mardi 28 septembre 2010

Hofesh Shechter - Political Mother (Théâtre de la Ville - 25 Septembre 2010)

Ca commence par une musique rouleau-compresseur pendant 30 minutes, une boucle rythmique déferlante ravageuse, que Shechter, puisqu'il en est également le compositeur, relance périodiquement en variant l'épaisseur sonore, et en la mettant en scène, puisque des musiciens sont là, qu'il éclaire par moments, une rangée de tambours-majors en bas, une de guitaristes au-dessus, un chanteur au milieu d'eux, le tout éclairé de manière spectaculaire mais qui finit par créer une ambiance fascisante.
Les danseurs, toujours aussi physiques, réagissent à cette musique de diverses manières. Presque tout le temps en groupe, parfois totalement figé, parfois ondulant ou trépignant d'un seul bloc, parfois se divisant en lignes entrecroisées joliment complexes.
Puis tout change, quand la musique se fait plus discrète, que les tenues évoquent des prisonniers, que le fascisme de la mise en scène de la musique passe à un climat d'oppression, de camp de concentration avec des exécutions et des humiliations.
Le problème, c'est que Hofesh Shechter utilise des matériaux lourds, mais sans vraiment élaborer de discours. Ces éléments viennent d'un travail d'improvisation et d'élaboration collective par la troupe, qui auraient nécessité une construction plus stricte. D'ailleurs, certains épisodes restent bien énigmatiques, comme ce seppuku initial, ou un peu plus tard des tenues de samouraï. Vers la fin, un slogan est lentement révélé "when there is pressure ... there is ... folkdance", et de fait, certains mouvements y font penser. Mais c'est ça, la morale de cette pièce, à l'énergie si enthousiasmante, mais au discours si pauvre ? Beaucoup de bruit et de mouvements pour pas grand-chose. Mais n'empêche, on a passé un bon moment.

lundi 27 septembre 2010

Sequentia - L'Edda, la malédiction de l'or du Rhin (Cité de la Musique - 24 Septembre 2010)

L'Edda, c'est le récit mythologique islandais qui va de la création du monde à la prophétie de sa destruction, en passant par les luttes sanguinaires entre deux familles. Magie, trahison, amour, obsession, difficile de ne pas entendre partout les échos renversés de la tétralogie wagnérienne : Sigurdr, Fafnir, Brynhildr, etc. L'arrivée d'Attila surprend plus.
Pour interpréter ce texte, l'ensemble Sequentia a longuement réfléchi aux rares indices disponibles sur la manières dont bardes et chanteurs pouvaient le jouer à l'époque. On a des passages chantés par Benjamin Bagby, et d'autres par le duo Agnethe Christensen et Lena Susanne Norin, fascinantes de menus décalages et d'échos entre leur voix. Pour accompagner, une petite harpe, une vièle, une flûte, et un bref instant de tambourin.
Chaque chant est d'un ambitus très restreint, une sorte de modalité archaïque qui se ressent fortement.
A part ça, une journée de boulot particulièrement longue m'empêche en partie de bien profiter de la soirée. Les couleurs successives des épisodes me plaisent bien, mais je laisse bientôt tomber le récit rempli de meurtres et de vengeance.

dimanche 19 septembre 2010

Nina Hagen (Cité de la Musique - 17 Septembre 2010)

Même récemment baptisée et du coup quelque peu prosélyte, Nina Hagen reste une punk. Elle débarque sur scène avec bottes moulantes, jupette à froufrou, et un tee-shirt "Jesus - Highway To Heaven" parodiant AC/DC.

nina hagen à la cité de la musique

A l'image de son dernier album "Personal Jesus", le concert est principalement constitué de reprises, dont un grand nombre parle plus ou moins directement de religion. Les musiciens qui l'accompagnent passent sans encombre d'un gospel bluesy à une balade rock, d'un paysage technoïde à un punk furieux ; mais cela donne plus l'impression d'excellents musiciens de studio, façon orchestre de la Nouvelle Star, que d'un vrai groupe soudé avec sa propre identité.
Elle au milieu investit la scène avec exubérance et un brin de folie, discutant avec le public en anglais garni de mots français, se plaignant qu'on ne lui donne pas la guitare amenée exprès de Berlin (sketch préparé peut-être ?), parlant du danger des "atomic poubelles", ou expliquant qu'il y a certaines chansons qu'elle ne peut plus chanter à son âge, mais qu'elle peut par contre devenir grand-mère ... Elle n'est pas toujours bien en face du micro et sa voix du coup part un peu au hasard, elle réclame un pied pour accrocher son micro puis le balance par terre, bref, elle se débrouille pour qu'il y ait toujours une part de désordre sur la scène, une part d'anarchie, une part de vie.

nina hagen à la cité de la musique

Au milieu du spectacle, elle ouvre une longue parenthèse à la mode unplugged, pour un répertoire plus gospel et negro-spiritual. Dans cet environnement plus restreint, on peut mieux admirer sa voix caméléon, qui a sans doute perdu dans les aigus et dans la puissance brute, mais où flotte toujours ces éclats de sorcière, ces ombres mutantes, où s'ajoutent plus que dans le passé des échos de cabaret berlinois quand elle chante en allemand, et où elle s'implique avec une sincérité inébranlable.
Même si cette partie est un peu trop longue, cela l'installe définitivement dans la soirée. Et elle repart dans l'électrique avec encore plus de force et de présence, avec entre autres un magnifique "Killer".

nina hagen à la cité de la musique

Un premier "bis" avec le groupe, puis un deuxième seule à la guitare, avec entre autres un surprenant "We Shall Overcome", puis un dernier morceau avec le groupe, le concert aura duré près de deux heures, et elle y aura pulsé une énergie vitale pleine d'humour et de joie, où le discours religieux passe parce qu'elle y met le décalage nécessaire.

L'excellent et indispensable Arte Live Web était là et a enregistré le concert.

Ailleurs: MHF
Spotify: Nina Hagen - Personal Jesus, son dernier album en date qui passe bien mieux en concert ; les albums classique Unbehagen et Nina Hagen Band n'y sont pas. J'ajoute du coup Spliff - 85555 + Herzlichen Glückwunsch, qui est son ancien groupe ayant fait leur route de leur coté.

dimanche 12 septembre 2010

Stefano di Battista (Grande Halle de la Villette - 9 Septembre 2010)

Eric Legnini - Afrojazzbeat

Cela commence par un trio, Eric Legnini au piano, Thomas Bramerie à la contrebasse, Frank Agulhon à la batterie, accompagnés de Kiala Nzavotunga sur un petit clavier percussif. Mais ce dernier reste plutôt décoratif, sans apporter grand-chose à la musique. Cela devient plus grave quand s'ajoutent Julien Alour, trompette, Boris Pokora, saxophone, et Jerry Edwards, trombone, qui eux non plus n'apporteront pas grand-chose à la musique : pas un seul solo ! Quand Coltrane convoquait toute une bande prestigieuse de souffleurs pour "Africa/Brass" et les reléguait en arrière-plan, au moins bénéficiaient-ils des arrangements d'Eric Dolphy. Ici, tout se concentre sur le jeu de Legnini, fluide, joyeux, par moment tempétueux, très agréable ; mais qui vampirise tout le reste. Quand à l'élément "afrojazz", la présence du guitariste de Fela Kuti Kiala Nzavotunga ne suffit pas ; quelques jours après le passage de Tony Allen, Frank Agulhon n'essaie même pas d'impulser cet élan particulier, et se contente d'un drive swing précis mais plat. Après quelques morceaux arrive la chanteuse Krystle Warren, belle voix à la sensualité tamisée. On tombe dans du "jazz vocal" qui flirte avec la pop, idéal pour les lounges et les apéritifs.

éric legnini afrojazzbeat

Stefano di Battista

Tant qu'à être dans le mainstream, autant viser le haut du panier. L'équipe réunie autour de di Battista est de haute volée, Roberto Tarenzi au piano, Antonio Sanchez à la batterie, Rosario Bonaccorso à la contrebasse, et Jonathan Kreisberg à la guitare qui bénéficie de larges espaces, dans un style que je rapprocherais de Kenny Burrell. Si di Battiste fait penser parfois à Coltrane dans la rapidité de son jeu (et en citant un extrait de l'emblématique "Favorite Things"), il n'en possède pas la dimension mystique. On est plus dans l'entertainment, avec de très réussis petits discours introductifs, mi-italien mi-français plus des pointes d'anglais, très hableur, charmant, italien, quoi.
Du beau travail, tout ça, mais dans un genre si balisé que quelques jours après, tout souvenir a disparu.

stefano di battista

Spotify: Eric Legnini - Miss Soul, Stefano di Battista avec Elvin Jones, et Fabio Morgera - Need For Peace avec Krystle Warren.

lundi 6 septembre 2010

Ibrahim Maalouf invite Dave Douglas (Grande Halle de la Villette - 3 Septembre 2010)

Portico Quartet

Ce quatuor mélange diverses épices à son Jazz, dont un hang, qui vient compléter un instrumentarium plus classique, batterie, contrebasse, saxophone. Le point faible est de ce dernier coté, Jack Wyllie me laissant parfaitement indifférent. Le son du hang, joué par Nick Mulvey, est intriguant un moment, lassant un peu plus tard, puis on l'oublie. Reste le batteur Duncan Bellamy qui investit sans vergogne et en grande réussite dans des territoires plus drum'n'bass, rejoint par le contrebassiste Milo Fitzpatrick qui à l'aide de pédales d'effet élargit le son de son instrument de façon captivante. Le groupe évolue quelque part entre Cinematic Orchestra (la beauté des voix en moins) et Hadouk Trio (l'exotisme démonstratif des instruments en moins). Agréable, mais pas de quoi se relever la nuit.

Ibrahim Maalouf invite Dave Douglas

Ca commence en fanfare, avec le quintet de trompettes Trombania, la batucada Zalindé, guitare, basse, batterie, piano, et Ibrahim Maalouf qui commande tout ce monde de sa trompette à quarts de tons. Dès qu'il commence à jouer, un souffle nous emporte. Cette vaste suite pleine de climats, composée pour le concert de ce soir, est magnifique, d'une grande beauté de composition.

ibrahim maalouf invite dave douglas

Quand elle s'achève, tout le monde s'en va. Seul reste Frank Woeste, rejoint par son trio, Yoni Zelnick à la contrebasse et Matthieu Chazarenc à la batterie. Cet interlude tout en contraste est suivi d'un agrandissement du groupe, rejoint par Frank Tortiller au vibraphone, Thomas Savy à la clarinette basse, et Dave Douglas à la trompette, pour trois morceaux de ce dernier. Quel groupe ! Ils explorent les tortueux et mystérieux méandres en les parsemant de solos renversants, particulièrement Frank Tortiller, extraordinaire en variations fines de vitesse de frappe.

ibrahim maalouf invite dave douglas

Retour de Ibrahim Maalouf, qui a un contact très naturel avec le public, entre apostrophes tranquilles et anecdotes répétées. Si son jeu me ravit, riche des quarts de tons de la musique arabe, son accompagnement (guitariste Nenad Gajin, bassiste Benjamin Molinaro, batteur Julien Charlet) me séduit moins que le rassemblement précédent. Les morceaux proposés me plaisent moins aussi.
Mais une seconde suite vient (presque) clôturer la soirée, moins somptueuse, plus majesteuse, avec une introduction pour le quintet de trompettes un peu trop écrite.
Et en conclusion, descente des gradins d'un Médéric Collignon toujours aussi dingue, dialogue de virtuosité entre Douglas et Collignon, rejoints par Maalouf.

ibrahim maalouf invite dave douglas

Et ça fait plus de deux heures qu'ils jouent, c'est flamboyant, palpitant, varié, un grand plaisir, une assez folle générosité. Au final, les deux suites de Maalouf étaient splendides, les compositions de Douglas passionnantes, le jeu de Maalouf une excellente découverte, la scénographie particulièrement soignée, bref un concert hors norme, et une grande réussite.

Ailleurs : Alex Duthil
Spotify: Portico Quartet - Knee-Deep in the North Sea, Dave Douglas - Keystone, Frank Woeste Trio - Untold Stories.
Pas de Maalouf sur Spotify, du coup une vidéo à la place.

samedi 4 septembre 2010

Jimi Tenor & Kabu Kabu meet Tony Allen (Cabaret Sauvage - 1 Septembre 2010)

Get The Blessing

Un batteur qui a du métier, Clive Deamer ; un bassiste qui fait semblant de jouer de la guitare, Jim Barr ; un trompettiste lyrique aux solos fort réussis, Pete Judge ; un saxophoniste qui les accompagne pour cette tournée et qui me semble peu inspiré, Jake McMurchie. Les morceaux ne donnent pas des résultats à leur hauteur de leur ambition, ils sont inutilement compliqués en alternant des vitesses et des climats sans que la sauce ne prenne vraiment. Les prestations individuelles sont ok, mais c'est par la définition du groupe que je ne suis pas convaincu. Ce n'est pas désagréable, mais ce n'est guère palpitant non plus.

Jimi Tenor & Kabu Kabu meet Tony Allen

En 2008, le label Strut a lancé une série "Inspiration Information" où des artistes choisissent un "gourou" avec qui ils rêvaient d'enregistrer. Amp Fiddler a choisi Sly & Robbie pour le premier volume, et pour le quatrième, Jimi Tenor, qui avait déjà montré son amour de l'Afro-Jazz avec son groupe Kabu Kabu, collabora avec Tony Allen, légendaire batteur de Fela Kuti.
Sur scène, ça pulse sévère. Tony Allen, sur le coté, balance ses rythmiques irrésistibles d'énergie et de souplesse. Pour épaissir, deux percussionnistes (Akinola Famson, Ekow Alabi Savage), plus un troisième qui joue aussi de la trompette (Daniel Allen Oberto), et un chanteur qui parfois joue aussi des percussions (Allonymous). Un bassiste groovy (Rody Cereyron), et un guitariste qui s'amuse trop avec des sons bizarres (Kalle Kalima). Et enfin, de l'autre coté de la scène, Jimi Tenor alterne entre le chant, les claviers, le saxophone (où il est un peu fade) et la flûte (où il excelle).

jimi tenor & kabu kabu meet tony allen

Ils reprennent les morceaux créés pour "Inspiration Information", qui étaient déjà bien intenses, et qui accrochent bien le public, chauffé par la prestation scénique d'Allonymous qui saute et danse dans tous les sens (façon Prince, folie des fringues en moins), emporté par l'épaisseur de la couche rythmique qu'installe et maintient Tony Allen, sans presque prendre de solos. Le trompettiste est aussi excellent.
Et si le guitariste m'énerve par ses sons de canard ou de kora, si le saxophone de Tenor semble trop pauvrement "pop" dans ce contexte d'Afrobeat flambant, ce ne sont que broutilles qui s'envolent dans la joie par moment euphorique, par exemple dans le solo de flûte de "Darker Side of Night".

jimi tenor & kabu kabu meet tony allen

Spotify: Get The Blessing - Bugs in Amber, Jimi Tenor & Kabu Kabu - 4th Dimension, Jimi Tenor & Tony Allen - Inspiration Information 4, Tony Allen - Live.

jeudi 2 septembre 2010

Marc Ribot Meshell Ndegeocello "A Night of Improv" (Cité de la Musique - 31 Août 2010)

Black Diamond Heavies

John Wesley, chanteur à la voix râpée et caverneuse, entre Joe Cocker et Lemmy de Motörhead, qui secoue sa copieuse chevelure comme un muppet, beugle des insanités en plaquant accords et mélodies sur un Fender Rhodes au son crasseux et poisseux, suintant des odeurs vénéneuses d'un fond de tripot ; à la batterie, Van Campbell pilonne les fûts en citant Bonham (de Led Zep), et fait tournoyer ses baguettes comme Frank Beard (de ZZ Top). Toutes les chansons ressemblent à des reprises, blues graisseux, boogies brulants, hymnes sudistes, effluves New-Orleans.
Une grosse claque, qui pousse les potards de la sono près de la zone rouge, et qui est assez courte pour ne pas lasser. Ca s'avale comme un verre de bourbon, lourd et épais, façon bitume fondant. Je m'attendais à une reprise de ZZ Top, période "La Grange", mais ce fut du Van Halen, "Ain't Talk About Love".

Marc Ribot & Meshell Ndegeocello

Pour une "night of improv", le format reste assez conservateur. Ce sont des chansons, avec des couplets et des refrains, qu'interprètent à tour de rôle Meshell Ndegeocello, Marc Ribot et Marc Anthony (alias Chocolate Genius). Le terrain est assez vaste mais cohérent, entre Funk, Rock, Folk, Soul, le tout saupoudré des "nu-" "néo-" ou "post-" qui indiquent l'aspect avant-gardiste de leur jeu. Après la tumultueuse première partie, ils se lancent avec beaucoup d'énergie également, et un peu plus de subtilité. Marc Ribot nous la joue guitar hero à fond, lignes brisées féroces, gonflées de souvenirs de riffs et d'éclats venus d'on ne sait où. Le nuage islandais ne l'ayant pas cette fois chassé, je me régale de cette énergie généreuse aux cheminements toujours surprenants, qui est la corde que je préfère dans sa riche panoplie. Meshell Ndegeocello reste plus réservée, basse somptueusement rebondissante, voix chaude comme du velours, mais elle ne se met guère en avant. Marc Anthony apporte sa touche soul sur plusieurs chansons (et semble un peu ronger son frein quand il n'a pas à chanter !). Et les autres musiciens ne sont pas en reste : Keefus Ciancia jongle entre divers claviers, dont un impressionnant appareil plein de cadrans et de boutons, qui créent des effets spéciaux aux charmes psychédéliques très vintage ; Deantoni Parks est un excellent batteur, grosse caisse très tonique, des bras qui moulinent des rythmes multicouches aux complexes profondeurs, même s'il y est parfois à la limite de l'essoufflement, et qui excelle dans le funk robotique qu'il troue de silences bien trouvés.
Pas énormément de Jazz dans ce premier concert du Festival de Jazz de la Villette, mais une grosse dose de bonnes surprises, donc tout baigne.

foule

Ailleurs: Alex Duthil, Jazz Mag

Spotify: Black Diamond Heavies - Alive as Fuck, Meshell Ndegeocello - Plantation Lullabies, Marc Ribot - Yo! I killed your God.