lundi 25 juin 2007

Pina Bausch - Vollmond (Théâtre de la Ville - 24 Juin 2007)

Entre les deux spectacles proposés cette année par le Tanztheater Wuppertal, il s'agissait de ne pas se tromper. Pour faire simple : radicale ou carte postale ? Ceux qui espèrent les mêmes frissons qu'il y a 25 ans sortent de Vollmond déçus, comme d'habitude. Mais ceux qui sont allés voir Bandonéon en y attendant leur Bausch annuel habituel, ont été suffisament décontenancés pour huer ! Daniel Conrod dans le dernier Télérama voit dans cette bronca inattendue le signe d'une guerre qui s'ouvrirait entre "l'artiste en majesté et le moi-je consommateur tyrannique", membre d'un "public de plus en plus éclaté, velléitaire, qui voudrait choisir, à l'intérieur d'une oeuvre d'art, ce qui lui convient, en retrancher ce qui lui échappe ou l'ennuie, accélérer le cours du programme." L'analyse me semble biaisée par la nature très singulière du lien entre les spectateurs du Théâtre de la Ville et la chorégraphe rhénane : les fidèles se sentent trahis quand leur chef de culte n'opère pas la cérémonie auxquels ils croyaient avoir droit.

Entre les deux, j'avais choisi (prendre les deux dans l'abonnement était interdit) la carte postale, et ce fut, comme d'habitude, magnifique par moments, superficiel à d'autres, redondant certes par rapport aux années précédentes, mais revigorant avant quelques mois de disette.

La partie théâtre était vraiment faible. Les femmes jouent, ordonnent, cherchent, paradent ; les hommes font des efforts ou font semblant, font parfois illusion et souvent un peu pitié. Mais les uns et les autres semblent peu concernés, passent, débitent quelques phrases, repartent en passant le relais aux suivants. La plus forte scène (une femme presse des citrons sur ses bras en disant "je me sens un peu amère ce soir" puis en vient à hurler "j'attends, j'attends, ..., et puis je pleure, je pleure, ..., et puis j'attends, j'attends") me semble forcée ; à tout prendre, je préfère les compétitions ludiques du début de la pièce, deux hommes esquivant des lancers de cailloux, ou deux femmes essayant diverses manières de s'asseoir. La plus forte présence est celle de Dominique Mercy, ange blond vieillissant, toujours un peu ailleurs, flottant, ou titubant, poids de souvenirs et de sensations.

La danse est plus que jamais concentrée sur les solos. Les mouvements de groupe sont d'autant précieux, parfois en duos superposés, l'un tout devant l'autre tout au fond, et l'espace du plateau qui vibre entre les deux, parfois en figures plus complexes, deux ou trois femmes dansant, et les hommes les encerclant qui sautent sur des bâtons, il y a même un moment de danse synchrone par toute la troupe, mais ça dure peu et c'en est basique à un point quasi parodique.
Des solos, donc, en ondulations, en flexions et extensions de tout le corps, en glissements et roulés au sol, où chaque interprète immisce ses propres techniques, émotions, énergies, envies particulières. Le langage chorégraphique est toujours aussi riche et généreux, mais ne change guère d'une année à l'autre. La "technique Bausch" est un peu trop au point ; elle en finit par se glacer, le rythme annuel de création, la structure toujours identique des spectacles, le travail toujours un peu semblable des interprètes, conduit à une sensation de déjà-vu, de gratuité dans le propos, d'absence de prise de risque. Qu'avaient-ils à dire cette année qu'ils n'aient pas dit dans les 10 dernières années de création ?

L'attrait principal cette année aura été le décor, et l'eau. Pina Bausch aime l'eau, et sait la mettre en valeur. Sa dernière apparition sur scène était devant un aquarium géant. Les plus beaux moments de Néfés était déjà aquatiques. Sa troupe souvent se déshabille pour prendre des bains collectifs. Cette année, l'eau courra sur scène sous la forme d'une rivière que surplombe un gros rocher, et dégringolera sous forme d'averse, de rideau de pluie, de mousson, tendre ou torrentielle, force de la nature, symbole de la vie inexorable, ni triste ni joyeuse, élément là et puis c'est tout. La première partie s'achève sur une chaise abandonnée sous une pluie battante comme une grosse mousson. La seconde partie se lance dans une exploitation tous azimuts de l'eau : seaux d'eau lancés sur le rocher où elle se brise en éclaboussures spectaculaires, arrosages ludiques les uns des autres comme des enfants qui ont chaud, trempage des tenues qui deviennent plus sensuelles, lavage des cheveux, etc. Ronde folle d'énergie, exubérante, mais qui s'achève de nouveau par des solos successifs ou simultanés, comme s'ils ne savaient plus danser ensemble autrement que juste côte à côte.

dimanche 24 juin 2007

14610 jours

Vu comme ça, pas de quoi en faire un plat, juste l'occasion d'enlever le "quasi".

samedi 23 juin 2007

Shantala Shivalingappa - Gamaka (Théâtre des Abbesses - 21 Juin 2007)

Relisant le compte-rendu de son précédent spectacle Shiva Ganga, je m'aperçois que je pourrais quasiment le reprendre mot pour mot. Récital de kuchipudi (ces 24 positions pour main seule, 13 positions pour les deux mains, 30 mouvements de mains, 13 positions de pied seul, 6 positions pour les deux pieds, 32 pas terrestres et 16 pas aériens, quelle grammaire ! le site n'est pas d'une navigabilité parfaite, mais est assez passionnant) très classique dans son formalisme (introduction purement musicale, courte pièce, pièce longue et complexe, intermède musical, danse narrative, final dynamique), mais illuminé par la personnalité rayonnante, le talent virtuose et la beauté de Shantala Shivalingappa.
Fluidité sinueuse des mouvements, beauté architecturale des poses, instantanéité fulgurante des changements de position, cela appartient peut-être au style Kuchipudi en général, mais c'est elle qui transcende cela par la joie, le plaisir de danser, la grace du corps qui se déploie. Consacré au son OM, vibration d'où tout l'univers est né, qui concilie le mouvement incessant de l'onde et l'immobilité parfaite, le spectacle navigue entre évocations prosaïques (balancement des trompes d'éléphant, émotions changeantes d'une jeune fille parlant d'amour), et abstractions (comment s'articule le corps, comment exprimer une émotion), avec une bonne dose d'humour (elle est souvent à la limite d'en faire trop, dans les mouvements du cou, des yeux, dans les expressions faciales ; comme un jeu auquel elle invite le public, non dans une démonstration de virtuosité, mais dans une joie d'offrir). Ce même humour se retrouve dans l'intermède musical, où chanteur et flûtiste sortis, restent les deux percussionnistes, qui se lancent dans un dialogue rempli de défis, de pantomimes, d'incidents burlesques, et où ils font même participer le public (nous nous retrouvons claquant des mains dans des figures assez complexes - pour un simple public occidental ; et nous nous en sortons pas si mal, je trouve !).

mercredi 20 juin 2007

Recherche - Nunes (Espace de projection IRCAM - 19 Juin 2007)

Emmanuel Nunes - Rubato, registres et résonances

Etrange titre, pour une étrange pièce. Prenons un morceau de Bach, l'invention en fa mineur. Ralentissons la. Transposons la pour flûte, clarinette et violon. Mais débutons, pour donner le ton, par une flûte octobasse (monstre de 3 mètres de long, plié en forme de 4), et une clarinette basse en si bémol. Les vrombissements et trépidations rendent méconnaissable la partition de départ. A un moment, la mélodie effleure. Mais le reste du gros quart d'heure se passe en plongée dans le son, atmosphère quasi lugubre, une forme assez originale de nostalgie.

Emmanuel Nunes - Improvisation II Portrait

Plus de vingt minutes d'alto solo, du coup c'est Christophe Desjardins qui s'invite. La nouvelle "La Douce" de Dostoïevski a inspiré cette série de pièces pour effectifs variés appelées "Improvisation". Desjardins utilise deux violons, accordés différemment, l'un normalement, l'autre "en scordatura, induisant des tiers et des sixièmes de ton" explique le bienvenu livret. Cela donne un son flottant, qui semble naviguer entre les effets, les échos, les émotions, les souvenirs vaporeux. Comme souvent chez Nunes, j'ai la sensation d'une exploration d'un état mental, capté par de multiples variations exposées successivement parce que c'est ainsi que fonctionne la musique, mais qui pourraient être données dans un tout autre ordre, puisque ce ne sont que des parcelles d'un tout, qui seul vraiment compte ; un paysage parcouru au hasard, non pour la beauté du parcours, mais bien pour la beauté du paysage lui-même.

Emmanuel Nunes - Improvisation I für ein Monodrama

Cette fois, l'ensemble Recherche est plus complet sur scène, et utilise même les services d'un chef d'orchestre, Emilio Pomarico. En fond de scène, de longs stands de percussion, derrière lesquels s'agitera et courra même parfois Christian Dierstein. Devant, les autres musiciens, également entourés de cloches, de plaques, de tomes, qu'ils frapperont parfois tout en jouant. La pièce se compose essentiellement de phrases assez courtes, volubiles, denses, séparées par de courtes pauses ; ces phrases ont des caractères variés, entre lesquels on zappe de moments en moments. Vers la fin, un régime plus stable s'établit, qui diffuse une belle lumière, comme un apaisement difficilement atteint. Entretemps, une femme devant moi nous offrira un long sketch sur la crise de toux nerveuse, avec étouffements dans le gilet, fouille du sac pour trouver la bouteille d'eau au milieu des sacs plastique, lent dépiautage du bonbon offert par une voisine, petits gestes de la main pour signifier son impuissance à arrêter, mais sans aucune indication de vouloir se lever pour quitter la salle.
Cela mettait un peu d'animation dans un concert qui me laisse penser que l'essentiel de la musique de Nunes m'échappe, j'ai l'impression de n'en gouter que la surface.

mardi 19 juin 2007

Free, rbs et SCPP

Comme beaucoup, j'ai reçu la lettre de Free relayant soit-disant une plainte de la Société Civile des Producteurs Phonographiques pour hébergement de fichiers musicaux protégés de droit. C'est la radio Dark qui est visée, les fichiers signés "Chemical Brothers" les intéressant plus que ceux signés "Dutilleux".
Vue la stupidité de cette campagne, visiblement effectuée par simple scannage des disques durs, sans se préoccuper de l'utilisation effective des fichiers ".rbs" ainsi détectés dans une radioblog d'accès public, ou de la quantité de personnes écoutant les dits morceaux (2.2 visiteurs uniques par jour en moyenne pour la Radio Dark ...), j'ai décidé de continuer la diffusion, en compliquant néanmoins la tache de leur robots détecteurs : changement de nom des fichiers, changement des extensions, ça devrait suffire à repasser sous le radar.
Un effet de bord est que le nom des morceaux disparait dans la sélection "Le Grand Mix" ; mais cela renforce finalement le coté "surprise" de la programmation aléatoire !

samedi 16 juin 2007

EIC - Nunes (Cité de la Musique - 15 Juin 2007)

Emmanuel Nunes - Litanies du feu et de la mer II

Vingt minutes de piano solo, jouées par Sébastien Vichard, qu'on commence à voir souvent, mais qui garde son allure timide, presque empruntée, quand il n'est pas assis à son clavier. Ces litanies commencent par un mouvement de notes tournoyant, comme une boucle qui lentement se déplace le long des touches. Mais rapidement d'autres éléments entrent en jeu, parfois brutaux (des ébranlements de forces primaires, martèlements), ou beaucoup plus subtils (pluies fines, des jeux complexes sur les étages de sons superposés en intensités différenciées), en séquences que creusent des silences de plus en plus nombreux, plus longs. On sent que tout cela vient d'un travail sur des improvisations, mais une ligne générale s'installe, un lent effondrement, comme une civilisation dont les traces s'effacent sous les assauts des éléments.

Emmanuel Nunes - Lichtung II

J'ai plus de mal à distinguer une ligne générale, ou une structure. C'est plutôt l'exploration d'un climat, par touches répétées et variées. Tempo assez constant, densité sonore assez égale, c'est la partie électronique qui fait l'essentiel de l'intérêt, fusionnant par moments des aigus des cordes et des bois, ou posant comme un microscope sur les pizzicati, ou s'amusant avec les percussions (fermement isolées derrière les plaques de plexiglass), et sans jamais dénaturer les sons. La notice explique que Nunes a utilisé une technique fétiche (paires rythmiques et plus petit commun multiple ; hum !?) à la spatialisation, et ça se sent.

Emmanuel Nunes - Lichtung III

Ecrit une dizaine d'années plus tard, et en création mondiale ce soir, cette pièce est assez différente. L'effectif plus important (cordes doublées, harpes comprises, vents augmentés ...) entraine une partition plus variée, avec des pleins et des déliés, une structure plus claire, plus classique, que je préfère ; par contre, la partie électronique est plus banale.

mercredi 13 juin 2007

Ulysse romantique (Cité de la Musique - 12 Juin 2007)

Les responsables de la Cité devraient signaler de manière particulière ce genre de concerts, où les musiciens parlent entre les morceaux, pour présenter les musiques choisis, mais surtout les instruments sur lesquels ils jouent, qu'ils changent au cours du concert. 5 flûtes différentes pour Philippe Bernold, 2 pianos pour Hugues Leclère. L'aspect pédagogique, les petits discours informels, donnent un charme particulièrement sympathique à ces représentations.
On commence par un petit récital Claude Debussy : Les chansons de Bilitis, un brin sommaires ; puis Syrinx, que la flûte en bois Lot de 1870 colore d'une douceur un peu vaporeuse, très belle ; les Danseuses de Delphes, que je connais trop agrémenté de tous les conforts des pianos modernes pour l'apprécier diminué par les demi-teintes d'un piano Erard 1890 ; et enfin le Prélude à l'après-midi d'un faune, dont la transcription de Gustave Samazeuilh pour flûte et piano ne me convainc pas du tout : la mélodie devient par moments anecdotique, et l'absence de l'orchestration (une des plus belles de toute l'histoire de la musique occidentale) n'est pas compensée. Leclère enchaine, à sa demande sans pause d'applaudissements, sur La Plainte, au loin, du faune... de Paul Dukas, tombeau de Debussy, sur une pulsation obsédante, des échos du Faune résonnent, dans la tristesse et les couleurs sourdes ; belle pièce, à réécouter. Puis viennent les Joueurs de flûte, d'Albert Roussel, en 4 épisodes jolis ou amusants, mais un brin anecdotiques.
La deuxième partie se jouera sur instruments modernes. On commence par André Jolivet, la courte et tranquillement mystérieuse Etudes sur les modes antiques, puis le Chant de Linos, pièce de concours pour flûtiste, qui évolue entre cris, plaintes et danses, spectaculaire et intense. On termine par du beaucoup plus moderne, Ulysse de Boucourechliev, pour flûte et percussion (jouée par Eric Sammut), qui sent l'oeuvre ouverte, avec des aspects d'improvisation ; pas follement original, bruyant par moments, surtout vers la fin.

Beethoven - Gewandhausorchester Leipzig (Salle Pleyel - 11 Juin 2007)

Ludwig van Beethoven - Coriolan, Ouverture

Toujours difficile d'écrire sur une oeuvre aussi classique, mais que j'entends pour la première fois : l'excellence du morceau ne mérite guère de commentaires (étrange, je préfère le second thème, franc et paisible, au premier, inquiet et saccadé) ; et comment déterminer les vertus de l'interprétation, puisque je n'ai aucune référence préalable ? Pourtant, cela doit bien tenir à Riccardo Chailly, cette volonté de varier à outrance les dynamiques, piano à forte et vice-versa, crescendo, descrescendo et bis repetita, il refuse le laisser-couler tranquille, et impose ses choix de lecture, parfois au forceps, pour un tour de montagnes russes spectaculaire mais qui tire un peu trop vers la démonstration de virtuosité gratuite.

Ludwig van Beethoven - Symphonie n°1

Heureusement, Chailly se calme un peu. On profite pleinement de l'orchestre, mais il me semble bien pléthorique pour cette musique. Cela l'empâte, je préfèrerais une option plus cuisine légère, que j'espère plus fraiche, et finalement plus savoureuse.

Ludwig van Beethoven - Concerto pour violon et orchestre

Sergueï Khatchatrian, le violoniste, étant souffrant, c'est la jeune ex-prodige Viviane Hagner qui le remplace. Et dès les premières notes, et dans toutes ses interventions, dans chacune des cadences, elle me sidère, me ravit, me comble. La partition privilégie les aigus, qui jamais ici ne crient ni ne pleurent, mais chantent, au bord d'une fragilité d'autant plus émouvante. Je suppose que les cadences lui appartiennent, au moins en partie ; la dernière du premier mouvement, où elle plonge dans la polyphonie, textures boisées, couleurs aux accents tziganes, est particulièrement incroyable. J'aime aussi sa façon de tenir longuement les notes, de traits d'archet interminables. Et en plus, sa présence sur la scène est à la fois impériale et féérique. Bon, j'en rajoute peut-être un peu, mais j'ai vraiment été subjugué. De temps en temps, l'orchestre joue, entre deux solos de la belle, pour qu'elle reprenne son souffle.
En bis (merci Corley), les "Paganiniana" de Nathan Milstein, pièce bien sur virtuose, impeccable.

dimanche 10 juin 2007

Hommage à Joyce (Cité de la Musique - 10 Juin 2007)

Rien de vraiment passionnant à la télé ce soir, du coup, à la veille d'un début de semaine bien rempli, autant rédiger de suite ce billet qui reste sinon d'être trop différé.
Je ne me souvenais plus qu'une lecture de Joyce était prévue lors de ce concert, que les ayant-droits ont empêchée, désirant, en contrepartie de leur autorisation, avoir leur mot à dire sur le programme musical. Pas bien grave ...

Luciano Berio - Thema Omaggio a Joyce

Cathy Berberian lit du Joyce, Berio manipule le son de sa voix électroniquement ; d'abord imperceptible, le traitement peu à peu compresse le spectre, ou au contraire l'étire, enfin le déforme jusqu'à l'abstraction totale, fouillis de gazouillis et pépiements, tempête, souffles de vents ... La pure récitation, et la poésie sonore finale, sont très agréables ; le passage intermédiaire un peu moins, qui fait son âge - bande de 1958, les procédés de mixage vocal sont devenus depuis plus subtils.

Philippe Fénelon - Ulysse (Mythologie IV)

C'est le remplaçant de la lecture supprimée. Pièce pour cinq instruments (flûte, clarinette, cor, violon, violoncelle) et en 5 parties (de "La caverne du cyclope" au "Retour à Ithaque") avec des intermèdes entre. Pas désagréable, mais pas vraiment passionnant non plus, une écriture somme toute assez classique et un brin répétitive au long des 23 minutes, on note de belles interventions solistes (belle cadence pour violoncelle au début de Calypso, me semble) ; l'écriture plus abrupte des intermèdes aux formes concentrées me plait bien.

Rebecca Saunders - Molly's Song 3 shades of crimson

J'ai cette pièce en CD, mais la voir jouer permet de l'apprécier encore davantage. L'échange des "coups de fouets" entre la flûte et la guitare, la façon dont celle-ci joue les percussions, tout devient plus limpide ; à l'alto, Odile Auboin charge les parties les plus mélodiques d'une charge dramatique surprenante ; à la flûte, Emmanuelle Ophèle insuffle une telle énergie qu'elle manque parfois faire basculer sa chaise ; Christian Rivet tourne et retourne sa guitare (avec cordes d'acier) pour y gratter quelques accords, y glisser un bottleneck, y tapoter un rythme ; lorsque la matière sonore se raréfie, après l'irruption de la boîte à musique, chaque note semble plus essentielle. La pièce est courte, guère plus de 8 minutes, et pourtant nous embarque dans un long voyage, avec une succession d'émotions et de climats. Superbe, splendide interprétation.

Bernd Alois Zimmermann - Présence

Ballet blanc en cinq scènes pour violon, violoncelle, piano et récitant muet. Musiciens déguisés (la violoniste en Molly Bloom, le pianiste en Don Quichotte, le violoncelliste en Ubu), musique grossière (pianiste insistant sur les échos jusqu'à en devenir ronflant, et ponctuant ses interventions de citations diverses ; cordes dont les longues lignes se mêlent sans me laisser grand souvenir), phrases poétiques sur de grands cartons brandis pour séparer les scènes, par un récitant muet (il essaiera vainement d'aligner trois syllabes), tout cela aurait été, chez Kagel, plus drole, moins prétentieux, sans doute plus intéressant et surprenant.

samedi 2 juin 2007

Le Livre du Graal : Droit privé / droit public

Et le chevalier Bertelai ? Lui non plus ne sort pas du néant.

Il est vrai que le roi Léodegan, qui était animé d'un esprit de justice, avait un chevalier très preux et très sage, un très bon chevalier qui lui avait rendu de grands services. Ce chevalier de très haut lignage avait servi le roi Léodegan parce qu'il l'aimait beaucoup. Il se nommait Bertelai et il haïssait à mort un autre chevalier qui avait été tué un de ses cousins amoureux de la femme de ce chevalier.
Quand Bertelai sut que ce chevalier avait tué son cousin et qu'il l'avait honni à cause de sa femme, il ne daigna pas porter plainte auprès du roi mais il alla trouver le chevalier et le défia à mort. [..] Il advint alors que Bertelai rencontra le chevalier en compagnie de deux écuyers. Quand bertelai le vit, il l'assaillit et le tua avec le poignard.
Les premiers faits du roi Arthur, §495-496


Le roi Léodegan envoya chercher Bertelai chez lui et celui-ci vint sans peine mais très bien armé sous ses habits et il emmena une grande compagnie de chevaliers avec lui. Il était plein de courtoisie et savait toujours très bien s'exprimer et il était bien équipé. Quand le roi Léodegan le vit, il lui demanda pourquoi il avait tué le chevalier en pure trahison. Bertelai répondit qu'il se défendrait de cette accusation de félonie contre tous ceux qui la lui imputeraient : "Je ne dis pas que je ne l'ai pas tué mais auparavant je lui ai lancé un défi. Je ne l'ai pas tué sans motif parce que beaucoup de gens savent qu'il a tué un de mes cousins germains après l'affaire de sa femme qui lui avait valu d'être honni. Il m'est avis que, de toutes les manières possibles, on doit s'en prendre à son ennemi mortel à partir du moment où on l'a défié." Le roi dit que ce n'était pas une raison. "Mais si vous étiez venu me voir et si vous vous étiez plaint à moi et si je n'avais pas daigné vous rendre justice, alors vous auriez pu obtenir vous-même votre vengeance. Mais vous ne m'avez jamais présenté de requête en vue de faire valoir votre bon droit auprès de moi.
- Seigneur, répond-il, vous dites votre volonté mais je n'ai pas mal agi envers vous et je n'ai pas l'intention de le faire, grâce à Dieu. - Sachez, fait le roi, que je veux voir le droit respecté. - Seigneur, fait Bertelai, je voulais dire qu'une telle chose ne doit pas dépendre de votre seule volonté." Et le roi Léodegan ordonna que justice fût rendue eu égard à ses gens et à ses barons. A ce jugement participaient le roi Arthur, le roi Ban et le roi Bohort, monseigneur Gauvain et monseigneur Yvain, Sagremor, Nascien, Adragain, Henri de Rivel et Guiomar. Ces dix personnes délibérèrent sur l'affaire et discutèrent ensemble de tous ses aspects. Elles finirent par s'accorder sur le fait que Bertelai devait être dépossédé de ses biens et qu'il devait quitter pour toujours la terre du roi Léodegan. Le roi Ban annonça la sentence qui avait été jugée remarquablement bonne. [...]
Ainsi s'en alla Bertelai mais il eut un très beau convoi de chevaliers à qui il avait fait des dons car il avait été un bon et valeureux chevalier. Il fit de longues journées de route, une heure succédant à l'autre, et il arriva là où la fausse Guenièvre se trouvait. Il s'arrêta à cet endroit et y séjourna fort longtemps mais restait très préoccupé, en homme rompu au mal, de savoir comment il pourrait se venger du roi Léodegan et du roi Arthur qui l'avaient banni. Il devait un découler ensuite pour le roi Arthur un si grand malheur et une si grande discorde entre lui et sa femme qu'il se sépara longtemps d'elle comme le conte vous le rapportera plus loin, s'il y a un conteur pour le faire.
Les Premiers Faits du roi Arthur, §501-503

Comment transformer le droit à la vengeance privée (qui pouvait se transformer en guerre meurtrière entre familles, façon vendetta) en procès publics, dont les jugements soient acceptés et respectés ? Un tribunal formé des hommes "les plus éminents et les plus puissants du monde" fait l'affaire. Se faisant, Arthur a-t-il suffisamment fait attention en se choisissant ainsi un ennemi ? Heureusement, il y aura bien un conteur pour nous raconter la suite ...

Le Livre du Graal : Marque de naissance

Petit retour en arrière, pour comprendre d'où vient cette fausse Guenièvre.

Le roi Léodegan avait engendré en sa femme une petite fille qui s'appelait Guenièvre, qui devint très belle par la suite. La femme du roi Léodegan était une très bonne dame, qui menait une sainte vie, et avait coutume de se lever, presque chaque nuit, pour aller à mâtines écouter tout le service divin. La nuit même où elle avait conçu sa fille Guenièvre, elle se rendit à mâtines ; elle passa près de la femme du sénéchal et la trouva endormie, si bien que ne voulant pas la réveiller elle la laissa et s'en alla à l'église qui se trouvait près de là. Et le roi Léodegan, qui désirait de longue date avoir l'occasion de coucher avec cette dame, se leva dès que la reine fut partie, il éteignit les cierges puis alla se coucher aupès de la femme du sénéchal [...].
Mais il arriva que la reine, quand elle accoucha, trouva sur les reins de sa fille une petite marque qui ressemblait à une couronne royale. Dès que cette enfant fut née, les douleurs de l'accouchement prirent la femme du sénéchal, et elle mit au monde une fille très belle, si semblable à la fille de la reine qu'on ne pouvait pas les distinguer, si ce n'était par la marque en forme de couronne que l'une d'elles portait sur les reins. Toutes deux furent baptisées Guenièvre, et elles furent élevées ensemble.
Les Premiers Faits du roi Arthur, §106-107
Quelque-chose me dit que cette marque royale aura son importance ...

Le Livre du Graal : Astuce légale

Une demoiselle arrive à la cour du roi Arthur pour y accuser la reine Guenièvre d'être une usurpatrice. Le moyen le plus simple de régler la question est un duel judiciaire, mais le champion de la reine est Gauvain, formidable combattant. Comment éviter cette dangereuse épreuve ?

Alors la demoiselle saisit la main du chevalier qu'on nommait Bertelai le Vieux et elle le présenta au roi en disant : "Bertelai, réclamez le combat à titre de témoin et en vertu du droit, contre monseigneur Gauvain ou tout autre chevalier, s'il y en a un qui ose ainsi relever le défi contre vous." Aussitôt Bertelai s'agenouilla devant le roi et se proposa pour le duel tel qu'il avait été décidé. Monseigneur Gauvain le regarda et, très embarrassé en le voyant si vieux, le considéra avec mépris. [...]
Dodinel jura par Dieu qu'il ne combattrait pas plus un chevalier si âgé qu'un homme mort. "Et je ne resterai pas en un lieu où monseigneur Gauvain se couvrirait de honte en combattant cet homme." Sur ce, Dodinel s'en alla en jetant des regards de mépris à la ronde. Mais à peine avait-il fait quelques pas qu'il revint auprès du roi pour lui dire : "Sire, après réflexion, je sais qui affrontera ce chevalier : Chenu de Quel, qui n'est pas trop jeune, puisque ce fut un chevalier renommé pour ses exploits avant que votre père ne fût chevalier." A ces mots, tous éclatèrent de rire. Cependant le vieux chevalier était toujours à genoux et réclamait le combat.
Galehaut, §29-30

En utilisant de pareils procédés, se pliant à la règle du combat judiciaire tout en l'empêchant grâce à un tabou plus puissant, le parti de la demoiselle indique assez bien de quel coté est la vérité. Malheureusement, l'attitude de la reine n'ayant pas été irréprochable (ah, Lancelot ...), et le roi s'apprêtant à fauter pareillement avec la fausse Guenièvre, l'affaire sera bien plus compliquée à dénouer.

Zuidam, Berg, Reger (Cité de la Musique - 31 Mai 2007)

Etrange de voir l'Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam à la Cité, où la scène peine à contenir un tel effectif, plutôt qu'à Pleyel par exemple, et à l'occasion de la 3ème Biennale d'art vocal, dans un programme qui ne donne pourtant qu'une place limitée à la voix (ce qui n'est pas une mauvaise idée ...).

Rob Zuidam - Trance Position

guillaume décrit fort bien cette pièce. Comme il s'agit du deuxième mouvement d'une symphonie qui en comporte quatre, il pourrait être intéressant d'entendre l'ensemble - sans en attendre trop d'originalité.

Alban Berg - Trois extraits de Wozzeck

Centrés autour de Marie, ces trois extraits offrent une suite de transitions et de contrastes saisissants : de l'introduction mélancolique à la marche militaire, puis à la berceuse, uniquement pour le premier. Si l'orchestre dirigé par Ingo Metzmacher est évidement remarquable (je déguste principalement le velouté précis des cordes), la soprano Claudia Barainsky (remplaçante ; cette fin de mois semble ravager les rangs lyriques) a plus de difficultés, principalement question niveau sonore. Même si cela s'améliore peu à peu (ou est-ce mon oreille qui s'habitue ?), elle reste peu audible.

Alban Berg - Der Wein

En sortant d'une sorte d'absence d'attention, je tente de retrouver où elle en est dans le texte, n'arrive pas à rapprocher les mots entendus de la fin du premier poème, et pour cause, nous en sommes au troisième et dernier.

Max Reger - Quatre poèmes symphoniques d'après Arnold Böcklin

Je ne connais pas du tout Max Reger, du coup c'est une découverte intéressante ! Le langage où une rigueur classique s'allie à des aspects avant-gardistes, la conduite orchestrale où les couleurs et les climats s'annoncent francs et carrés, me donnent envie d'explorer plus avant cet univers musical (malgré le dernier mouvement, bacchanale que le livret décrit comme une "orgie musicale contrôlée par une solide technique germanique", exercice démonstratif lourdingue assez insupportable ; retenons plutôt le joli alliage d'une mélodie au violon sur nappes d'orchestre à cordes, ou le scherzo plein de vivacité bondissante).

vendredi 1 juin 2007

Dis-moi ce que tu lis

Donc, Zvezdo me refile le questionnaire littéraire du moment, version mbr.


1- Quatre livres importants de mon enfance

Qu'est-ce que l'enfance ? Divisons en deux périodes.

"La petite chenille qui faisait plein de trous" / Eric Carle
(qui s'appelle aujourd'hui plus sobrement "la petite chenille qui fait des trous" ; le "plein de" semble un faux souvenir ; c'est pourtant ce titre, prononcé façon "la petite kenille qui fésé pien de crous", qui a rapidement convaincu une orthophoniste que j'avais bien besoin de ses services, bientôt complétés par de vastes chantiers orthodontiques)

"Fanfan et Sa Péniche" / Pierre Probst
(lu relu et rerelu à ma demande incessante par ma soeur, sous le fallacieux prétexte que je ne savais pas lire ; lorsque cela ne fut plus vrai, une partie du charme de cette histoire disparut)

"Sylvain et Sylvette" / Maurice Cuvillier
(les aventures originales, en format paysage, stockées dans le sous-sol aux odeurs humides de la maison grand-maternelle ; j'espère qu'ils sont restés quelques-part en archives familiales)

"Gédéon en Afrique" / Benjamin Rabier
(livre paternel, façon livre de prix, luxueux, manié avec respect)

Et plus tard :

"La planète des enfants perdus" / Christian Pineau
"Quatre pattes dans l'aventure" / Claude Cénac
"Le petit prince" / Antoine de Saint-Exupéry
"L'école des Robinsons" / Jules Verne

2- Idem entre l'enfance et l'adolescence

"Un sac de billes" / Joseph Joffo
"Les fleurs du mal" / Charles Baudelaire
"Le Seigneur des Anneaux" / JRR Tolkien
"La grande anthologie de la science-fiction" en 12 + 24 + 4 volumes

3- Quatre écrivains que je relirai

Les auteurs qui ont le plus efficacement survécu à de multiples opérations de filtrage, destinées à lutter contre l'envahissement de l'espace vital :

Dostoïevski, Céline, Proust, Butor

4- Quatre livres que j'ai beaucoup aimés mais que je n'ai pas envie de relire

Difficile question. Se mêlerait à ce sentiment un peu de honte d'avoir aimé ces livres ? Ce sont des titres que l'oubli guette. Ne me reviennent guère que :

René Barjavel, "La nuit des temps".
Patricia Cornwell, dégouté par la médiocrité des derniers ouvrages publiés.

5- Quatre livres bientôt lus

"Les 1001 nuits" tome 3
"Le livre du Graal" tome 3 (pas de date de parution pour l'instant ...)
A part ça, inconnu (je n'ai pas de pal).

6- Quatre livres à emporter sur une île déserte

La Bible ; Le Mahâbhârata (qui pourrait bien être dans le point 5) ; L'Oeuvre Poétique de Victor Hugo (puisque hélas ...) (ce serait l'occasion d'enfin y plonger) ; un manuel de bricolage pour les très très nuls.

7- Les quatre dernières lignes d'un de mes livres préférés

Gaspare reached over the tabletop, shoving pitcher and mugs to one side. "Boy," he whispered. "Don't apologize. Never apologize for being what you must be.
"And pay no mind to me, for I can't explain it to you. It's just the music, when I'd believed it to be all lost.
"But nothing is lost, you see? Nothing. Not even if his ... his city is lost, and no one remembers his name."
Caspar's quick brown eyes narrowed. "I don't understand, grand-oncle. But have I finally done something right in your eyes?" Caspar asked, half touched by the old man's tears, half still-resentful of his tempers.
"You have," replied Gaspare, grinning at his great-nephew. "Of course you have, boy. You have shown me an angel."
R.A. MacAvoy "A Trio For Lute"


Qui veut s'y mettre ? Quelques as des souvenirs ? Kozlika, Akynou, Samantdi, Gvgvsse ?