samedi 19 décembre 2015

Humair / Lê Quang / Kerecki (Le Triton - 17 Décembre 2015)

Daniel Humair a dit-il déjà souvent joué avec ses deux acolytes de ce soir, le saxophoniste Vincent Lê Quang et le contrebassiste Stéphane Kerecki. En fait, ils sont même en train de préparer un disque ensemble, dont les titres seront des hommages à des peintres, ce qui se reflète dans les titres de nombreux morceaux joués ce soir : Bram van Velde, Pierre Alechinsky, Jackson Pollock ... D'autres morceaux seront bien plus anciens, ramenés de la longue carrière du batteur, occasion d'évocation de souvenirs qui font rêver ("quand je jouais au Maroc avec Don Cherry ..."). Les morceaux sont souvent complexes, à épisodes et variations. Certains sont si nouveau qu'ils les jouent en public pour la première fois.

humair le quang kerechi

La batterie de Daniel Humair est assez minimale : peu d'effets spéciaux (un doigt mouillé sur une cymbale, un micro frotté sur une peau, ce doit être à peu près tout), pas du tout de percussion, un nombre réduit de baguettes ... Le son est minéral, comme brut de décoffrage, voire par moments brutal, comme caillouteux, plein d'arêtes vives et tranchantes, avec des plages statiques, et des rushs en avant toute ; peu de place pour le groove.

humair le quang kerechi

La direction rythmique est en fait plus l'affaire de Stéphane Kerecki, dont la contrebasse est toujours aussi bondissante et chantante, précise mais souple.

humair le quang kerechi

Vincent Lê Quang n'est pas que l'accompagnateur de Jeanne Added dans "Yes is a beautiful country". C'est un souffleur athlétique, parfois acrobatique, qui accompagne les méandres mélodiques d'effets bruitistes divers, souffles, saturations harmoniques, chant dans le bec seul ... Passant selon les morceaux d'un saxophone à l'autre (ténor ou soprano), il nourrit son discours d'assez d'idées et inventions pour ne jamais lasser.

Est-ce parce qu'on est un soir de semaine ? Il y aura un seul set, long. Les 90 minutes bien sonnées passent sans un instant d'ennui. Humair finit tout en sueur, les deux autres sont tout en sourires, c'était un chouette concert.

humair le quang kerechi


Solistes EIC - Le tourbillon du temps (Cité de la Musique - 15 Décembre 2015)

Fausto Romitelli - Domeniche alla periferia dell'impero

Cette oeuvre est scindée en deux parties (Prima domenica / Seconda domenica : Omaggio a Gérard Grisey) qui seront donnés en première et quatrième pièce de la soirée. Chaque dimanche fait quelques minutes. Le premier présente une boucle d'ennui ressassé d'un morne dimanche après-midi, ponctué de bruits de plus en plus présents et rapides. Le second utilise le même effectif, flûte basse, clarinette basse, violon, violoncelle, pour un bloc plus compact de sonorités râpeuses, entre le spectral apporté par l'hommage et l'exploration bruitiste des instruments. Intéressant.

Luciano Berio - Sequnza VIII, pour violon

Enchaîné sans applaudissements au premier dimanche, ce solo est splendidement interprété par Jeanne-Marie Conquer, qui utilise l'intensité pour structurer la polyphonie de la pièce, longs traits d'archer très puissants en scansion, tricotage plus rapide et modéré des mélodies, pizzicati légers comme des pépiements. L'héritage de la Chaconne de Bach en devient plus visible. Magnifique ; une leçon d'interprétation magistrale.

Pierre Boulez - Improvisé - pour le Dr. K.

Cette pèce de quelques minutes, écrite en 1969 pour flûte, clarinette, piano, alto et violoncelle, en hommage au Docteur Kalmus, est gentiment plaisante, mais pas vraiment remarquable.

Gérard Grisey - Vortex Temporum

Je commence à avoir vu assez souvent cette pièce, mais continue de beaucoup l'aimer. Ce soir, le pianiste Dimitri Vassilakis en offre une lecture splendide, très brillante dans les sonorités et très articulée dans les variations rythmiques. Emballant et vertigineux.

solistes de l'eic


Ibrahim Maalouf - Essentielles (Cité de la Musique - 14 Décembre 2015)

Je m'attendais à un petit concert de Jazz, plutôt tranquille, comme celui qu'il avait donné à Pleyel pour Winds. Mais Ibrahim Maalouf voulait au contraire un gros concert. Et ça commence avec un gros son, pour soutenir le public debout au parterre, et bien compact (1400 personnes annonce-t-il). Le disque "Red and Black Light" ne m'avait pas vraiment accroché, je subodore ce soir que c'est aussi parce que je ne l'écoutais pas avec le bon volume sonore : c'est de la musique qui se joue fort, pour bien ressentir la part de Rock qu'elle contient, venant de la guitare de François Delporte, des claviers d'Eric Legnini et que Maalouf souvent redouble, et de la batterie de Stéphane Galland, plus structuré et classique que Chez Aka Monn, mais bien énergique néanmoins.
Les morceaux à haut niveau d'énergie s'enchaînent, dont il explicite un peu plus tard les titres : "Elephant's tooth" est le nom du village natal de sa mère, "Escape" est sur ceux qui s'évadent physiquement ou spirituellement, réfugiés ou artistes, "Goodnight Kiss" parle des rêves que les enfants fabriquent à partir des histoires qu'on leur raconte (et qui n’appartiennent qu'à eux) ... Il y a beaucoup de joie dans cette musique, et de chaleur, et les musiciens visiblement se font grand plaisir à la jouer. Et la mise en scène, qui doit rentrer dans l'espace somme toute limité de la grande salle de la Cité, est inventive et variée, jouant entre autre avec de grands panneaux translucides supportant des projections, ou avec des vidéos projetés sur le mur du fond derrière les musiciens.

ibrahim maalouf - red & black light


"Se faire plaisir", semble avair guidé Ibrahim Maalouf dans la conception du concert. Il fait ainsi amener des percussions sur lesquelles le quartet joue (très bien) un morceau percussif spécialement écrit par Galland.

ibrahim maalouf - red & black light

Et puis, il invite d'autres artistes à le rejoindre. Impressionnant défilé : Yael Naïm, la Maîtrise de Radio-France, les soeurs Ibeyi, ses élèves d'un cours d'improvisation, Hiba Tawaji ... Chacun vient faire sont petit morceau, qu'il accompagne de la trompette, mais la cohérence de la première partie se délite peu à peu, et les changements de plateau finissent par gripper l'allant du spectacle, Maalouf lui-même finissant par avoir du mal à expliquer le pourquoi de cette liste d'invités un peu trop fournie dans un spectacle nommé "Essentielles".
C'est pas grave. Le plaisir a été abondant, et le public, et moi aussi, sommes ravis.

2015/12/14 red & black light

Spotify : Ibrahim Maalouf - Red and Black Light, Kalthoum

DV8 Physical Theatre - John (Grande Halle de la Villette - 11 Décembre 2015)

Le décor utilise quelques murs, portes et couloirs, montés sur un incessant manège, pour figurer diverses habitations, prisons, puis saunas gays. Une voix off, incessante elle aussi, nous raconte la vie de John, son enfance maltraitée, sa dérive délinquante, ses amours épisodiques, ses années de prison, sa découverte de l'homosexualité, ses interrogations. Pour tout dire, ça ne danse pas beaucoup ; quelques affrontements corporels ici et là, beaucoup de marche, pas grand-chose à voir. Pas beaucoup de théâtre non plus : personnages peu incarnés, pas de grands moments. En fait, principalement, ça cause, ça cause et ça cause. La vie de ce gars est aussi intéressante qu'une autre, mais Lloyd Newson et sa troupe du DV8 Physical Theatre n'en font rien de particulièrement marquant. Une pièce radiophonique aurait tout aussi bien fait l'affaire. Vraiment décevant.

Waltraud Meier - Orchestre du Conservatoire de Paris (Cité de la Musique - 8 Décembre 2015)

Richard Strauss - Le Chevalier à la rose (Suite)

Après l'exceptionnelle expérience sonore de la veille, ce Strauss joué dans la grande salle de la Cité est tout bonnement pénible aux oreilles : Jonathan Darlington dirige les musiciens encore non professionnels de l'Orchestre du Conservatoire de Paris avec un peu trop d'enthousiasme, ce qui produit un volume sonore bien trop élevé pour la salle. J'ai l'impression d'étouffer dans une boîte à chaussures. C'est pas ça qui va me réconcilier avec Richard Strauss.

Richard Wagner - Wesendock Lieder

L'effort pédagogique s'étend au livret, où Blandine Rouffignac, élève de la classe des métiers de la culture musicale, se charge de la présentation de cette oeuvre (et de la suivante) dans deux jolis textes, instructifs et détaillés.
Waltraud Meier est bien sur la vedette de ce concert. Si l'âge a jeté un léger voile sur les aigus, la technique vocale, et la maîtrise de la diction, sont époustouflantes. "Im Treibhaus" donne des frissons, mais tout le cycle est une merveille.

waltraud meier

Arnold Schönberg - Pelléas et Mélisande

Dans les oeuvres pré-dodécaphoniques de Schönberg, je préfère celle-ci à "La Nuit transfigurée". Je la suis sans déplaisir, mais à vrai dire, elle ne me laisse guère de souvenirs.

Luigi Nono - Prometeo (Philharmonie de Paris - 7 Décembre 2015)

Certaines des partitions tardives de Nono m'ont fait appréhender cette période, en particulier les "carminar" qui me semblent se perdre, ou du moins me perdre, en chemin. Ce "Prometeo" fait clairement exception, et offre une rare expérience, qui par ses dimensions, ses exigences, peut ressembler à une épreuve, dans tous les sens du terme.
Dès l'entrée dans la salle de la Philharmonie, le dispositif frappe. Les musiciens de l'Orchestre symphonique du SWR Baden-Baden et Freiburg, complétés par les solistes de l'ensemble recherche, et les choristes de la Schola Heidelberg, complétés par une petite dizaine de solistes et récitants, sont éparpillés sur plusieurs petites scènes tout en bas, et de nombreux îlots dans les gradins. Il y a deux chefs d'orchestre, Ingo Metzmacher et Matilda Hofman. Et à tout ce beau monde s'ajoute encore un vaste dispositif électroacoustique, géré par l'Experimentalstudio de la Radio SWR.
Pourtant, rares sont les moments où la puissance sonore s'impose. On est entourés de sons fuyants, de climats évanescents, de tensions furtives, où ce qu'on perçoit n'est jamais bien défini, est-ce un instrument ou de l'électronique, une chanteuse ou un écho, d'où vient cela, d'en haut ou d'en bas. Le livret donne une division de l'oeuvre en épisodes successifs, mais comme leur longueur, inégale, n'est pas indiquée, il ne permet de se situer que vaguement. On flotte, du coup, dans un océan infini de sensations sonores, qui au départ me semble une grotte, pour finir sous les étoiles. Entre les deux, deux heures et quart passent. Le public, saisi, cesse au bout d'un moment de tousser, mais bientôt se met à fuir, non agressivement comme au Théâtre de la Ville, mais par capitulation désolée, en petits groupes tentant de trouver les portes où se glisser le plus discrètement possible.
Dans cette vaste fresque, il y a des plages d'ennui, où l'oreille n'accroche pas à grand-chose, et puis soudain des moments de cristallisation, où l'alliance de quelques voix solistes et quelques instruments les soutenant en désaccord, où une déflagration orchestrale que l'électronique emporte, ouvre une porte vers l'extase, une possibilité de transcendance, une expérience mystique.
Ces moments sont fragiles, liés à la partition, mais aussi à l'attention des interprètes qui doivent énormément s'écouter pour se régler les uns sur les autres (les accords sont parfois en tempérament, et parfois purs), et aussi aux auditeurs, qui en fonction de leur aptitude à la concentration et au lâcher-prise simultanés peuvent ou non s'envoler dans la musique. Expérience qui ne peut vraiment se ressentir que dans la salle, au milieu du tournoiement des sons. La diffusion par France Musique, en son 3D binaural ou en 5.1, n'est qu'un pis-aller, aussi magnifique soit-elle.
Une autre composante est donc le lieu. En ce sens, c'est pour moi la véritable épreuve du feu pour la Grande Salle de la Philharmonie de Paris, et elle la passe avec un grand succès (même si l'effet de loupe sur les tousseurs est toujours aussi gênant). La spatialisation me semble plus subtile, et plus extraordinairement réussie, que pour Répons en septembre.

prometeo

Spotify : Claudio Abbado / Prometheus - The Myth in Music
Ailleurs : Carnets sur Sol, Michèle Tosi

samedi 12 décembre 2015

Unsuk Chin et autres compositeurs coréens (Cité de la Musique - 27 Novembre 2015)

Sun-young Pagh - Ich spreche dir nach

La compositrice utilise un texte poétique comme base musicale. Textures subtiles et oniriques, beaucoup de presque silence, c'est assez proche du chichiteux, et ne marque pas vraiment l'esprit.

Unsuk Chin - Doppelkonzet

Orchestration chatoyante, mélodies ondulantes, rythmiques souples et agiles, il y a du tigre dans cette musique. L'EIC, qui a déjà enregistré cette partition, nous la livre toute éblouissante de virtuosité et d'habileté.

Donghoon Shin - Yo

Le compositeur utilise cinq extraits de textes de Borgès, pour créer des thèmes musicaux, qu'il fait ensuite se succéder et se croiser comme dans un labyrinthe. Il est difficile de tout bien suivre à la première écoute, mais l'aspect ludique titille avantageusement l'oreille, et le sérieux du travail d'écriture suscite l'intérêt. Je réécouterais ça avec plaisir.

Unsuk Chin - Graffiti

Les trois mouvements sont bien différents, et offrent une magnifique palette de couleurs, d'allures et d'ambiances : rythmiques superposées ici, dérives sonores spectrales là, virtuosités un peu partout, c'est une excellente pièce qui procure un grand plaisir à l'écouter.

Ailleurs : Michèle TosiJérémie Bigorie
Spotify : Chin / EIC - Double concerto et autres, Chin / Chung : 3 concertos

vendredi 11 décembre 2015

Johann Sebastian Bach - Cantates de le Réforme (Cité de la Musique - 16 Novembre 2015)

Après un discours puis une minute de silence pour les victimes du 13 Novembre, Raphaël Pichon dirige son Ensemble Pygmalion dans une série de cantates et motets inspirés de textes luthériens :
- Cantate "Singet dem Herrn ein neues Lied" (BWV 190)
- Motet "Singet dem Herrn ein neues Lied" (BWV 225)
- Cantate "Nun danket alle Gott" (BWV 192)
- Motet "Lobet den Herrn, alle Heiden (BWV 203)
- Cantate "Ein'feiste Burg ist unser Gott" (BWV 80)
Mais malgré ce programme cohérent et intelligent, où se mêlent des morceaux pour moi inédits et d'autres que j'aime déjà beaucoup (en particulier la BWV 80), une interprétation d'un excellent niveau tant pour l'orchestre que le choeur, de bons solistes au chant, bref, rien qui n'aille pas, je reste un peu sur le bord, jamais vraiment emballé ni ému. Les circonstances, peut-être.