lundi 12 juin 2006

Bunraku, l'art des marionnettes (Cité de la Musique - 11 Juin 2006)

Avec le No et le Kabuki, le Bunraku est une des trois formes traditionnelles du théâtre japonais.

La Belle à la robe enflammée d'amour : scène de la tour d'alerte au feu

Le rideau se lève sur une scène assez semblable à celle du Kabuki : étroite, toute en largeur, fermée par des panneaux de bois aux peintures naïves. A droite prennent place un joueur de shamisen, et un récitant. Sur la gauche mais invisible, un joueur de percussions ajoutera une dose de bruitisme aux moments clés. Puis apparaît la marionnette, entourée de ses trois manipulateurs. Car là est la particularité du spectacle : le manipulateur principal bouge la tête et le bras droit, un premier assistant s'occupe du bras gauche, un second des jambes ; ces assistants, tout de noir vétus et cagoulés, sont à la fois visibles et invisibles, alors que le principal escorte la marionnette dans ses aventures, l'accompagne de ses regards à la neutralité bienveillante.
Pas une parole de leur part, mais des bruits de pas parfois accentués. Tous les dialogues sont parlés/chantés (et tout ce qui existe entre ces deux formes) par le narrateur, qui se charge de toutes les voix, en plus de la description des pensées, des actions et des leçons à retenir (un peu à la manière du chanteur coréen de pansori).
Tout cela nécessite une parfaite coordination entre les trois manipulateurs pour obtenir des mouvements complexes et coordonnés, et cela nécessite un dialogue beaucoup plus libre entre ces manipulateurs d'une part, le récitant d'autre part, et enfin le joueur de shamisen, qui épaissit la trame sonore et la diversifie tout du long du spectacle.
Nous n'avons droit d'abord qu'à une scène clé d'un récit d'amour complexe, où une femme se décide à sonner l'alerte au feu pour que son amant puisse sauver sa tête, même si cela la condamne à son tour à mort. Sous la douce neige qui tombe, elle cède peu à peu à l'hystérie des sentiments, défait ses cheveux, puis grimpe à la tour fatale, dans un déferlement de cris gutturaux, de martellements sonores, de percussions cachées et de crissements de shamisen. Impressionnant.

Présentation des manipulations

En une demi-heure, un maître manipulateur nous explique l'histoire de cet art, nous montre l'armature des marionnettes, et les principes de jeu, dans une intervention où on frole bien souvent le gag trop connu des traductions, où 3 minutes de japonais agrémentées de forces gestes et mimiques sont résumées en deux phrases de quatre mots. Des explications sont disponibles en ligne, ici et ici par exemple.

Miracle au temple de Tsubosaka

Une pièce complète cette fois. Un masseur aveugle fait part à sa femme qu'il la soupçonne d'aller chaque soir rejoindre un amant ; en fait, elle grimpe au temple prier pour que cesse sa cécité. Affligé de son erreur, il lui demande de l'amener à ce temple pour y prier et jeuner, et resté seul, décide de se suicider pour épargner sa femme du fardeau de devoir le soigner. Découvrant cela, elle le suit dans la mort. Intervient alors le Bouddha, qui les ressuscite et rend la vue au masseur ; les époux dansent leur joie.
Un drame sentimental quasiment bourgeois, où la vertu est récompensée, rien de transfigurant, qui donne un aspect très "populaire" ; mais servi dans des conditions de stylisations qui renvoient à des formes beaucoup plus "savantes".
Toute la difficulté, pour un occidental, est dans le jeu des conventions, si différent de nos habitudes. Que faire de ces manipulateurs, si visibles ? Faut-il deviner et admirer leur technique, ou tenter de les oublier pour ne regarder que les marionnettes ?
On applaudit les performances, du Trésor National Vivant Maître Minosuke Yoshida III et de ses acolytes, et du narrateur Rosetayu Toyotake, même s'il est impossible de goûter toute la richesse d'une forme culturelle trop éloignée de nos standards.

Mise à jour : Je mets dans le Pot-Pourri un chant de satsuma-biwa, le biwa étant une version à quatre cordes du shamisen, qui n'en possède que trois. Ce style de musique a influencé toutes les formes ultérieures de théâtre classique japonais. Et j'ajoute un extrait du film "Le chant de la fidèle Chunhyang", superbe hybride de cinéma et de pansori.

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