vendredi 30 septembre 2011

Pierre Boulez - Pli selon pli (Salle Pleyel - 27 Septembre 2011)

Cette fois, ce ne sont pas seulement les 3 improvisations centrales, mais bien les 5 mouvements qui nous sont offerts.
Après le grand poum initial et la phrase chantée, la matière devient aussitôt rare, éparpillée dans un grand orchestre où pullulent les percussions et se distinguent cinq harpes, une guitare, une mandoline, ce qui donne une de ces couleurs orchestrales qu'on appellera ... boulézienne ! Mais ce qui me frappe ce soir particulièrement, c'est la sensation d'un temps suspendu, presque immobile, un midi éternel sous le soleil écrasant des crotales.
Après ce "Don" dirigé sans lunettes, Pierre Boulez part en coulisses pour en récupérer une paire correcte, les Improvisations nécessitant apparemment une meilleure vision de la partition. Par sa grâce et son talent, Barbara Hannigan transforme la ligne de chant acrobatique en poésie vocale, de plus en plus distendue et envoutante. L'orchestre réduit dans cette partie centrale continue de scintiller comme une poudre de neige ou de sable, où on s'enfonce dans un inconnu qui creuse (comme dirait l'autre poète), guidé par la voix d'Hannigan. Les petites cymbales qui tintent comme autant de "i" sur "le vierge le vivace et le bel aujourd'hui", les crotales qui s'offrent presque un solo sur "une dentelle s'abolit", me fascinent particulièrement. Sur "a la nue accablante tu", retour des instruments. Tandis que le chant devient encore plus dérangé, parcellaire et particulièrement inintelligible, les flûtes, les vibraphones, la paire guitare-mandoline, ou plus tard les violoncelles, viennent remplacer la ligne lyrique défaillante. Mais dans la fin de cette dernière Improvisation, qui frôle le silence, il y a comme un relâchement de la tension qui m'étreignait jusqu'ici, et on côtoie l'ennui.
Enfin, "Tombeau" renoue avec la formation grand orchestre, Ensemble Inter Contemporain mélangé aux jeunes musiciens du Lucerne Festival Academy Ensemble. La matière y est plus dense, le rythme plus soutenu. Devant les percussions se font soudain entendre les violons ou les clarinettes. Des séquences répétées d'accords me font penser à Messiaen. Puis le chant surgit soudain, impérieux, comme irrépressible. Poum again, et c'est fini. Quoi, déjà ?

pli selon pli

Le concert est disponible pendant quelques semaines sur ArteLiveWeb.

Ailleurs: Klariscope, Joël, Paris-Broadway ...
Spotify: Deux versions existent sur Spotify, toutes deux dirigées par Pierre Boulez, l'une avec Halina Lukomska, l'autre avec Christine Schäfer.

dimanche 25 septembre 2011

Anne Paceo Quintet (Studio de l'Ermitage - 21 Septembre 2011)

Ce Quintet n'est pas exactement celui que j'ai vu il y a quelques mois à la péniche Anako. Mais comme le site d'Anne Paceo indique toujours les musiciens vus alors, peut-être les changements de ce soir ne sont-ils que circonstanciels : à la contrebasse, Joan Eche-Puig remplace Stéphane Kerecki, et à la guitare Federico Casagrande remplace Pierre Perchaud. De plus, la scène de l'Ermitage permet l'installation d'un piano.
Du coup, on retrouve le trio Triphase (Anne Paceo - Leonardo Montana - Joan Eche-Puig) dans son intégralité. L'entente entre ces trois musiciens fait basculer la physionomie du quintet, qui au lieu de se présenter comme un assemblage de paires en subtils équilibres, devient plus un trio augmenté d'un guitariste et d'un saxophoniste. On y perd un peu, surtout pour le guitariste, qui ne noue pas avec les autres musiciens d'aussi riches échanges que Perchaud (mais il n'a débarqué dans le groupe que depuis une semaine, difficile de lui en demander plus !).
Au fil des concerts, Anne Paceo devient de plus en plus à l'aise dans le dialogue avec le public, présentant les morceaux qu'elle a tous composés, de l'emblématique "Schwedagon" joué en premier morceau et repris en fin, à l'hommage à la peinture de sa mère "Toutes les fées étaient là", de morceaux vifs et bondissants à des ballades toutes douces. Les morceaux voisinent souvent les 15 minutes. Elle ne prendra pas un seul solo, mais irradie toujours d'une sereine exubérance pleine d'allant et de souplesse.
Antonin Tri Hoang passe fréquemment du saxophone alto à la clarinette basse, et beaucoup de ses solos se construisent sur des boucles qui se déforment à chaque tour. En ce qui concerne Leonardo Montana, j'avais je pense préféré le son du Fender Rhodes, pour les fusions possibles avec les autres musiciens. Le mieux serait qu'il utilise l'un ou l'autre en fonction des morceaux, comme Bojan Z par exemple.
En somme, le groupe est encore en rodage, et si les membres continuent de changer, ça peut durer longtemps. Mais les compositions murissent, et le groupe a un plus grand potentiel que Triphase. Affaire à suivre attentivement, donc.

anne pacéo quintet

Spotify: Federico Casagrande – Spirit Of The Mountains

mardi 20 septembre 2011

Simon Tanguy - Noé Soulier (Théâtre des Abbesses - 17 Septembre 2011)

Le Théâtre de la Ville et le Musée de la Danse à Rennes ont organisé en Juin 2010 la première édition d'un concours intitulé "Danse élargie". Le programme de ce soir permet d'en découvrir les respectivement 2ème et 1er prix.

Simon Tanguy - Japan

C'est un solo, sur le thème de la mort et de l'agonie. On a droit du coup à des chutes, comme un homme frappé d'un arrêt cardiaque, ou comme une marionnette dont les fils sont coupés, des crises d'épilepsie, des cris, etc., et pourtant un enfant dans les gradins n'arrête pas de pouffer de rire. C'est qu'il perçoit dans la gestuelle élastique du danseur-chorégraphe son passé de clown, qui allège considérablement le propos, et rend la pièce ma foi fort sympathique. Vers la fin, allongé au sol, il débite à toute vitesse un texte dont je ne me souviens plus du tout.

Noé Soulier - Le Royaume des Ombres

C'est aussi un solo, en 5 parties, dont le danseur-chorégraphe nous expose préalablement le contenu, habillé en t-shirt, short et chaussettes particulièrement triviales.
1/ Un abécédaire des mouvements de danse classique (arabesques, sauts, etc.). C'est surement plus drôle pour les personnes capables de reconnaitre les figures et tentant de deviner où on en est dans la progression alphabétique.
2/ Une séquence uniquement composée de "pas de préparations", ces mouvements intermédiaires permettant de passer d'une figure à une autre. Ca joue sur la frustration et l'ironie.
3/ Une séquence de "La Bayadère", mais où ne sont conservés que les pas de préparation. Cette fois, le corps se fige quand aurait du avoir lieu un vrai saut, une vraie pirouette, etc. Le décalage joue excellemment entre le ridicule de l'exercice, la banalité de la tenue vestimentaire, et la pureté classique du langage chorégraphique utilisé en détournement.
4/ La même séquence de "La Bayadère", mais cette fois avec tous les pas, mais mis dans le désordre. Cela permet d'admirer la technique du danseur.
5/ Pour la dernière séquence, il nous avait expliqué vouloir citer tous les ballets écrits au XIXème siècle. De fait, il enchaîne de courtes citations d'une vingtaine de pièces plus ou moins connues. Il les énonce d'abord, en esquissant les gestes, puis le danse. C'est virtuose, mais toujours d'une façon détachée.
Le tout donne un exercice de style, drôle, intellectuellement simulant, certainement plus riche pour les personnes qui connaissent bien le langage de la danse classique, qui donne à la fois l'impression d'un hommage et d'un atelier de réflexion autour de ce langage, et l'impression d'une presque parodie, d'un décalage ironique qui revivifie ce langage classique, et le fait passer d'une langue morte en un matériau fructueux.

Noé Soulier - D'un Pays Lointain

Une danseuse seule enchaîne des positions simples, qu'une voix off bientôt explicite comme des illustrations de mots : "effrayé", "embrasser", "lac", "tirer à l'arc", etc. Un danseur vient la rejoindre, la voix se dédouble. A la fin, ils sont 4, à rester sur place à coté les une des autres, en enchaînant les positions au rythme immuable des voix off décalées et superposées. C'est malheureusement un peu vide et répétitif. L'aspect pantomime de la danse, tout amateur de danse indienne le connait parfaitement. Et ici, l'idée n'est pas assez variée : le passage du solo au quatuor ,'apporte quasiment rien, si ce n'est des sortes de points d'orgue où des gestes très semblables sont effectués par tous au même moment. Des passages où mots et gestes ne correspondent plus, se décalent ou se répondent, sentent vite le procédé facile. Seul éveille mon attention une sorte de résumé de "La Belle au bois dormant". C'est trop long pour trop peu de matière.

Noé Soulier - Petites Perceptions

C'est dommage de présenter trois pièces de moins en moins intéressantes. Celle-ci se base sur une théorie développée par Leibnitz sur la perception globale d'un mouvement sans en percevoir les éléments séparés. En pratique, on a un trio, qui se lancent dans de courtes séquences explosives où bras et jambes s'agitent et se lancent dans tous les sens, séparées par des immobilités pleines du bruit des respirations; C'est pas vraiment esthétique à regarder, ni passionnant en tant qu'objet théorique, je ne comprends rien à ce qu'il veut démontrer, bref, je m'ennuie pas mal.

Ailleurs: Toutelaculture

samedi 10 septembre 2011

Hell's Kitchen / Rodolphe Burger & James Blood Ulmer (Cabaret Sauvage - 7 Septembre 2011)

C'est déjà mon dernier concert dans le cadre de "Jazz à la Villette 2011". Et ce n'est même pas vraiment du Jazz !

Hell's Kitchen

C'est bel et bien de Blues qu'il s'agit, mais joliment décalé. Dans ce trio suisse, nous avons un chanteur guitariste, Bernard Monney, à la voix éraillée et perçante, un contrebassiste Christophe Ryser, plutôt minimal, et un percussionniste, Cédric Taillefer, qui a agrémenté sa batterie d'éléments disparates, tambour de machine à laver ou diverses barres de métal. La couleur que prend la couche rythmique en devient assez urbaine, avec des accents industriels, et une belle complexité. Le guitariste joue assis, mais se lève de temps en temps pour danser et faire un peu de spectacle. Les chansons s'enchaînent dans des tempi assez variées, et ont souvent un aspect comme déglingué, dévié du modèle originel. Un show fort sympathique.

Hell's Kitchen

Rodolphe Burger & James Blood Ulmer

Et là, il n'y a plus rien de déglingué, au contraire. Batteur, bassiste, et orgue, créent un arrière-plan particulièrement solide, carré, et manquant quelque peu de fantaisie. Mais ils ne sont là que pour fournir le décor qu'investissent les deux héros guitaristes et chanteurs. Le premier morceau sera le plus déchainé, avec des guitares mugissantes ou vrombissantes, dans la rage ou dans la plainte. On a ensuite un partage : à James Blood Ulmer les morceaux les plus rapides, à Rodolphe Burger les plus planants. De légers problèmes techniques émaillent la soirée (la voix si grave de Burger qui sature, la guitare de Blood Ulmer qui tombe en panne ...), mais l'ambiance demeure, une belle union entre ces deux-là et le public, qui se laisse emporter avec plaisir.

Rodolphe Burger & James Blood Ulmer

Ailleurs: Le Hamster et la Frite, Toute la Culture
Spotify: Hell's Kitchen – Doctor's Oven, James Blood Ulmer & Rodolphe Burger – Guitar Music, Rodolphe Burger – Valley Session

mardi 6 septembre 2011

Yaron Herman / Abdullah Ibrahim Trio (Cité de la Musique - 2 Septembre 2011)

Je retrouve avec plaisir le confort de la salle de concert de la Cité. Nouveauté de cette année : ils ont refait le bar !

Yaron Herman - solo

Cela commence par une mélodie, qui prend rapidement un bel essor, avant de se métamorphoser encore et encore, au gré des idées fort nombreuses qu'il applique avec virtuosité. Différents climats s'enchaînent avec un grand naturel, le cerveau ayant comme de l'avance sur les mains, ce qui lui permet de fignoler les transitions. Il est surtout question de vélocité, d'énergie, de course parfois effrénée, mais toujours soutenue par des arches mélodiques ou des systèmes modaux (ce n'est pas du Free Jazz). Après ce long premier morceau en forme de patchwork, les suivants sont plus classiquement brodés autour d'un thème dérivé d'un standard ou d'une composition personnelle, mais dont seules des bribes restent, au milieu d'envolées furieuses ou de dérivations songeuses. Il profite aussi du beau piano pour l'utiliser en percussion, et pour jouer un peu dans les cordes. La beauté semble souvent un peu masquée par la technique assez ébouriffante, mais elle est là, affleurante, à nous de la capter. Au final, sur "Hallelujah", l'émotion est plus facile, peut-être un peu trop, je préfère un morceau précédent, inspiré par Radiohead.

Yaron Herman

Abdullah Ibrahim Trio

Changement radical d'atmosphère. Abdullah Ibrahim n'a plus rien à prouver, ni au public, ni à lui-même. Il joue, avec cette simplicité qu'il faut des décennies pour acquérir. Ces compagnons, Belden Bullock à la contrebasse et George Gray à la batterie, sont sur la même longeur d'onde. Le temps en est suspendu, une bulle onirique où chaque note brille avec une sereine évidence. Les morceaux sont enchainés en de longues suites. A force, la couleur devient un peu trop monolithique, et au lieu d'avoir l'impression de partager une musique intime, j'ai vers la fin plus celle d'assister à une leçon, magistrale soit, mais un peu trop distanciée.

Abdullah Ibrahim Trio

Ce concert était diffusé en direct par France Musique, et peut être réécouté pendant un mois.

Ailleurs: Dernières Nouvelles du Jazz
Spotify: Yaron Herman – Variations, Abdullah Ibrahim – African Magic

lundi 5 septembre 2011

Mulatu Astatke / Cinematic Orchestra (Grande Halle de la Villette - 1 Septembre 2011)

Pour commencer cette année en douceur, voici un concert plutôt tranquille donné à la Grande Halle, dont les bancs ont été remplacés par des sièges du genre stade de foot, relativement confortable quoique un peu serrés.

Mulatu Astatke

De "Broken Flowers" je me rappelle plus les mines de Bill Murray que de la BO. C'est pourtant ce film qui a fait connaître à un certain public ce vétéran fondateur du Jazz éthiopien. Les rythmes sont plutôt mid-tempo et langoureusement élastiques, maintenus avec maestria par le contrebassiste Neil Charles, que viennent soutenir le batteur David De Rosen et le percussionniste Richard Olatunde Baker, sans oublier Mulatu Astatke lui-même, parfois aux congas mais essentiellement au vibraphone, où il essaime des ponctuations de couleurs flottantes, ou se promène armé de trois marteaux, le long de solos nonchalants et chantants. Aux cotés du trompettiste Byron Wallen, du saxophoniste James Arben et du pianiste Alexander Hawkins, on remarque la présence plus étonnante d'un violoncelliste, Danny Keane. Tout cela permet des étalages et des mixages de matières et de couleurs fort agréables. Que plus de la moitié des musiciens soient blancs montre aussi que l'authenticité musicale n'a rien à voir avec la couleur de la peau. Je me surprends finalement à reconnaître certains airs, sans doute passés sur Nova. Vers la fin du concert, les tempi accélèrent, les solos se font plus enflammés. L'heure tourne, ils ne respectent guère l'horaire de "première partie", mais c'est qu'ils étaient initialement prévus en "deuxième partie", et personne ne se plaint qu'ils fassent du rab.

Mulatu Astatké

Cette partie a été enregistrée par Arte et est donc disponible sur ArteLiveWeb.

Cinematic Orchestra

Alors, comment passe sur scène ce groupe aux disques si finement travaillés en studio ? Comme ci comme ça. Dans les déceptions, il y a des tentatives d'allonger les morceaux, mais au prix d'articulations qui sonnent artificielles, des relances comme forcées pour placer des solos. On "voit" bien sur beaucoup mieux comment Jason Swinscoe contrôle ses musiciens depuis ses machines électroniques et claviers d'ordinateur, lançant des boucles, indiquant les départs et parfois les arrêts des interventions. Mais cela reste un peu froid. Ca s'améliore quand la chanteuse Heidi Vogel peut profiter de vrais textes, qu'elle balance avec une conviction suffisante pour faire oublier Fontella Bass. Par contre, dans les parties uniquement vocalisantes, elle en fait un peu des tonnes, catégorie chanteuse exotique à voix. Dernière petite déception : Richard Spaven, par ailleurs brillant, n'est pas, dans "Flite", à la hauteur de l'album. Mais il y a quand même de grands moments : quelques minutes où ils s'adonnent à du Free Jazz bien pêchu, un passage presque trance techno, et une version impeccable de "Man with a Movie Camera".

Cinematic Orchestra Cinematic Orchestra

Ailleurs: bazarmusikal
Spotify : Mulatu Astatke – Mulatu Steps Ahead, The Cinematic Orchestra – Every Day, The Cinematic Orchestra – LIVE at The Royal Albert Hall