mardi 20 février 2018

Bach en 7 paroles 4 - Châtiments (Cité de la Musique - 30 Janvier 2018)

BWV 103 - Ihr werdet weinen und heulen

Pour une soirée consacrée à des châtiments, on commence par du fort allègre, avec un flûtiste virtuose, accompagnant en volutes acrobatiques le choeur, puis le bel alto Benno Schachtner. Viennent ensuite quelques trompettes ; enfin, un joli et tendre choral final.

BWV 105 - Herr, gehe nicht ins Gericht

Dès les premières notes, la douleur est là plus pressante (mais le choeur finit par se perdre un peu dans un tressage trop rapide). "Qu'elles tremblent, qu'elles chancellent" chante ensuite la soprano Sabine Devieilhe, qui semble décrire les cordes, tandis que le hautbois serpente difficultueusement. Les cordes restent bien atypiques pour l'air de basse, comme les rythmes sous l'air de ténor. Etrange cantate, en somme.

BWV 199 - Mein Herze schwimmt im Blut

Cette cantate pour soprano solo commence magnifiquement, avec un poignant duo entre Sabine Devieilhe et le hautbois, puis tourne au languissant sur tapis de cordes un peu répétitif. Une vidéo de Marina Abramovic, où une femme se flagelle  vigoureusement le dos, offre un bonus visuel sans grand intérêt.

Johann Michael Bach - Unser Leben währet siebenzig Jahr

On enchaîne, sans applaudissements, sur cet air plus ancien, que Raphaël Pichon dirige avec une sage lenteur et un léger accelerando. Très intéressant détour familial, où on entend à la fois l'archaïsme de la forme, et la source d'inspiration.

BWV 25 - Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe

Toujours pas d'applaudissements, et un choeur magnifique, où l'ensemble Pygmalion allie la grandeur des lignes et la vivacité des couleurs. L'option théâtrale et dramatique se poursuit dans les airs de ténor (Reinoud Van Mechelen) et de basse (Manuel Walser). Le climat s'allège vivement avec la soprano. Une deuxième vidéo de Marina Abramovic me reste indéchiffrable - encore moins d'intérêt que la première.

Ailleurs : le concert est disponible pendant quelques mois sur Live Philharmonie.

dimanche 18 février 2018

Youn Sun Nah (Philharmonie de Paris - 21 Janvier 2018)

Même si son dernier disque flirte un peu trop avec le "jazzy", Youn Sun Nah reste en concert monumentale d'émotion et de maîtrise. Dans son nouveau groupe, celui qui force le plus mon attention au départ est le guitariste Tomek Miernowski, qui, dans "Teach the gifted children" donne sa propre version du blues, pas trop éloignée de celle de Marc Ribot, mais avec un peu plus de nonchalance à la Clapton ; par contre, son approche de Hendrix sur "Drifting" me laisse beaucoup plus sceptique. On voit à ces références l'étendue du terrain à couvrir ! Pareil pour le contrebassiste Brad Christopher Jones, qui passe d'un accompagnement efficace et carré à une improvisation beaucoup plus bruitiste et Free. Le batteur Dan Rieser structure le tout, simple, en place, discret. Et enfin, aux claviers, Frank Woeste passe du piano au Fender Rhodes à l'orgue Hammond, du minimalisme à la virtuosité, de la dentelle au maelstrom.

Après une introduction assez musclée du dernier album ("Traveller", "Teach The Gifted Children", "Drifting"), le premier point d'émotion est atteint avec "Black is the color of my true love's hair", que toute la salle écoute au bord de l'asphyxie, tant on n'ose à peine respirer devant une telle puissance. C'est là que se joue le miracle de Youn Sun Nah en concert : c'est la même instrumentation que sur le disque (kalimba, contrebasse), mais dans la grande salle de la philharmonie, chaque note semble pesée, façonnée, projetée à la perfection, pour susciter la réaction désirée. Pour calmer le jeu, elle enchaîne sur "Magico Momento", où Miernowski excelle, puis un blues koréen, et on reprend sur le dernier album, "She moves on", "A Sailor's Life". Après quoi, une reprise de "Hallelujah" qui ne m'a pas vraiment marqué, puis c'est déjà la fin, avec "Jockey full of Bourbon".

Sauf que ce n'est pas vraiment la fin, bien sur. Comme d'habitude, elle s'amuse avec le public, le remercie constamment, semble continuellement s'excuser d'être là ; du coup elle revient rapidement des loges, pour "Man from Mars", puis explique que peut-être certains dans la salle ont un rendez-vous pour un dîner, alors elle préfère enchaîner directement sur le vrai dernier morceau du concert, à savoir, "Avec le temps" ; sobrement accompagné au piano par Woeste, là aussi, chaque syllabe, chaque souffle, semble précisément dosé, sur-articulant certaines phrases pour en dérouler d'autres en un seul élan, le tout pour une émotion à son maximum. Dévastateur.

youn sun nah

Ailleurs : Son concert à Montréal (disponible jusqu'à fin 2018) reprend à peu près les mêmes morceaux, dans une formation un peu différente.

Quatuor Arditti - Dufourt, Hurel, Dillon (Cité de la Musique - 18 Janvier 2018)

Hugues Dufourt - Le Supplice de Marsyas d’après Titien

Inspiré par un tableau particulièrement effrayant, les cordes se concentrent sur le mot "déchirer". Le premier mouvement est une opération sans anesthésie, les bistouris creusent la chair, fouillent et cherchent entre os et muscles, c'est assez sidérant. Puis le climat change. Le dernier mouvement, étrangement, me fait penser à un port, paysage balisé par les appels de cornes de brume au violoncelle, et traversé par les oiseaux qui, toujours, déchirent le ciel de leurs stridences. Assez fabuleux.

Philippe Hurel - Entre les lignes

Bien sur c'est virtuose, c'est rapide, c'est par moment spectaculaire, mais ça ne me marque pas vraiment.

James Dillon - Quatuor à cordes n°8

Le rendu sonore est très curieux : les lignes des quatre instruments ne se répondent pas par contrepoint, mais s'enroulent les unes dans les autres pour former une ligne mélodique épaisse, solide, densifiée. Surprenant.

quatuor arditti

Ailleurs : Michèle Tosi