jeudi 29 novembre 2007

Cycle Pierre Boulez 1 (Salle Pleyel - 28 Novembre 2007)

Anton Webern - Passacaille

Cette année, mes places attribuées dans la salle Pleyel sont assez diverses. Me voici cette fois au deuxième balcon, presque tout au bout d'une des galeries, surplombant du coup l'orchestre, avec vue de profil du chef. Cela me permet d'admirer plus que d'habitude la gestuelle souple et précise de Pierre Boulez, une chorégraphie juste en avance sur la musique, magnifique de concision et d'intensité. Concision et intensité, cela pourrait être une définition de la musique de Webern, si on n'était pas à l'Opus 1, une de ses pièces les plus longues (10 minutes ; l'opus 5 pour quatuor à cordes le dépasse de peu il me semble). Ce n'est pas la "Nuit Transfigurée" de Schoenberg, mais on sent les restes d'un romantisme expressionniste exacerbé, de la torpeur initiale aux déchainements tempétueux. De ma position, c'est un régal d'écoute, chaque instrument isolable et localisable. La coda est d'une beauté rare, émouvante au point de me faire songer au concerto "à la mémoire d'un ange".

Olivier Messiaen - Chronochromie

Cette partition allie le meilleur de Messiaen (les couleurs orchestrales d'une richesse fabuleuse, les chants d'oiseaux, la gestion des tempi) et le pire (la très grande difficulté à déceler un plan d'ensemble, la sensation d'un collage bout à bout de séquences merveilleuses en elles-même mais qui ne se suivent que dans un ordre assez indifférent). Comme le livret n'indique pas les noms des musiciens supplémentaires, je ne sais pas si les spectaculaires percussionnistes (claviers et tubes) font ou non partie de l'Orchestre de Paris. La section des cordes excelle dans l'épode, magma labyrinthique complexe et fascinant.

Pierre Boulez - Le Soleil des eaux

Première audition (il ne doit pas en exister encore beaucoup, d'oeuvres de Boulez que je n'ai pas encore entendues) ! Deux parties. Pour "la complainte du lézard amoureux", il opte pour une quasi dissociation entre voix et orchestre : soit Elizabeth Atherton lance ses petites ritournelles pleines de permutations assez simples (c'est du Boulez jeune) sur un texte versifié rimé et particulièrement simple d'accès de René Char, soit l'orchestre articule de rapides intermèdes, qui débordent à peine sur la voix. Pour "la Sorgue", la situation est bien plus complexe, avec un choeur qui bourdonne ou qui s'exclame, une soliste qui se tait presque tout le temps, un orchestre raffiné et changeant, cela ne dure que quelques minutes, mais c'est une matière musicale fort dense.

Igor Stravinski - Les Soucoupes

En guise d'apéritif avant les Noces, la partie féminine du choeur Accentus nous offre ces quatre chants paysans russes, du folklore revu par les rythmiques stravinskiennes, et l'occasion d'admirer les voix des choristes solistes.

Igor Stravinski - Les Noces

Le livret indique l'existence d'une version "pour piano mécanique, harmonium, percussions et deux cymbalums" que j'aimerais entendre un jour ! En attendant, c'est la version pour quatre pianos (et le livret tait les noms des pianistes !), une kyrielle de percussionnistes, un choeur, et quatre solistes. Le problème était déjà présent pour "la Sorgue" mais éclate ici : impossible de cette place particulière d'entendre les solistes, trop en avant de la scène, et dont la voix ne me revient que par écho, par rapport aux autres instruments ; je me concentre du coup sur les constantes mutations des effets obtenus entre les pianistes et les percus, où la douceur d'une mélodie affleure parfois pour être aussitôt écrasée par une danse sauvage et piétinée par le choeur massif. C'est une musique que je connais plus accompagnée par la danse de Preljocaj, si bien que même en son absence, je vois les corps agités de rebonds et manipulés comme des marionnettes : comme quoi le chorégraphe a réussi une traduction particulièrement pertinente de cette musique. Mais c'est aussi une grande joie de l'écouter seule, et la grosse demi-heure passe en un éclair.

Ailleurs : guillaume, Palpatine.

dimanche 25 novembre 2007

La Chapelle Rhénane - Cantates profanes (Cité de la Musique - 24 Novembre 2007)

Voici un programme plutôt rare il me semble, les quelques cantates profanes de Jean-Sébastien Bach étant souvent éclipsées par son impressionnant catalogue sacré.

Cantate de la chasse - Was mir behagt, ist nur die muntre Jagdl (BWV 208)

Le livret précise : "on soupçonne le premier mouvement du premier Concerto Brandebourgeois d'avoir servi d'introduction". En son absence, l'entame est brutale, autant par la sonorité abrupte (et la justesse délicate) des deux cors de chasse, que par la voix puissante mais peu souple de Chantal Santon Jeffrey. Diane, Endymion, Pan, puis Pales, se succèdent, et parfois se joignent. C'est le passage d'Endymion qui me plait le plus, autant par la voix modeste mais très agréable de Julius Pfeifer, que pour la musique, reposant sur un air de violoncelle terriblement agile, bondissant, et chatoyant. Des duos de clarinettes hautbois ou de flutes accompagneront Tanya Aspelmeier, charmante, et Edwin Crossley-Mercer, lui aussi trop puissant.

Cantate "Hercule à la croisée des chemins" - Lasst uns sorgen, lasst uns wachen (BWV 213)"

Si la cantate précédente évoquait divers héros antiques dans une intrigue assez relâchée, ici il s'agit d'une leçon morale destinée au jeune Friedrich Christian pour ses 11 ans : il vaut mieux écouter la Vertu que la Volupté. Est-ce pour plaire à l'enfant que Bach utilise une sorte d'effet spécial dans une aria, avec une chanteuse en coulisse reprenant en écho les "Nein" ou "Ja" d'Hercule (excellemment chanté par le contre-ténor Philippe Barth) : trio répété entre Hercule, puis le violon hautbois d'amour, puis l'écho, trois fois de suite, puis Hercule - écho - hautbois, une fois ; puis de nouveau pour "Ja" : la surprise tourne à la lassitude. De même que le duo Hercule et Vertu, un interminable "Kuesse mir - ich kuesse dich" (ce qui semble bien près de la Volupté ...). Mercure, en final, enfonce le clou de la leçon.

Tout cela est fort agréable, mais par rapport aux cantates sacrées, il manque une vibration intime de l'âme, et même si l'anecdote ou la commande est sublimée par l'art de Bach, l'origine triviale de ces oeuvres reste sensible, et amoindrit l'intemporel habituel.

lundi 19 novembre 2007

Brahms par Gardiner (Salle Pleyel - 18 Novembre 2007)

Contrairement à ce qu'escomptait peut-être Palpatine, je vais être assez succinct pour ce dernier concert proposé par Sir John Eliot Gardiner autour de Johannes Brahms. Ce n'est pas exactement mon territoire, et ma capacité à analyser les œuvres présentées, leurs caractéristiques propres par rapport au genre, à l'époque, aux compositeurs voisins, est considérablement plus faible que pour le XXème siècle.
Comme je crois les soirs précédents, le concert offre dans une première partie apéritive de courtes pièces essentiellement chorales, avant la pièce de choix de la soirée isolée après l'entracte.

Johannes Brahms - Begräbnisgesang

Magnifique choeur, qu'accompagnent de surprenants cuivres - cors, trombones, tubas ...

Heinrich Schütz - Seilig sind die Toten

Un modèle d'équilibre et d'harmonie, entre la douceur du premier thème et la vivacité triomphante du second.

Johann Rudolf Ahle + Johann Sebastian Bach - Es ist genug

Enchainer les deux pièces fonctionne mal, ou trop bien, tout le monde a l'impression que le Bach n'a pas été joué - sauf ceux qui suivaient le texte. On peut noter dans la notice que "es ist genug" signifie "cela suffit" chez Ahle, et "c'en est assez" chez Bach.

Heinrich Schütz - Wie leiblich sind deine Wohnungen

Aucun souvenir; guillaume si.

Johann Christoph Bach - Es ist nun aus mit meinem Leben

Du cousin du père de Jean Sébastien, il s'agit d'une tranquille berceuse ("Welt, gute Nacht !" conclut chaque couplet), modeste et monotone, à la simplicité doucement émouvante.

Johannes Brahms - Ein deutsches Requiem

Vous pourrez profiter de cet enregistrement en CD dans quelques temps, puisqu'on nous rappelle à cette occasion de bien couper les téléphones (et de fait, il y eut relativement peu d'irruptions sonores incongrues). De la belle et grande musique, sérieuse et bien nourrissante ! Je retiens essentiellement la partition hypnotique du timbalier dans le deuxième mouvement. Le reste glisse, j'apprécie à l'écoute, mais n'en garde guère de traces.

jeudi 15 novembre 2007

Shantala Shivalingappa - Namasya (Théâtre des Abbesses - 13 Novembre 2007)

Spécialiste de kuchipudi, Shantala Shivalingappa possède d'autres flèches à son arc : danseuse espiègle chez Bausch, exotique Ophélia chez Brook ... Elle décide ce soir de nous montrer des facettes contemporaines de sa danse.

D'abord "Ibuki (souffle)" de Ushio Amagatsu (le chorégraphe habituel de Sankai Juku, que je n'ai toujours pas vu, honte à moi !). Mais ce solo ne me convaincra pas de l'indispensabilité de ce chorégraphe : habillée de blanc, elle utilise un vocabulaire qui m'échappe totalement ; les bras se tendent, mais vers quoi ? des émotions passent sur son visage, mais qui expriment quoi ? une histoire peut-être se déroule, mais laquelle ? Je n'y comprends pas grand-chose, et n'entre pas dans la danse. La musique de Yoichiro Yoshikawa, une sorte de world-jazz très élaborée, trop, riche en contenu mais pauvre en émotions, n'aide pas.

Une belle vidéo faite de gros plans et de ralentis sur des pas de kuchipudi exécutés sous la pluie lui donne le temps de changer de tenue. Une robe magnifique, normal, on entre dans l'univers de Pina Bausch, pour un "Solo" inventé en résidence à Wuppertal, par Shivalingappa, sous les conseils de Pina. Beaucoup d'élégance, et puis la douleur d'une torsion, et puis la tendresse d'un sourire, et des postures de danse indienne qui reviennent ponctuer le mouvement, c'est ma pièce préférée de la soirée.

On enchaine avec "Shift" et "Smanara" (je crois - pièce ajoutée et annoncée au micro uniquement), deux morceaux qui pourraient presque faire partie de ses spectacles habituels : un glissement sur le plateau qui, dit la notice, vient de Gamaka, puis une pièce essentiellement assise et de dos.

Mais j'ai du mal à accrocher. Je regarde, je m'assoupis à moitié, j'admire certains moments, mais tout s'effiloche sans que je sente rien qui vibre ou qui perce. Un spectacle un peu vide, en fait. Dommage, j'en attendais plus.

dimanche 11 novembre 2007

Visions wagnériennes - Noord nederlands Orkest (Cité de la Musique - 10 Novembre 2007)

Richard Wagner - Prélude de Lohengrin

Ah, ce doux murmure des cordes, tendre et douloureux, entendu cette fois sans public finissant de s'installer ou papotant en attendant la suite, bonheur ; quand les textures s'épaississent, le charme s'évanouit quelque peu. Et s'arrêter ainsi au prélude est un peu frustrant.

karlheinz Stockhausen - Formel

Curieux destin pour cette pièce : Stockhausen l'a d'abord censurée, parce que "trop thématique", avant de la ressortir du placard 20 ans plus tard, quand il s'aperçoit qu'elle contient en racine la musique qu'il compose désormais. C'est de la jolie musique, où on sent des principes de construction déclinés de manières variées (échos ralentis ou accélérés, passant d'un pupitre à l'autre, inversés ou transposés, ce genre de choses), qui donne une surface assez changeante, mais au bout d'un moment, on a l'impression de tourner un peu en rond, à force d'explorer toujours la même matrice de toutes les transformations possibles. Agréable mais lassant.

Iannis Xenakis - Eridanos

On prend un fragment d'ADN, on utilise un grand orchestre à cordes pour en jouer l'hydrogène et l'oxygène, et un ensemble de cuivres pour carbone et phosphore. Grands tutti, pulsations, oppositions de masses orchestrales, c'est bien du Xenakis, impressionnant et décapant ; cela pourrait ressembler aux phénoménales pièces orchestrales de Scelci, si au-delà de l'aspect plein-la-vue existait une aspiration plus mystique, qui ici me manque : qu'a à dire cette musique ?

Richard Wagner - Enchantement du vendredi saint

Un extrait de 5 minutes de Parsifal, c'est un brin ridicule. Hors contexte, le début en est râpeux, et le développement peu compréhensible, sans le travail thématique qui le baigne certainement dans sa durée d'opéra.

Charles Ives - Universe Symphony

Le gros morceau de la soirée. Michel Tabachnik prend le micro pour quelques explications préalables, bien utiles pour comprendre l'organisation de la pièce, donnée en création française, vues les difficultés de mise en place de la structure nécessaire.
Il y a en effet 3 ensembles orchestraux sur scène, chacun avec son chef ; deux autres dans les gradins latéraux, avec leur chef également ; et un au fond de la salle, qui suit le chef principal par écran interposé ; enfin, tout autour de la salle, une vingtaine de percussionnistes. Chaque chef et chaque percussionniste est muni d'une oreillette qui lui transmet son tempo, tous différents et asynchrones (on conçoit l'utopie de Ives de concevoir pareille contrainte en 1915 ! Avait-il un quelconque espoir de pouvoir un jour entendre son oeuvre en concert, ou cet aspect ne l'intéressait-il pas ?).
Début dans le noir, avec un fond de cordes basses, venant de l'arrière. Puis les percussions s'éveillent peu à peu, palpitent, tremblent, crépitent, bourgeonnent, brillent, fusionnent, s'embrasent, frétillent, flamboient, cavalent, fracassent, chacune simple séquence, mais en superpositions aléatoires étincelles et feux d'artifice, fusions foudroyantes et illuminations instantanées, ordre et chaos intimement mêlés, Varèse rencontre Ligeti, Cage salue Stockhausen, cette partie presque purement rythmique dure sans doute un gros quart d'heure, et c'est du jamais-entendu jamais-vécu, être assis au milieu d'un tel maelström sensoriel, l'esprit tourbillonnant d'un rythme à l'autre, à droite à gauche ou derrière soi, la naissance de l'univers en live, rien de moins.
Lorsque les orchestres se mettent de la partie, je suis moins envouté, car le mélange des timbres n'atteint pas les mêmes sommets d'inouï, on retombe dans du plus banal, malgré les décalages rythmiques, qui ne donnent guère qu'une impression de confusion. Jusqu'à l'apothéose apocalyptique, où tous entrent dans la danse, magma musical où tous fusionnent et se fondent, explosion extatique de rythmes et de sons, moment monumental, charivari cathartique, déflagration démiurgique ...
Expérience extraordinaire que l'écoute (faible mot - les rythmes ne se reçoivent pas que par les oreilles, mais aussi par les os - c'est de la musique qui se ressent autant qu'elle s'écoute) de cette pièce, qui ne sera pas sans doute reproduite de sitôt. Le public acclame Tabachnik, l'orchestre hollandais, et les percussionnistes de La Haye.

Ailleurs : Simon Corley

jeudi 1 novembre 2007

Toxique

Dans son dernier album "A Time for Everything" (excellent même si moins passionnant que "Variations"), Yaron Herman, en plus de reprendre du Björk comme tout le monde, interprète du Leonard Cohen, du Sting, du Scriabine, ... et du Britney Spears - ou plutôt, du Dennis / Karlsson / Winnberg / Jonback (la blonde n'est pas compositrice) : "Toxic".




Je me suis ensuite souvenu qu'une autre reprise avait tourné en boucle sur Radio Nova il y a quelques mois.


On peut trouver plus surprenant, en fouillant un peu dans l'armoire à clips :


Et en simplifiant encore l'orchestration :


Ralentissons encore, et passons au piano :


Difficile de faire plus lent, mais un pur a-capella ? Voilà :


Une conclusion ? Euh non.

Edit : La traque continue !