samedi 17 décembre 2011

Guy Cassiers - Coeur ténébreux (Théâtre de la Ville - 11 Décembre 2011)

Le titre est en référence à "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad, qui a inspiré ce spectacle, et ce de manière bien plus directe que pour "Apocalypse Now" : nous restons au Congo belge, à la poursuite de M Kurtz, trafiquant d'ivoire aux méthodes terribles. Il y a un seul acteur sur scène, Josse De Pauw, qui récite le lent et envoutant monologue, ponctué de dialogues où il parle à un double vidéo, projeté sur le décor minimal, constitué de pans qui peuvent avancer ou reculer sur scène, et continuellement recouverts de projection vidéo. Celle-ci est constitué de différentes matières : de l'abstrait en taches pour la découverte de la jungle profonde, du semi-abstrait pour le sang en longues dégoulinades, du semi-figuratif pour les incendies, du figuratif pour la rencontre avec le russe. Le décalage des pans permet de mettre littéralement en avant, dans l'espace scénique, un personnage projeté sur un pan isolé en avant, ou par de subtils décalage créer un trouble, que le texte augmentera en malaise. Au-delà de l'efficacité de cette mise en scène, à la fois simple et complexe, et de la performance de l'acteur, qui ne force jamais le trait, et impose sa présence physique, jusqu'à en conférer une part aux mots récités, c'est la force du texte qui sort victorieuse. Les échos de "Apocalypse Now" sont paradoxaux, mais ne peuvent pas ne pas surgir : l'attaque des flèches dans le brouillard, les dialogues avec l'intermédiaire subjugué ... Mais la mort de Kurtz, et la rencontre finale avec sa fiancée, sont d'autres moments d'une grande force. Ce deuxième volet d'une trilogie en cours m'a fait beaucoup plus forte impression que Sous le volcan : au-delà des conditions alors désavantageuses, c'est aussi le minimalisme plus poussé qui me semble une grande réussite.

Ailleurs: ToutelaCulture, Allegro Théâtre, Le Beau Vice, ...

Aka Moon (Le Triton - 10 Décembre 2011)

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vu Aka Moon en concert, surtout dans sa formule en trio simple, sans invités ! Il n'y a guère que dans cette configuration que Stéphane Galland soit capable de vraiment donner libre cours à sa technicité éblouissante, et en effet il se donne ce soir à fond : visage fermé, très concentré, mais mains et pieds de virtuose, en rythmes continuellement perturbés, émaillés de dérapages, de petites explosions, d'inventions, mais dans une maitrise du flux et du tempo exceptionnelle. C'est à ce point sidérant, ce qu'il fait derrière ses futs et ses cymbales, qu'il en devient difficile d'écouter ses collègues. Et pourtant ! Michel Hatzigeoriou me semble avoir changé son jeu : pas de pédales sur sa basse, mais du slapping, moins de Jaco, plus de Funk ! Il y a de la joie dans son groove, et il essaie, et parfois réussit, à dérider son voisin batteur. A l'entracte, j'entends certains trouver le saxophoniste banal. Ca peut donner cette impression, comme Fabrizio Cassol se refuse à des facilités spectaculaires. Mais faire passer pour simples de telles lignes mélodiques, les boucles enchevêtrées, les escapades harmoniques, c'est là l'exploit !

aka moon au triton aka moon au triton aka moon au triton

Au deuxième set, Stéphane Galland devient plus brutal, voire violent. Cette baisse d'intensité permet de mieux profiter des deux autres. La magie opère de façon plus équilibrée. Au final, grande énergie, et grand plaisir. Merci messieurs !

aka moon au triton

mardi 13 décembre 2011

Médéric Collignon - Jus de Bocse joue King Crimson (New Morning - 7 Décembre 2012)

Contrairement à la soirée Amnesty deux jours avant, cette fois le New Morning est bien bien plein. Du coup, le présentateur de la soirée en profite pour faire de la retape pour d'autres concerts, du Jazz manouche, du Big Band, d'autres encore. Dommage qu'il soit très lourd, et que ça n'en finisse pas. On a droit en plus à une première partie, un chanteur camerounais à la fort jolie voix, s'accompagnant à la guitare sèche, et aidé par un deuxième guitariste. Fort joli, donc, mais un peu hors-propos. Puis le présentateur revient, et il refait de la retape, cette fois par l'intermédiaire d'une tombola, et il est toujours aussi lourd, et ça n'en finit toujours pas, mais quand est-ce que la musique qu'on est venu écouter va enfin commencer !?

jus de bocse joue king crimson

Enfin, à 22h, Médéric Collignon arrive sur scène, accompagné de son Jus de Bocse habituel, et de deux quatuors à cordes, qu'il utilisera comme un mini orchestre à cordes. La sono a quelques difficultés à trouver les bons réglages : larsen, micro éteint, cordes inaudibles, tout cela mettra plusieurs morceaux à bien se caler. Cela n'empêche pas Médo de se lancer à fond, à la trompette et à la voix. A la base, des morceaux de King Crimson, donc. Mais bien revisités : on est plus proche du Miles électrique ou de Weather Report que du Rock progressif. C'est donc une sorte de grand melting-pot culturel, avec de l'énergie rock, du groove, des rythmes impairs, des boucles, des parties très écrites pour les cordes, de longues impros au Fender Rhodes ... Mais les ingrédients essentiels sont la batterie de Philippe Gleizes parfaitement à son aise dans ce registre de puissance propulsante, et bien sur le délire de Médéric Collignon, entre chaos et maîtrise.

jus de bocse joue king crimson

Un seul set de deux bonnes heures explore de fort diverses facettes de la musique de King Crimson, revisitant toute son histoire. Collignon passe même quelques extraits d'improvisations de Robert Fripp, qui permettent de bien voir que ça n'a pas grand-chose en commun avec ce qu'ils nous proposent ce soir. On en ressort un peu groggy. Mais vaguement déçu, aussi, par l'ambiance gâchée par l'attente et les soucis techniques, et aussi par l'écart entre l'ambition des moyens mis en oeuvre, et le résultat, qui manque paradoxalement de personnalité, sans doute parce qu'il y a trop d'ingrédients dans la sauce, et de pertinence, genre "oui, et alors, à quoi bon tout ça ?", ce que je n'avais pas ressenti dans les concerts où le Jus de Bocse reprenait Miles Davis.

jus de bocse joue king crimson

Ailleurs: quelques vidéos sur Youtube, de la même musique mais au Triton :
Part 1, Part 2, Part 3

jeudi 8 décembre 2011

Added Courtois, Texier Nord-Sud (New Morning - 5 Décembre 2011)

C'est complètement par hasard que je découvre le jour même l'affiche fort alléchante de ce concert de soutien à Amnesty international, qui sans doute par manque de publicité suffisante, n'attirera que bien peu de monde, laissant la salle au moins à moitié vide.

Jeanne Added - Vincent Courtois

Ca pourrait être une version réduite du quartet de Vincent Courtois. Mais l'équilibre des forces y est fort différent. Si la formule d'une chanteuse et d'un musicien évoque par moment le dialogue entre Youn Sun Nah et Ulf Wakenius, on est plus encore dans une approche d'une émotion nue, d'une musique sans artifices. Vincent Courtois s'est débarrassé de ses pédales d'effets et de son appareillage électronique, et joue en pizzicati ou à l'archet, soutien mélodique parfois lyrique, parfois plus recueilli. Ce qui ne m'empêche pas de parfois sonner comme un instrument exotique orientalisant, parfois comme un banjo. Jeanne Added se glisse entre fragilité désarmante et ironie légère et ravageuse, des cocktails d'émotions qu'elle maitrise à merveille. On retrouve certaines des balades déjà entendues en quartet, et ce soir ce n'est pas "Faible et Faiblissant" qui sera le sommet du concert, mais plus "I Carry Your Heart" ou "The World Tonight". Il y a aussi une délicieuse chanson sur l'ivresse, qu'elle délivre avec une douce ironie soudain brisée d'un long cri qui renverse. Formidable performance.

vincent courtois + jeanne added vincent courtois + jeanne added vincent courtois + jeanne added

Henri Texier Nord-Sud Quintet

Deuxième fois que je vois cette formation, et deuxième fois en faveur d'une cause (après les maladies dégénératives du Brain Festival, c'est cette fois Amnesty International, donc). Depuis un an, le groupe a eu le temps de bien digérer le répertoire du disque "Canto Negro", et chaque morceau ressort plus dense, mieux caractérisé, plus abrupt ou plus poignant, que lors de leur premier concert.
Le premier solo sera du batteur Christophe Marguet, ce qui n'est pas habituel, aussitôt suivi par Henri Texier, qui multipliera ses interventions tout au long du set, souvent doucement accompagné par la guitare de Manu Codjia. Entre les deux souffleurs Sébastien Texier et Francesco Bearzatti, les interactions sont aussi plus profondes, dans les chorus lancés à deux mais avec une belle liberté, ou dans les solos, plus virtuoses et abstraits chez Sébastien Texier, plus brutaux et émotionnels chez Francesco Bearzatti. Grand plaisir.

henri texier quintet nord-sud

Spotify: Vincent Courtois Quartet - Live In Berlin, Henri Texier Nord-Sud Quintet - Canto Negro

dimanche 4 décembre 2011

Levinas Asperghis Birtwistle Lachenmann (Cité de la Musique - 29 Novembre 2011)

Michaël Levinas - Appels

Ce court morceau introductif date de 1974, et marque, dit le compositeur dans le livret, le début de l'aventure de la musique spectrale. En effet, dans cet appel répété où se combinent le son du cor et de la caisse claire et des traitements numériques, on sent la fascination pour le son en tant que matière première de la musique. Mais il manque la notion de processus de transformation, et autour de ce son primaire, les autres instruments viennent se greffer de manière encore très classique. L'oeuvre indique une révolution à venir, mais sans en être un chef d'oeuvre.

Georges Asperghis - Pièce pour douze

Je me souviens m'être dit que pour une fois, je trouvais pas mal cette pièce d'Asperghis, auteur d'un théâtre musical qui m'horripile bien souvent. Ici, c'est de la "musique pure", sans voix. Mais le problème, c'est que je ne me souviens plus de rien d'autre ...

Harrison Birtwistle - Cortège

Dans Theseus Game, il y avait deux chaises où se relayaient les solistes. Cette fois, c'est debout qu'ils viennent l'un après l'autre se positionner au centre des musiciens disposés en demi-cercle. A part ça, pas grand-chose à en dire. Là aussi, ça laisse bien peu de souvenirs.

Helmut Lachenmann - Concertini

Pour cette pièce plutôt récente de Lachenmann (2004-2005), de nombreux musiciens supplémentaires gonflent l'effectif de l'ensemble intercontemporain, qui est éclaté entre la scène et les gradins. Le langage de Lachenmann s'est déradicalisé, et il conjugue maintenant les moments bruitistes habituels (beaucoup de grattements) avec des passages où les instruments sont joués normalement. Comme le titre l'indique, il s'amuse avec la notion de concerto, et de fait, on a de magnifiques solos, à la guitare, à la harpe, ainsi que de splendides dialogues à quelques-uns. Et il y a suffisamment de variété pour que les 40 minutes passent sans aucun ennui, entre les différentes oppositions qui structurent l'oeuvre (sons bruités / sons normaux, effectifs différents des groupes instrumentaux sur scène et ceux spatialisés). Très réussi.

eic, mälkki, lachenmann

Spotify: Michaël Lévinas: Par-delà, Georges Asperghis - Simulacres, Harrison Birtwistle - Secret Theater