dimanche 19 août 2018

Anne Paceo - Bright Shadows (La Défense - 26 Juin 2018)

Ce concert auquel j'ai assisté quasiment pas hasard, étant en formation à La Défense ce jour-là, fut une des plus grosses claques émotionnelles de l'année. L'absence récente de concert m'avait donné l'envie de musique live, et cette prestation m'a plus que nourri à ma faim.
Dans ce sextet, il y a d'abord Anne Paceo. Cela faisait longtemps que je ne l'avais entendu aussi tranchante, présente, en avant du son, dans des rythmiques complexes, où j'entends les pulsions africaines de Tony Allen (mais sans les rebonds hors temps) se mêlant à l'énergie d'Elvin Jones. Explosif et sous contrôle. Bref, jouissif.
A ses cotés, trois musiciens habituels : Tony Paeleman aux claviers, qui donne la basse et une bonne partie de la base harmonique et mélodique ; le guitariste Julien Omé, en remplacement de Pierre Perchaud, pour des solos flamboyants ; et le saxophoniste Christophe Panzani et son habituel lyrisme laconique.
Et surtout, deux voix, ce qui ancre le projet entre Jazz et chansons, cet entre-deux qui donne depuis quelques temps de magnifiques pépites en France. Ann Shirley, douceur et soul, et surtout pour ma part Florent Mateo, une voix entre ombres et lumières, entre fêlures et transparences.
De nombreuse chansons tirent leur inspiration des voyages d'Anne Paceo qui parcourt le monde dans ses tournées, et évoquent des moments d'intense beauté, ou la douleur de l'exil, ou la force des résistances.
Un concert a été diffusé, enregistré à Jazz sous les pommiers quelques semaines auparavant ; mais il est bien en-deçà de ce que j'ai ressenti à La Défense, où l'évidence lumineuse, les élans mystiques (du moins, la foi en la musique et en l'humanité), les performances vocales et instrumentales, se conjuguaient pour me faire chavirer d'émotions.

bright shadows

samedi 18 août 2018

Inscape (Cité de la Musique - 14 Juin 2018)

Iannis Xenakis - Anaktoria

J'aime bien les Xenakis de chambre, en général, entre les solis parfois arides, et les grands ensembles parfois plus impressionnants que profonds. Il me semble que j'aime bien cet octuor atypique, mais n'en garde guère de souvenir.

Hèctor Parra - Inscape

Gros battage publicitaire de la part de l'EIC autour de cette oeuvre, composée en collaboration avec un astrophysicien autour du thème des trous noirs. Alexandre Bloch dirige l'EIC et l'Orchestre National de Lille, il y a aussi de l'électronique, bref, c'est du lourd. Et là non plus, aucun souvenir. Tout ça pour ça ? Il se peut aussi que je n'ai pas été dans un soir très réceptif.

Béla Bartok - Concerto pour orchestre

L'Orchestre National de Lille termine la soirée très correctement avec ce concerto, qui me satisfait bien plus que la première partie. Je n'étais clairement pas dans l'état mental nécessaire pour écouter de l'inédit ...

inscape

Ailleurs : Michèle Tosi


mercredi 15 août 2018

Bach en 7 paroles 7 - Consolation (Eglise Saint-Jacques Saint-Christophe de la Villette - 14 Mai 2018)

La première chose remarquable dans ce concert, c'est qu'il ait eu lieu. Une "faiblesse" ayant été détectée à la Cité de la Musique nécessitant des travaux immédiats, le concert a été déplacé en deux jours dans cette église proche, avec toute l'infrastructure nécessaire à la vente des billets, le placement des gens dans un nouveau plan de salle, mais aussi les écrans et caméras nécessaires à la retransmission en direct ! Bravo à toutes les équipes impliquées dans un tel chantier, et si rapidement mené à bien !
Quel est l'apport artistique extérieur dans ce concert ? Ce sont des poèmes de Philippe Jacottet, lus par Anne Alvaro. Je n'accroche pas du tout. J'attends que ça passe, et que la musique reprenne. Heureusement, chaque intervention ne dure pas trop longtemps.

Johann Sebastian Bach - Der Gerechte kömmt um BWV deest

J'ai découvert ce court motet quelques mois avant, en compilant des musiques funèbres de Bach, suite à des circonstances personnelles. C'est peu dire que l'entendre ainsi, dans une acoustique d'église, par les toujours si excellents chœur et ensemble Pygmalion, me met dans un état ... Cette musique, sous des allures modestes, recèle toute une dramaturgie, elle monte et descend d'intensité, par paliers et étapes, s'arrête un moment, ce silence étant son pic, avant de repartir dans l'apaisement.

Johann Sebastian Bach - Ich habe genug BWV 82

Cantate pour basse (Stéphane Degout, parfait velouté dans le grain de voix), et pour hautbois soliste. Pichon l'entrecoupe d'arias de Johann Christoph Bach, cousin du père de :  une aria à quatre voix "Mit weinen hebt sich's an" qui nous apporte la fraîcheur de l'a cappella, et une aria pour soprano et choeur "Es ist nun aus" qui nous donne le plaisir d'entendre Lucile Richardot ...

Sven-David Sandström - Es ist genug

Pour ce chœur à 8 voix écrit en 1986, le chœur s'installe en cercle dans le chœur de l'église. Splendide réverbération. C'est du baroque revisité, avec une formule répétée en support, sur laquelle se lancent les voix solistes, dans des frottements harmoniques très contemporains, entre David Hykes et György Ligeti. Mais la tension finit par s'essouffler, dommage (ça semble long, alors que ça ne dure que 10 minutes).

Johann Sebastian Bach - Ich hatte viel Bekümmernis BWV 21

Là, je commence un peu à saturer - cette cantate ne me touche pas vraiment. Pourtant, une entrée en sinfonia, un hautbois soliste, même un duo soprano/basse, non seul le final me captive à nouveau, où les solistes se mêlent au chœur de magnifique manière, suivi d'un chœur conclusif inhabituellement orné !
Et en bis, du Heinrich Schtz, "Selig sind die Toten", pas mal du tout.
Et c'est ainsi que s'achève cet exceptionnel  voyage des 7 paroles, une grande étape de plus dans la carrière de Pichon et de Pygmalion. Vivement le prochain épisode.

délocalisation

Ailleurs : Stéphane Reecht ; Le concert est dispoible pendant quelques mois sur Live Philharmonie.

Mantovani, Eötvös, Boulez (Cité de la Musique - 25 Avril 2018)

Bruno Mantovani - Cadenza n°1

Pour percussion en ensemble. Les percussions sont répartis en trois groupe devant la scène, que Gilles Durot visite tour à tour, avec deux groupes instrumentaux qui prolongent les sonorités. Ce n'est pas désagréable, mais ça m'a semblé un peu artificiel, sans que je ressente une quelconque nécessité à l'exercice. Pas désagréable, donc, mais pas marquant non plus.

Péter Eötvös - Steine

Là, on est explicitement dans le domaine de l'exercice. Deux pierres (une pour Péter - Eötvös, une pour Pierre  - Boulez) par musiciens, qui doivent obéir au chef mais aussi s'écouter, et réagir dans une part d'improvisations. Je n'ai trouvé aucun intérêt à tout ce truc.

Pierre Boulez - Dérives 2

J'ai l'impression de découvrir plein d'aspects nouveaux dans cette pièce pourtant maintes fois entendue - bravo à l'EIC et au chef Eötvös ! Couleurs, rythmes, tant de détails affinés, avivés ! Et même la structure devient plus claire, avec une première partie très carrée, rapide, serrée, et une deuxième plus apaisée, libérée, avec même trois solos successifs qui m'avaient jusqu'ici totalement échappé ! Splendide.

dérive 2

Ailleurs : Michèle Tosi

Band of Dogs invite Elise Caron (Le Triton - 14 Avril 2018)

Band of Dogs, c'est deux gars : Philippe Gleizes à la batterie, et Jean-Philippe Morel à la basse. Et ils ne sont pas là pour faire dans le décoratif. Faut que ça cogne, que ça déménage, qu'il y ait du bruit, de l'énergie. En résidence depuis plusieurs années au triton, ils invitent régulièrement des musiciens à les accompagner dans leur exploration d'un territoire entre rock électronique (Morel s'aide de maintes pédales d'effet, et au besoin de claviers) et expérimentations bruitistes (assez loin d'un Jazz policé et propre sur lui).
Ce soir, c'est la chanteuse (et parfois flûtiste) Elise Caron qui s'y colle. Bon, la flûte, elle essaie, c'est pas la peine, on l'entend pas, y a trop de bruit. La voix, ça passe mieux, mais faut pas chercher les subtilités. Ça tombe bien, elle a le coffre vocal suffisant pour délivrer de la puissance, elle aussi. Et là, ça marche. Au-dessus d'un paysage tourmenté, traversé de chocs percussifs, de riffs de basse, de saturations diverses et variées, elle ajoute sa couche de cris modulés, d'effets vocaux faits tout à la bouche et sans filet, de boucles (jusqu'à la stase, où un spectateur monte sur scène la débloquer d'un doigt sur le cou !). Il y a dans cette musique une forme de jouissance brute, d'urgence viscérale, de plaisir qui s'adresse aux os et à la chair plus qu'au cerveau, mais tout ça fait beaucoup de bien par là où ça passe.

band of dogs invite élise caron

Pierre Boulez - Livre pour quatuor (Cité de la Musique - 10 Avril 2018)

L'histoire du "Livre" pour quatuor de Pierre Boulez est complexe. Commencée quand il avait 23 ans, cette oeuvre devait comporter trois couples de mouvements : I-II, III-V, et IV-VI. Il y eut successivement la création des mouvements I et II en 1955, des mouvements V et VI en 1961, des mouvements IIIa, IIIb, et IIIc en 1962. Une transcription pour grand orchestre a également commencée en 1960, qui ne concernera finalement que les mouvements Ia et Ib. En 2000, des révisions ont été apportées aux différents mouvements existants pour en faciliter la réalisation. Mais il manquait toujours le mouvement IV, qui a finalement été terminé par Jean-Louis Leleu et Philippe Manoury, à partir des partitions et notes laissées par Pierre Boulez, et de l'analyse des autres mouvements.
Ce soir, c'est la création par le quatuor Diotima de cette version complète, comportant les mouvements Ia, Ib, II, IIIa, IIIb, IIIc, IV, V et VI, le tout durant 65 minutes, au lieu des 45 minutes de leur version CD "révisé" de 2012.
Bien qu'ayant ce CD, mais ne l'écoutant guère, je ne saurai dire ce qu'apporte spécifiquement le mouvement IV à cette oeuvre ardue mais pénétrable, dont de toute façon je n'essaie pas de comprendre la structure, préférant me laisser aller au flux des événements, des techniques d'écritures, et des expressivités qui en découlent, avec des moments lents et des rapides, des arides et des plus lyriques, etc. Et cette écoute "à la surface des choses" suffit à mon plaisir, parce que cette oeuvre, pendant plus d'une heure, sait varier ses effets, ses textures, ses rendus, pour ne jamais lasser, ni faire souffrir l'oreille.

quatuor diotima

Echo-Fragmente (Philharmonie de Paris - 5 Avril 2018)

Vu le délai entre le concert et ce billet, et sans enregistrement pour m'en rappeler, le compte-rendu sera succin. Ce concert utilisait trois orchestres aux répertoires habituellement fort différents : les Arts Florissants, l'Ensemble intercontemporain, et l'Orchestre de Paris.

Jean-Féry Rebel - Les éléments (extraits)

D'abord les Arts Florissants seuls. Aucun souvenir.

Jörg Widmann - Echo-Fragmente

Concerto pour clarinette unissant les Arts Florissants et l'Orchestre de Paris. Un vague souvenir de bof, bruyant et pas terrible.

Jonathan Harvey - Wheel of emptiness

Là, c'est l'EIC seul. Pas de souvenir, ni positif ni négatif, ce qui pour du Harvey n'est déjà pas si mal.

Charles Ives - Symphonie n°4

Voilà une oeuvre qui profite pleinement de la présence des trois orchestres réunis, et de la grandeur de la salle de concert, qui permet de mettre des musiciens un peu partout. Il y a aussi un chœur, trois pianos, un orgue, un thérémine si possible ... Les deux premiers mouvements sont incroyables : ça pulse en multirythmies, ça brasse des citations en veux-tu en voilà, ça fanfaronne à grands coups de cuivre, ça grince dans le religieux et le patriotique, ça ne ressemble à rien d'autre que du Ives et c'est prodigieux. Après un troisième mouvement un peu lourd de classicisme, le final est à la fois chaotique et apaisé. Chef d'oeuvre, rarement donné, vu l'effectif et le travail requis !

symphonie n°4 de charles ives

Bach en 7 paroles 6 - Voici l'homme (Philharmonie de Paris - 31 Mars 2018)

Johann Sebastian Bach - Johannes Passion


Placer une Passion dans un cycle de cantates, cela représente forcément un sommet, à travailler soigneusement. Par rapport au principe de ces "7 paroles", qui est d'agrémenter la musique de Bach d'autres apports artistiques, Raphaël Pichon reste cette fois-ci assez sobre (éclairages de Bertrand Couderc, efficaces à diriger l'attention et structurer l'oeuvre, sans être trop spectaculaires), mais généreux (en ajoutant plusieurs autres musiques, essentiellement de Bach aussi).
Cette générosité finira par être un des points faibles de la soirée, les motets et extraits de cantates ayant parfois du mal à prouver leur utilité et leur pertinence dans le déjà immense récit de la Passion selon Saint Jean. Placer un "es ist vollbracht" (celui de la BWV 159) entre la première et la seconde partie, comme une prédiction, n'apporte pas grand-chose d'autre que de la confusion. Mais cela pèse peu dans une soirée assez exceptionnelle, et où l'emportent aisément les points forts.

L'introduction, tout d'abord. Au lieu de débuter par le tétanisant "Herr, unser Herrscher", Pichon choisit un air anonyme "O Traurigkeit, O Herzeleid !" où dialogue Lucile Richardot, logée dans les hauteurs, et le chœur, qui, venant des coulisses, progresse peu à peu à travers la salle pour finir sur la scène. C'est une extraordinaire entrée en matière, comme une invitation au public à se laisser représenter par le chœur et à s'installer sur scène lui aussi. Et "Herr, unser Herrscher" en renforce son impact. Comme l'ensemble Pygmalion est au sommet de sa forme, intense mais souple et vivant, soignant les respirations, les pleins et les déliés, on est d'emblée à un niveau d'émotions particulièrement élevé.
Parmi les excellents solistes (Julian Prégardien en évangéliste, Tomas Kral en Jésus, Christian Immler en Pilate, mènent le récit avec toute la variété et la théâtralité nécessaires), je retiens une fois de plus Lucile Richardot, sa voix d'une richesse chromatique rare me capte et m'émeut à chaque aria ; et seul John Irvin me semble en faire un peu trop, dans l'émotion affichée plus que vécue.
Le chœur est comme d'habitude parfait, et ses interventions en tant que foule, déchaînements de violence traduits par des polyphonies pyrotechniques, sont particulièrement réussies, pas trop rapides ni flamboyantes, à la hauteur du drame qu'elles servent.
Après le vrai "Es ist vollbracht", suivi du décès de Jésus, un nouvel insert fait cette fois-ci plus sens : le choral "Ecce quomodo moritur" de Jacob Handl (appelé aussi Jacobus Gallus) permet une pause presque intemporelle, un retour à des racines archaïques, propice à l'introspection en ce moment fatidique, avant la reprise du récit.
Et au bout de tant de beautés et d'émotions, les deux grands chorals finaux ouvrent magnifiquement la porte vers le dernier épisode, "Consolation".

johannes

Ailleurs : Le concert est disponible pour quelques mois sur Live Philharmonie.