samedi 25 juin 2011

Fête de la musique "Bee Jazz" (Théâtre du Châtelet - 21 Juin 2011)

Le label Bee Jazz organise au Châtelet cette soirée où se succèdent trois formations, piano solo, duo piano saxophone, trio piano basse batterie. C'est bien sur l'occasion de faire un peu de promotion pour leurs albums récents, surtout pour "Aéroplanes" de Hoang et Delbecq, que Bee Jazz pousse en avant assez agressivement. Pas mal d'invités dans le foyer du théâtre ne semblent venus que pour eux ...

Guillaume de Chassy


soirée bee jazz

Pour lutter contre la morosité, explique-t-il, le pianiste décide de nous offrir un bouquet de chansons. Les sources sont très diverses : folklore hongrois, Charles Trenet, Neil Young, du Prokofiev ... Les thèmes sont développés avec une grande assurance, et l'exploration mélodique des thèmes bénéficie de son sens de la construction, très solidement charpentée (les surprises rythmiques sont du coup rares). J'ai particulièrement aimé le traitement de "Like a Hurricane", avec une tension grandissante, par une saturation harmonique puissante, pédale de droite enfoncée, jusqu'à créer une chambre d'échos impressionnante, au milieu de laquelle il reprend la mélodie à nue, très bel effet de contraste. Jolie idée aussi pour le Charles Trenet, de ne donner la mélodie qu'à la fin, après avoir longuement cheminé loin du thème.

Antoni-Tri Hoang / Benoît Delbecq


soirée bee jazz

On change de registre avec ce duo, à la musique plus aventureuse, plus fragile, qui me convainc plus sur leur disque que lors du concert. Delbecq prépare un peu le piano, puis reste toujours comme en arrière-plan (mais c'est je crois son style, il accole son univers original à celui de ses camarades de jeu, comme pour ne pas s'imposer). Hoang joue doucement, se lance dans ses compositions aux équilibres subtils, alterne entre saxophone alto et clarinette basse. Improviser avec un matériel si délicat et peu conventionnel, demandera peut-être un peu plus de temps à ces deux musiciens pour que ça fonctionne vraiment (ou à moi de me familiariser plus avec leur musique, le CD est là pour ça). Mais ce soir, moi, ça ne m'a pas emporté comme je l'aurais espéré.

Edwin Berg / Eric Surmenian / Fred Jeanne


soirée bee jazz

Et pour finir, un trio à l'esthétique très inspirée des premiers trios de Bill Evans, que ce soit chez le batteur Fred Jeanne, finement coloriste, chez le pianiste Edwin Berg, sensible et frissonnant, jusqu'à son attitude corporelle de romantique torturé par les affres de la création, ou le contrebassiste Eric Surmenian, qui m'a fortement impressionné, touche délicate, solos poétiques, émotion à fleur de cordes, non pas en simple héritage plaqué de Scott LaFaro mais intégré dans son son personnel, superbe découverte.

dimanche 19 juin 2011

EIC + Neue Vocalsolisten Stuttgart (Cité de la Musique - 17 Juin 2011)

Troisième concert de suite à la Cité, mais celui-ci était prévu au programme ! Inscrit dans la Biennale d'Art Vocal, il comportera une pièce purement vocale, puis une pièce purement instrumentale, puis une pièce mixte.

Ivan Fedele - Animus Anima II

Les 7 chanteurs et chanteuses commencent par des bruits vocaux puis lancent des mots en italien, difficile de ne pas penser à Berio. Mais il y a quelque-chose de plus structuré dans cette pièce de Fedele, qui coupe ses 20 minutes en 4 parties, et sans vraiment ennuyer, ne passionne pas non plus.

Johannes Maria Staud - Par ici !

Deuxième pièce que j'entends de ce jeune compositeur autrichien, et j'aime beaucoup. Si elle ne dure que 8 minutes, elle me semble particulièrement dense en événements, et réussit à caser dans cette période beaucoup d'excellente musique, avec une bonne dramaturgie, un début en aplat ("la mer des Ténèbres" des vers du "Voyage" de Baudelaire qui sert de thème ?), une fin en appel vif ("Par ici ! Vous qui voulez manger le Lotus parfumé !" ?). Le livret insiste sur le rôle du piano où un dispositif Ircam ajoute des quarts de tons mouvants. Comme d'habitude, j'absorbe cette micro-tonalité sans même m'en rendre compte !
Cette pièce est un travail préparatoire à une mise en musique de tout le poème "Le Voyage" de Baudelaire, que j'attends maintenant avec gourmandise !

johannes maria staud

Bruno Mantovani - Cantate n°1

C'est le gros morceau du concert, plus de 40 minutes de musique pour 6 musiciens et 7 chanteurs et chanteuses, autour d'une dizaine de poèmes de Rilke. Les variations dans le traitement vocal (plus prononcées que pour son dernier opéra !), les fins arrangements instrumentaux, qui renouent avec les alliages étranges qui sont l'une des forces de Mantovani (même avec si peu d'instruments, il crée des mixtures genre alto / clarinette, comme si chacun s'approchait du son de l'autre par la technique de jeu, le résultat est plusieurs fois très troublant et beau), les interludes entre les poèmes souvent très sobres, donnent à cette cantate une force maintenue sur la longueur.
Dans le livret, Mantovani s'inquiétait de donner un "n°1" en titre si jamais ne venait un "n°2", mais en fait, il y a déjà désormais une "cantate n°2".

bruno mantovani

Spotify: Johannes Maria Staud – Tempo rubato, Bruno Mantovani: Concerto pour deux altos, Time Stretch & Finale, Ivan Fedele: Mixtim

Matteo Cesari - Autour de Ferneyhough et des mythes grecs (Cité de la Musique - 16 Juin 2011)

Dans l'amphithéâtre est donnée une série de concerts gratuits présentant de jeunes solistes du conservatoire voisin, qui aurait mérité un peu plus de publicité ! Je tombe sur ce concert totalement par hasard, en découvrant un dépliant de présentation lors du concert de la veille, où j'étais déjà par le hasard d'une invitation de dernière minute.
Bref, c'est devant une salle bien trop peu pleine que se produit le flûtiste Matteo Cesari, accompagné par le pianiste Fuminori Tanada.

Brian Ferneyhough - Cassandra's dream Song

Cette pièce, réputée injouable encore dans les années 70', est maintenant au programme des élèves de conservatoire qui veulent interpréter du contemporain ... Ce pourrait être un simple étalage de techniques hallucinantes, genre jouer plusieurs notes à la fois tout en utilisant les clés comme éléments de percussion, mais c'est aussi une atmosphère légèrement cauchemardesque, une nuit fiévreuse traversée de visions inquiétantes. Cesari accentue il me semble cet aspect onirique, qui sera présent sur plusieurs pièces. La mise en scène y contribue, qui plonge la salle et la scène dans presque l'obscurité, lui éclairé par l'écran d'une tablette informatique où défile la partition.

Giacinto Scelsi - Krishna et Rada

Je ne sais pas très bien pourquoi la soirée est intitulée "autour des mythes grecs", on en est ici assez loin quand même ... Cette pièce est assez différente du Scelsi que je connais, c'est en fait du Scelsi tardif (écrite en 1986). Le piano y est très classique, déroulant lentement une mélodie à la limite du post-romantisme. La flûte s'inscrit par incises, en-dessous ou au-dessus de cette mélodie. Le livret n'indique rien sur les oeuvres, j'apprends en fouillant un peu qu'il s'agit d'une improvisation de Giacinto Scelsi lui-même au piano et du flûtiste Carin Levine.

Brian Ferneyhough - Sisyphus Redux

"Comprendre" une pièce de Ferneyhough à la première écoute serait un peu présomptueux. J'entends un retour périodique, du temps qui tourne en rond, je suppose, par le titre, qu'il y a une suite de variations qui échouent à nous entrainer ailleurs et retombent donc au même point de départ. En tous cas, c'est moins agressif techniquement que "Cassandra Dream's Song" ou "Unity Capsule". Qu'il s'agisse ici de la "création française" montre que Cesari n'est pas vraiment un simple élève de conservatoire ...

Salvatore Sciarrino - D'un faune

Pas beaucoup de souvenirs. Cesari passe à une flute alto (entre la traditionnelle traversière et la basse). Ca commence par des grognements et feulements. On y voit une jungle et des jeux de lumière. On y entend des échos de Debussy. Mais je ne sais plus du tout ce que joue le piano.

Brian Ferneyhough - Mnemosyne

Pour flûte basse et avec bande magnétique. Donnée ici isolément, elle ne donne pas l'apaisement qu'elle procure en fin du cycle "Carceri d'invenzione", mais l'atmosphère onirique joue à plein, dans les vrombissements mystérieux de la flûte basse.

Jonathan Harvey - Nataraja

Encore un mythe pas vraiment grec ! Ce n'est pas la première fois qu'une partition de Harvey me laisse totalement indifférent, pour me plaire plus tard après quelques écoutes. L'atmosphère n'est plus du tout onirique, normal pour ce "seigneur de la danse", mais offre une alternance entre flûte et piccolo, des rythmes acides, des sonorités aigües frôlant la stridence. Peut-être le contraste avec la pièce précédente était-il trop rude sans préparation.

matteo cesari, fuminori tanada

Spotify: Carin Levine – Flutes Without Borders, Giacinto Scelsi – Complete Works for Flute and Clarinet, Jonathan Harvey: Works for flute and piano

Il Giardino Armonico - Bach et l'Italie (Cité de la Musique - 15 Juin 2011)

Arcangelo Corelli - Concerto grosso n°4 op. 6

Ce soir le Giardino Armonico ne comporte que des cordes (y compris un théorbe et un clavecin). Le chef Giovanni Antonini agite largement les bras, surtout quand il s'agit de ralentir. Par rapport à la première fois que je les avais vus, il y a une quinzaine d'années (époque de leur "4 saisons" si spectaculaire), ils se sont bien assagis. Au point de sous-dramatiser l'adagio de ce concerto grosso. Mais belles couleurs, ensoleillées à travers une légère brume.

Francesco Bartolomeo Conti - Cantate "Languet anima mea"

Entrée en scène de Roberta Invernizzi. Sa voix flotte un peu au début, puis s'affirme. Dans cette cantate arrangée par Bach, c'est la deuxième aria que je préfère, où la soprano dialogue avec un violon affable et sereinement mélancolique. P retrouve dans toute cette première partie une atmosphère très vénitienne.

Giuseppe Torelli - Concerto en ré mineur

Pas de souvenirs.

Johann Sebastian Bach - Psaume 51 "Tilge, Höchster, meine Sünden"

Cette adaptation par Bach du "Stabat Mater" de Pergolèse, qui en change le texte pour utiliser le psaume 51 (le livret explique qu'on parle alors de "contrafactum"), est bien évidemment le sommet de ce concert. Mais le fait que je connaisse pas le "Stabat Mater" me prive d'une clé d'appréciation importante. J'apprécie les échanges entre les deux sopranos Bernarda Fink et Roberta Invernizzi, reconnaît quand même les airs les plus célèbres, mais j'ai du mal à trouver l'unité de l'oeuvre, je la perçois comme une suite d'épisodes parfois un peu trop disparates pour être pris dans l'émotion.
Le public emballé réclame un bis et obtient une redite de l'extatique "amen" final.

giardino armonico

Spotify: Arcangelo Corelli : Concerti Grossi, Op. 6, Nos. 1-6, Balthasar-Neumann-Chor – Aus Der Notenbibliothek Von Johann Sebastian Bach Vol. I, Johann Sebastian Bach – Psalm 51 Cantatas 82

dimanche 12 juin 2011

Anne Paceo Quintet (Péniche Anako - 9 Juin 2011)

Depuis quelques mois, Anne Paceo a un nouveau groupe, un quintet, où elle compose tous les morceaux. Mais comme pour son trio Triphase, elle cherche un équilibre et un partage entre tous les musiciens, sans se mettre particulièrement en avant. Et de fait, ce quintet est splendide d'équilibre, parfois délicat, un assemblage subtil de duos entrecroisés.
C'est leur troisième concert, annonce-t-elle en préambule. Et il commence fortement en retard, Stéphane Kerecky arrivant sur les lieux après l'heure théorique de début. Les derniers ajustements de positionnement et de balance se feront donc lors des premiers morceaux. De plus, la petite scène de cette péniche où Anne Paceo tient une résidence mensuelle depuis le début de l'année ne pouvant contenir de piano, Leonardo Montana a opté pour un Fender Rhodes, ce qui impose un réglage fin pour ne pas empiéter sur le territoire de la contrebasse.

anne paceo quintet à la péniche anako

Et pourtant, la magie opère rapidement, dès la première chanson "Schwedagon" (une vidéo en a été enregistrée en Février). On y sent le plaisir que prend Anne Paceo à jouer sa musique, et qui irradie toujours aussi magnifiquement de son visage (à l'opposé de Kerecky qui restera comme crispé et fermé pendant une bonne partie du concert). On y entend l'excellent niveau des musiciens, autant les aguerris comme le guitariste Pierre Perchaud ou Stéphane Kerecky, ou les petits nouveaux comme Antonin-Tri Hoang, que je découvre et qui m'estomaque, par son assurance et sa grâce, sa manière de construire des solos comme des numéros de danse dans un escalier (montées et descentes à la limite de l'acrobatique mais en restant d'une grande musicalité, toute en virtuosité rythmique et subtilité harmonique).
Mais au-delà des solos, ce que je préfère sont leurs duos. Les échanges de Perchaud et Hoang, de Perchaud et Montana, de Montana et Kerecky, sont pleins d'un sentiment d'écoute, de respect, d'équilibre à trouver entre des sonorités parfois proches. C'est une musique qui respire, et qui emporte, dans de grands voyages où en entend parfois une patte Henri Texier, et à d'autres des souvenirs de pays lointains.
Si elle s'impose dans ce groupe comme une compositrice très attachante, elle reste aussi une batteuse. Dans ce rôle, elle se montre à la fois discrète et pleine d'énergie, une position assez paradoxale, où elle n'empiète pas sur les autres musiciens, mais où il suffit de l'écouter plus attentivement pour se rendre compte de la densité de son jeu, en plusieurs couches, joyeux et fluide.

anne paceo quintet à la péniche anako

Sur la page dédiée à ce quintet, on peut écouter quelques morceaux, en démo ou en live. Je mesure les progrès faits en quelques mois. Encore un peu de rodage, et ce sera un très grand groupe.
Pour le dernier morceau, Gueorgui Kornazov, venu avec quelques exemplaires de son nouveau CD, vient sur scène pour rugir férocement sur "Toutes les fées étaient là". Et Antonin-Tri Hoang lui répond sur le même registre, on peut ajouter la capacité d'adaptation aux cartes nombreuses de ce jeune homme ! (qui a par ailleurs rédigé un très intéressant mémoire sur "Finir la musique", disponible sur son éphémère blogue).

Spotify: Pierre Perchaud – Par quatre chemins, John Taylor Stéphane Kerecky – Patience

lundi 6 juin 2011

Vigh - Vallet, Payen - Cathala (La Guillotine - 5 Juin 2011)

"La Guillotine" est un lieu peu défini, peut-être un ancien bar, aujourd'hui une allure de squat, un hangar avec un établi d'un coté où on paie sa PAF de 5 euros, une collection hétéroclite de chaises et de bancs, et un débarras où trainent les restes d'un piano, un tas de chaussures, une pauvre bibliothèque garnie de livres poussiéreux ...
S'y tient chaque premier dimanche du mois les "dimanches de l'impro", où se produisent devant quelques curieux (nous étions pour cette dernière session de l'année une quinzaine) des musiciens / danseurs / troupe de théâtre / autres.

András Vigh - Gino Vallet

En première partie, ces deux-là se rencontrent pour la première fois.
Gino Vallet joue du clavier, un synthétiseur où il s'est sélectionné au fil des ans une gamme de sonorités assez restreinte : clavecin, xylophone, nappe spatiale, et effets spéciaux (entre balles de ping-pong et portes grinçante, créé m'expliquera-t-il à partir de verres d'orangeade s'entrechoquant). Il est souvent en approche rythmique, qui parfois se complexifie de belle manière, ou bricole des fugues et variations de belle facture classique, et s'amuse avec ses sons spéciaux. Un petit piano jouet donne une touche momentanée de naïveté ludique et attendrissante.
Mais le plus surprenant vient de son collègue András Vigh, qui joue de la vielle à roue. Mais sans jamais sonner comme un instrument traditionnel. En ne donnant que de courts coups sur la roue, ou au contraire en la tournant à vide, en tapant sur les touches comme s'il s'agissait d'une percussion, en utilisant les cordes sympathiques pizzicati, il transforme son instrument en riche générateur de sons variés. Et comme il est électrifié, il peut aussi en saturer le son.
Cela donne une des belles séquences de leur heure d'impro : Vallet jouant du clavecin façon Ligeti, et Vigh prenant le lead en saturant façon Hendrix. Il y aura aussi des moments très spatiaux, voyage galactique bien servi. De façon générale, un bon set, surtout pour une première rencontre, les sons choisis au synthé pouvant facilement décontenancer le vielliste.

vigh - valletvigh - valletvigh - vallet

Stéphane Payen - Sylvain Cathala

J'étais venu pour assister à Olympe Trio, une des innombrables formations d'Alexandra Grimal. Mais un problème d'avion l'empêche d'être là. Restent les deux autres compères, complices depuis longtemps (au sein du groupe Print), qui jouent tous deux de l'alto. Sans le contrepoint de Grimal (qui joue au ténor ou au soprano), cela donne un travail de texture, d'échos, de dialogue au sein d'une même tessiture, qui parfois me fait penser à du Steve Coleman (mais en moins abouti, puisqu'on parle ici d'improvisation, sans la préparation intense imposée aux Five Elements). C'est bien foutu, mais un peu répétitif. Ils n'osent qu'une seule séquence en hurlements plus marqués, leurs essais sur le son (jouer en utilisant en sourdine un gobelet, ou une jambe) ne donnant pas grand-chose.

payen - cathala

Spotify: Stéphane Payen – Thôt, Sylvain Cathala Trio – Moonless, Print & Friends – Around K