en podium ... Et la destruction finale de l'enclume, ici un léger basculement de l'édifice ...
Les passages de Wotan qui résume les épisodes précédents frôlent le pénible, mais rappellent que dans la mythologie nordique, le jeu des énigmes semble être souvent une question de vie ou de mort. Par contre, la refonte de Notung permet au thème d'éclater dans toute sa puissante magnificence.
Nette amélioration du décor dans le deuxième acte, forêt magnifiquement rendue par des obliques lentement mouvantes, aux pieds baignés de brume, qui, se répandant dans la fosse, fait s'éventer les musiciens. Par contre, l'apparition de Fafner est grotesque, tête de dragon munie de phares, un artifice eut été préférable. De même pour l'enfant qui personnifie l'oiseau ; pas assez d'épure, en fait !
Pendant ces deux premiers actes, avec que des messieurs qui se moquent les uns des autres, et une musique qui aligne les thèmes les plus musclés et les plus sombres, j'ai pas mal somnolé.
Pour le troisième acte, on retrouve le plateau tibétain de la Walkyrie. Les motivations du Wandrer restent obscures, qui conduisent à la brisure de sa lance, par l'épée même qu'elle avait vaincue ; la main de Siegfried plus forte que celle de son père ? ou pouvoir affaibli de Wotan ? volonté d'échec du dieu ?
Musicalement, les vagues de lumière qui précèdent le réveil de Brünnhilde restent pour moi un sommet de tout le Ring, et l'orchestre leur rend pleinement honneur, avec ces finales pleines de harpes et de tintements en poussières brillantes. Après quoi le duo s'éternise un peu, à se tourner autour sans jamais se toucher.
Suite et fin, dimanche prochain.

Mise à jour :Quelques extraits dans le Pot-Pourri : Siegfried refondant Notung tandis que Mime prépare son poison ; Mime trahissant ses noirs desseins et Siegfried le tuant ; le réveil de Brünnhilde dans l'éblouissante lumière du matin ; l'idylle, suivi d'un peu de travail thématique.

dimanche 5 février 2006

Un peu de ménage

Ce matin, au moment de rajouter le Stockhausen dans le Pot-Pourri, Free m'a répondu un très désagréable "no space left on device". J'ai du supprimer quelques morceaux avant la date limite habituelle des 6 mois. Suite à un réaménagement drastique des hébergements, j'ai libéré suffisament de place pour ne plus être gêné de la sorte. Merci de m'indiquer si certaines radios ne marchent plus, j'ai pu oublier quelques liens.
Tant qu'à faire du ménage, j'ai aussi un peu revu la blogroll, histoire de profiter de Lieu Commun, qui regroupe un certain nombre de mes sites habituels, et quelques autres à découvrir, et ajouter quelques nouveaux, vrais ou faux...

Stockhausen - Hykes (Cité de la Musique - 4 Février 2006)

Les Ailes du Vent - Karlheinz Stockhausen

Etrange comme perdure le cliché d'un Stockhausen intello, à la musique made in Darmstadt, aggressivement post-sérielle et mathématique. Alors que depuis des décennies, il propose des oeuvres "instinctives", qui frôlent l'improvisation collective, et se basent sur du matériau rudimentaire et sur de longues étendues de temps. "Indianer Lieder" est un cycle pour quatre voix (mezzo-soprano, ténor, basse, baryton), qui enchaîne pendant une heure de courts poèmes amérindiens. Datant des années 70, c'est plein de "driguidiguidi" et de cris d'animaux, mais aussi de mélodies simples, reprises en homophonie et isorythmie ; musique assez délassante en général, mais assez anecdotique.
Pour corser, c'est mis en scène, pour la Compagnie Le Grain, par Christine Dormoy. Les quatre protagonistes, vaguement costumés en indiens, investissent une structure de tubes métalliques évoquant une maison, où, tout en chantant, ils doivent grimper à des mats, se balancer à des trapèzes, jouer aux funambules en se frappant dans les mains. La valeur ajoutée de toute cette installation n'est pas évidente ; ça évite de s'ennuyer, par rapport à la musique parfois un peu simpliste, mais l'ambition affichée dans le livret ("C'est enfin l'espace même de la représentation scénique d'Indianer Lieder qui accède à une forme de transe quand survient notre séparation radicale d'avec les voix et la résonance de leur envol hors les murs") est passablement ridicule au vu du résultat.
Moment étrange : dans tout cet opus légèrement mystique et basé sur des chants amérindiens, que vient faire ce monologue délirant en italien, effréné et comique ?

Vision harmonique - David Hykes

Le chant diphonique est utilisé dans de nombreux folklores ; David Hykes et son Harmonic Choir l'utilise depuis 30 ans, maîtrisé impeccablement et poussé dans ses retranchements.
Le concert commence par des solos vocaux de David Hykes, accompagné aux percussions par Bruno Caillat. Hykes alterne la voix chantée "normale", et la voix "harmonique", où les fréquences semblent filtrées et canalisées. L'effet est extraordinaire, comme une porte qui s'ouvre et se ferme, il y a entre ces deux voix le même palier qu'entre "parler" et "chanter".
Lorsque les six chanteurs interviennent, ils commencent par des techniques de souffle pour trouver l'accord, se mettre en harmonie, afin que les vibrations se renforcent. Cela crée des tutti inouis, où les six gorges unies semblent transformées en un seul gigantesque tuyau d'orgue. Les mots "accord" et "harmonie" jouent sur leur polysémie : il y a tout un coté New-Age dans la démarche, mais qui pour une fois reste cohérent.
Comme tout est basé sur les fréquences et les harmonies, les échelles ne sont pas tempérées, les accords sont purs. Mélanger des instruments réels n'est pas évident. Lorsqu'ils le font sur "Le Souffle du Seigneur", ils commencent par ancrer le chant par un drone, ici créé par une sorte de harpe sur table. Les chanteurs prennent chacun leur tour des poèmes soufis sur le souffle divin de Jésus. Musique indienne, philosophie pan-culturelle, tout ça est un peu trop New-Age, pour le coup...
Mais ils enchaînent avec "A l'écoute des vents solaires", extraordinaire odyssée dans les résonances, avec des basses continues sur lesquelles flottent des aigus irréels, où la basse elle-même se met à moduler des mélodies, où la salle semble parfois entrer en résonance à son tour, où tout vibre, où il faudrait se cramponner à son scepticisme pour ne pas sentir le souffle mystique contenu dans ce son vocal pur et si puissant.
Pour conclure, David Hykes propose à la salle un "Harmonic Meeting", où tous nous chantons un "mmmmmmmmm" bientôt coloré des voyelles de notre choix, en tentant de s'harmoniser avec les gorges voisines. Je ne sais pas quel résultat global est obtenu, mais l'expérience est intéressante.
Je repars avec la sensation d'un temps ralenti, d'un apaisement bienvenu ; qui aura du mal à survivre à l'ambiance du métro.

Mise à jour : J'ajoute dans le Pot-Pourri un vieux morceau de Stockhausen, appartenant à la théorie de la "forme momentanée" ; de David Hykes, la fin du disque "A l'écoute des vents solaires", avec son groupe, et un extrait de "True to the times" où il chante en solo ; et enfin, extrait du DVD "Musiques du monde au théâtre de la ville" offert aux abonnés, un exemple de chant diphonique traditionnel, en l'occurence, du chant malkouke.

jeudi 2 février 2006

Paris Carnet 31 (Bercy Frog - 1 Février 2005)

Arriver tôt, s'attabler auprès des déjà-là, dire bonsoir, commander une bière et un brownie, consommer cela, écouter les conversations des (in)connus proches, échanger quelques phrases avec des habitués, se retrouver encerclé de jeunes, se dégager pour changer de table, tenir presque une conversation avec Kozlika et Gilda, fuir de nouveau suite à l'entassement des corps, comprendre que l'espace perçu à la précédente visite est réservé pour moitié au personnel et que la portion dévolue à notre réunion est risiblement insuffisante, se retrouver dans l'escalier, échanger quelques paroles avec d'autres gens de passage, se demander pourquoi rester, se sentir fatigué de tout ce bruit, de tous ces visages, de toutes ces discussions potentielles et impossibles, partir tôt.
Donc, faire acte de présence. Mais dans quel but ?

mercredi 1 février 2006

Olivier Messiaen - Guillaume de Machaut (Cité de la Musique - 31 Janvier 2006)

Olivier Messiaen - Visions de l'Amen

J'avais découvert ce recueil l'an dernier dans la radio de Zvezdo. Par rapport aux Vingt Regards pour l'Enfant Jésus, il donne parfois l'impression d'un prototype, qui à la réduction pour un seul piano, gagnera en intensité, en variété et en couleurs.
L'interprétation des premiers Amen ne me convainct guère : si Michel Béroff se charge avec sobriété de la verroterie, Marie-Josèphe Jude charge un peu la barque, force sur les touches, et du piano ouvert émerge un son un peu confus. Tout ça passe en puissance, mais sans poésie ni tendresse - est-ce le fait de la partition ?
La seconde moitié me plait plus. Lorsque la brochure dit de l'Amen du jugement "Les sonorités sont percutantes, abruptes, glaçantes. [.../...] Les grappes de sonorités, si pleines d'un feu vivifiant dans d'autres pièces, acquièrent ici une dureté minérale.", il me semble décrire le climat général d'interprétation de tout ce cycle. Il y manquait un peu de chaleur humaine... Les pièces finales s'accomodent mieux de ce traitement, y compris le final, en pyrotechnie redoublée.

En bis, ils présentent plus un complément de programme, le Prélude à l'Après-Midi d'un Faune, de Debussy, ce chef d'oeuvre de poésie ; toute la douceur refusée chez Messiaen s'épanouit ici dans des tempi d'une merveilleuse souplesse, et une connivence parfaite.

Guillaume de Machaut - Messe de Notre Dame et autres pièces

Les cinq chanteurs du Hilliard Ensemble tentent de varier les plaisirs, et intercalent entre les morceaux de la Messe, extraordinaire trésor rempli de pièges rythmiques et de surprises envoutantes (des "A-a-a-a-a-a-a-a-men" quasi caquetants ; des superpositions de vitesses instables), des pièces plus simples, en trios ou en quatuor, sacrées ou profanes.
Il n'empêche que plongé dans 50 minutes de chant pur, je me laisse flotter un peu paresseusement ...

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'entremêle quelques extraits des "Visions de l'Amen" et des "Vingt Regards sur l'Enfant Jésus" ; et ajoute deux morceaux un tantinet "gloubi-goulba" : du Machaut revu par le Kronos, et du Grégorien sauce Hilliard visité par Jan Garbarek (y avait pas du Jazz, parfois, dans ce Pot-Pourri ?).