dimanche 5 février 2006

Stockhausen - Hykes (Cité de la Musique - 4 Février 2006)

Les Ailes du Vent - Karlheinz Stockhausen

Etrange comme perdure le cliché d'un Stockhausen intello, à la musique made in Darmstadt, aggressivement post-sérielle et mathématique. Alors que depuis des décennies, il propose des oeuvres "instinctives", qui frôlent l'improvisation collective, et se basent sur du matériau rudimentaire et sur de longues étendues de temps. "Indianer Lieder" est un cycle pour quatre voix (mezzo-soprano, ténor, basse, baryton), qui enchaîne pendant une heure de courts poèmes amérindiens. Datant des années 70, c'est plein de "driguidiguidi" et de cris d'animaux, mais aussi de mélodies simples, reprises en homophonie et isorythmie ; musique assez délassante en général, mais assez anecdotique.
Pour corser, c'est mis en scène, pour la Compagnie Le Grain, par Christine Dormoy. Les quatre protagonistes, vaguement costumés en indiens, investissent une structure de tubes métalliques évoquant une maison, où, tout en chantant, ils doivent grimper à des mats, se balancer à des trapèzes, jouer aux funambules en se frappant dans les mains. La valeur ajoutée de toute cette installation n'est pas évidente ; ça évite de s'ennuyer, par rapport à la musique parfois un peu simpliste, mais l'ambition affichée dans le livret ("C'est enfin l'espace même de la représentation scénique d'Indianer Lieder qui accède à une forme de transe quand survient notre séparation radicale d'avec les voix et la résonance de leur envol hors les murs") est passablement ridicule au vu du résultat.
Moment étrange : dans tout cet opus légèrement mystique et basé sur des chants amérindiens, que vient faire ce monologue délirant en italien, effréné et comique ?

Vision harmonique - David Hykes

Le chant diphonique est utilisé dans de nombreux folklores ; David Hykes et son Harmonic Choir l'utilise depuis 30 ans, maîtrisé impeccablement et poussé dans ses retranchements.
Le concert commence par des solos vocaux de David Hykes, accompagné aux percussions par Bruno Caillat. Hykes alterne la voix chantée "normale", et la voix "harmonique", où les fréquences semblent filtrées et canalisées. L'effet est extraordinaire, comme une porte qui s'ouvre et se ferme, il y a entre ces deux voix le même palier qu'entre "parler" et "chanter".
Lorsque les six chanteurs interviennent, ils commencent par des techniques de souffle pour trouver l'accord, se mettre en harmonie, afin que les vibrations se renforcent. Cela crée des tutti inouis, où les six gorges unies semblent transformées en un seul gigantesque tuyau d'orgue. Les mots "accord" et "harmonie" jouent sur leur polysémie : il y a tout un coté New-Age dans la démarche, mais qui pour une fois reste cohérent.
Comme tout est basé sur les fréquences et les harmonies, les échelles ne sont pas tempérées, les accords sont purs. Mélanger des instruments réels n'est pas évident. Lorsqu'ils le font sur "Le Souffle du Seigneur", ils commencent par ancrer le chant par un drone, ici créé par une sorte de harpe sur table. Les chanteurs prennent chacun leur tour des poèmes soufis sur le souffle divin de Jésus. Musique indienne, philosophie pan-culturelle, tout ça est un peu trop New-Age, pour le coup...
Mais ils enchaînent avec "A l'écoute des vents solaires", extraordinaire odyssée dans les résonances, avec des basses continues sur lesquelles flottent des aigus irréels, où la basse elle-même se met à moduler des mélodies, où la salle semble parfois entrer en résonance à son tour, où tout vibre, où il faudrait se cramponner à son scepticisme pour ne pas sentir le souffle mystique contenu dans ce son vocal pur et si puissant.
Pour conclure, David Hykes propose à la salle un "Harmonic Meeting", où tous nous chantons un "mmmmmmmmm" bientôt coloré des voyelles de notre choix, en tentant de s'harmoniser avec les gorges voisines. Je ne sais pas quel résultat global est obtenu, mais l'expérience est intéressante.
Je repars avec la sensation d'un temps ralenti, d'un apaisement bienvenu ; qui aura du mal à survivre à l'ambiance du métro.

Mise à jour : J'ajoute dans le Pot-Pourri un vieux morceau de Stockhausen, appartenant à la théorie de la "forme momentanée" ; de David Hykes, la fin du disque "A l'écoute des vents solaires", avec son groupe, et un extrait de "True to the times" où il chante en solo ; et enfin, extrait du DVD "Musiques du monde au théâtre de la ville" offert aux abonnés, un exemple de chant diphonique traditionnel, en l'occurence, du chant malkouke.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

juste pour dire que je dois participer à un stage en juin avec Hykes (j'ai entendu certaines de ses oeuvres) à Pommereau.
j'ai un peu approché le chant harmonique avec Philippe Barraqué cet hiver : ce fut très riche en sensation et cela m'a permis de reprendre contact avec ma voix, que je croyais un peu perdue au milieu des méandres de ma vie !
le tout mâtiné de philosophie boudhiste, d'ouverture de chakras, de l'aspiration à une certaine "harmonie" perdue ...j'avais un peu peur de tomber dans une secte :à priori rien de tout ça, si je ressors vivante de l'expérience de juin prochain, je promets, fois de Castafiole de revenir vous en parler