lundi 31 octobre 2005

Richard Wagner - Die Walküre (Théâtre du Châtelet - 30 Octobre 2005)

Comme précédemment (ceci est la première journée, mais l'épisode 2 ; les ambiguïtés de numérotation ne datent pas de Star Wars !), j'arrive après tout le monde. Que cela ne m'empêche pas d'en dire juste un mot !

Acte I (cet acte, je l'avais vu l'an dernier en version de concert, et cela avait validé mon envie de voir l'intégrale dès que possible, sans que je puisse me douter que ce serait si tôt).
Ca commence par un orage, que l'on devrait deviner glacé, trempant jusqu'aux os le malheureux Siegmund blessé et en fuite. Malheureusement, les choix orchestraux de Christoph Eschenbach touchent ici leur limite, et le déluge devient presque un orage d'été, passager et bienvenu, rien de bien méchant. Et lors de la rencontre avec Sieglinde, c'est Wilson qui joue trop petit bras. Le sommet de la passion amoureuse représenté par des mains échangeant un peu de vide au ralenti (non, pas de corne remplie de boisson, omniprésente dans le texte ; cela serait trivial), ça n'aide pas à se sentir vraiment concerné ! Heureusement, survient Hunding, qui fait son grand numéro de monstre verdâtre. Ca aide temporairement à rester éveillé, surtout que la voix de Stephen Milling est plus impressionnante que celles des tourtereaux, Peter Seiffert et Petra-Maria Schnitzer.
Ah, Sieglinde, elle a connu bien des malheurs ! Chez les Hunding, on est plutôt du genre à se bourrer la gueule à la bière tiède sur des airs d'accordéon rance avant de rentrer baiser bobonne, alors ce bel inconnu blessé, quel émoi ! Ils se racontent un peu leur vie, puis il s'excite sur le printemps qui arrive, sur les oiseaux les papillons tout ça tout ça, et finit quand même par dégainer son glaive avant de sauter sur sa soeur (dire que j'ai, à une époque, apprécié le thème de Nothung ; le ridicule ne tue pas, ouf !).

Acte II. Beau décor de haute montagne, nu, désolé, entre mont Olympe et plateau du Népal, à mi-chemin entre terre et ciel, entre humains et dieux, avec un grand cadre d'horizon, où passent toutes les couleurs du spectre, argenté, doré, bronzé, cuivré, bleus intenses, noir profond. D'abord, la scène de ménage. Ah, le grand retour de Fricka ! J'aime toujours autant la voix de Mihoko Fujimura ! Elle tourne autour de sa proie de mari, qui essaie de justifier l'injustifiable avec de bien piètres arguments ("Ils sont frère et soeur, mais puisqu'ils s'aiment, y a pas de mal à ça !", ou "OK, c'est pas bien, mais j'en ai besoin !"), qu'elle déchiquette d'une belle rhétorique contractuelle. Cerné, transformé en ombre de lui-même, en fantôme à peine bleuté, Wotan, sa bonne humeur initiale définitivement enterrée, se rend dans de lugubres lamentations aux évidences de sa femme (le désespoir de Wotan, mon leitmotive préféré). Comme quoi on peut avoir l'air redoutable d'un pirate des Mers du Sud croisé haut potentat mandarin, et posséder une volonté faite du même métal que la plasticine de Wallace et Gromit. Excellente mise en scène, grand moment.
Mais sur la distance, la voix de Jukka Rasilainen accuse un manque d'émotion dommageable. Ce qui alourdit quelque peu son grand monologue explicatif adressé à sa fille Brünnhilde, à moitié allongés cote à cote sur des dalles de pierre : gisants sur des tombes ? ou divans d'analyse ?
Après quelques péripéties annexes, le grand duel : Siegmund vs Hunding ; avec Brünnhilde protégeant, la traîtresse, son demi-frère, et Wotan obligé de se salir dans les basses besognes. Mise en scène rigoureusement incompréhensible pour qui ne sait pas ce qui se passe. Pour une fois qu'il y a de l'action ! Bref, Siegmund est tué, l'épée magique est brisée, Sieglinde et Brünnhilde s'enfuient avec.

Acte III. Ca y est, les Walkyries débarquent ! Dans leur tenue triple épaisseur, elles sont un tantinet moins sexy que les amazones de Barbarella, et leur ballet aléatoire entre promontoires escamotables est un peu déconcertant. Mais la grande scène, c'est la défense invraisemblable de Brünnhilde : non non, elle n'a pas désobéi aux ordres, elle a simplement suivi ceux qu'il n'avait pas osé, pas pu, pas voulu donner ! Et ça marche, il y croit ! Un grand moment de Plasticine-Wotan ! La walkyrie célèbre sa victoire en imitant le jeu de mains de sa belle-mère, se mirant tête renversée dans sa paire de gants. Comme j'ai du mal à suivre la voix de Linda Watson, qui m'indiffère, je déguste les métamorphoses de l'orchestre, et attend l'arrivée du feu. Musicalement splendide, mais un peu décevant, scéniquement : ils préparent un barbecue ou quoi ?

Et voilà, épisode suivant en Février. J'avais dit : juste un mot, en fait, j'en ai mis dix.

Bill Frisell transcrit John Lennon (Cité de la Musique - 29 Octobre 2005)

Je n'aime pas les Beatles, je ne connais pas grand-chose à l'oeuvre solo de John Lennon, la guitare est loin d'être mon instrument préféré, et le format "chanson" en général m'ennuie. Que fais-je donc à ce concert, où un guitariste transcrit des chansons de John Lennon ? Parce que Bill Frisell. Guitariste éclectique dans ses projets, accompagnant un trio à cordes ici, un bidouilleur électronique là, éclectique dans son style, gorgé de blues traditionnel ici, frolant le contemporain répétitif là, et pourtant toujours très reconnaissable, un son un peu liquide, muté par le biais de multiples pédales d'effet.
Ce soir, il est accompagné de la violoniste Jenny Scheinman, et de Greg Leisz, qui alterne entre guitare accoustique "normale" et dobro (appelée aussi guitare hawaïenne). Le son d'un tel trio sonne irrémédiablement Bluegrass Folk Country, et la première heure ressemble à une paisible randonnée dans les collines vallonnées d'une Amérique verdoyante. Très regroupés au centre de la scène, les trois musiciens jouent avec partition, dans une chaleureuse intimité, se confinent dans des tempi moyens et des orchestrations tranquilles. Les thèmes originaux de Lennon disparaissent quelque peu dans ce traitement, même "Please Please Me", post-annoncé par Frisell lors d'une intervention au micro touchante de timidité embarrassée, devient peu reconnaissable !
Au bout d'une heure, ça s'épice un peu. Les premiers vrais soli apparaissent, enchevêtrant le lyrisme de Jenny Scheinman (qui transcrit principalement les lignes vocales) et le bruitisme de Bill Frisell (Greg Leisz restera tout le concert en arrière-plan, d'une discrétion rarement mise en défaut). Et quelques chansons font de la résistance, se laissent moins facilement plier :
- "Come Together" est une des belles réussites du concert (ça tombe bien, c'est une de mes chansons préférées des Beatles !), où l'alternance des climats et le sentiment d'oppression angoissante sont bien rendus
- à l'inverse, "Lucy in the Sky with Diamonds" est franchement raté...
Nombreux sont les spectateurs qui quittent peu à peu la salle, déçus ou déroutés... Mais de nombreux vivas poussent à trois courts rappels, le second terminé par un "Give Peace a Chance" saturé, presque aussi sale (mais moins flamboyant...) qu'un "Star Splangled Banner" Hendricksien, qui aurait pu avantageusement finir le concert. Ils reviendront, alors que beaucoup rassemblent leurs affaires pour partir, jouer un "Revolution", qui flottera dans les oreilles lors du retour at home !

Concert assez atypique, donc, pas vraiment passionnant, ni désagréable, plutôt tranquille et confortable, qui aura mis bien du temps à s'échauffer ! Peut-être n'est-ce que le début d'une tournée, ou une rencontre uniquement pour cette soirée, l'empathie entre les musiciens ne s'installant que lentement !

vendredi 28 octobre 2005

Radio Pot-Pourri : Hommage à Rosa Lee Parks

Suite à ce billet de Samizdjazz, j'ai eu envie de mettre quelques morceaux libertaires dans le Pot-Pourri :
- Albert Ayler célèbre la Vérité en marche
- Charles Mingus conspue le gouverneur Faubus, dans une version concert un peu plus longue que la version studio proposée par Samizdjazz
- l'Art Ensemble of Chicago expérimente la Liberté

Trois morceaux, une heure de chaos plus ou moins maîtrisé, pour un combat qui continue.

lundi 24 octobre 2005

Richard Wagner - Das Rheingold (Théâtre du Châtelet - 23 Octobre 2005)

Certains en ont déjà parlé. Qu'ajouter ? De l'anecdotique personnalisé !

Etrange emplacement dans la salle : à l'extrême bout de la corbeille gauche, quasiment au-dessus de l'orchestre, ce qui particularise le cheminement du son de chaque pupitre : les cuivres attaquent en pleine ligne droite, les cordes flottent dans tout l'espace, la harpe par quelque étrange phénomène semble parvenir des rangs juste supérieurs ; une fois la surprise passée, ce n'est pas désagréable, l'orchestre passe par un prisme qui permet d'analyser le son plus simplement. Vue correctement dégagée sur la scène (léger angle mort), et luxe à peine croyable, beaucoup de place pour les jambes !

Formidable orchestration, alliages sonores en constantes évolutions, couleurs splendides. Je ne connais le cycle que par le DVD Boulez/Chéreau et par des émissions de radio. Entrer soudain dans cette pâte sonore, y repérer ça et là des leitmotives, et se laisser aller au fil de l'eau, est un bonheur. Christoph Eschenbach prouve haut la main la validité de son parti-pris de sobriété, transparences et luminosités ; et l'Orchestre de Paris tient le choc, sans férir.

Les voix, peu mon domaine. Divers articles froncent le nez sur Wotan/Jukka Rasilainen, qui ne m'a pas géné (peut-être des problèmes particuliers lors de la première ?). Alberich/Sergei Leiferkus rate sa première imprécation ("je renonce à l'amour"), mais réussit brillament la seconde (la malédiction à tiroirs de l'anneau). Loge/David Kuebler possède une présence scénique extraordinaire (je le verrais bien en Aaron). Coté féminin, j'aime beaucoup la voix de Fricka/Mihoko Fujimura, claire et naturelle, et celle de Erda/Qui Lin Zhang, profonde et vibrante.

La mise en scène est finalement beaucoup plus vivante que ce que je craignais. Les filles du Rhin ondulent, vont et viennent, frétillent presque, de jolie manière. En fait, à chaque personnage sont associées quelques gestuelles, une sorte de reflet des leitmotives. Les jeux de lance de Wotan sont attendus, les ondoiements des ondines coulent de source ; les jeux de miroir entre Fricka et Freia mettent sans doute l'accent sur leur lien de sang. La scène n'est jamais vraiment nue, ne serait-ce que par la lumière, très travaillée (à elle seule de représenter l'Or). Certains artifices se revendiquent tels, comme la grenouille. Et les moments ridicules sont peu nombreux (principalement les enfants Nibelungen, Ewoks en tenue de Playmobil Moyen-âge).

Devant cet orchestre peu ronflant, les chanteurs peuvent presque chuchoter, ce qui leur permet d'explicites apartés. Dans une atmosphère soudain pleine de brume, un géant glisse à l'oreille de l'autre que ce n'est pas Freia qui l'intéresse, c'est les pommes qui comptent ; et le choix "Freia ou l'Or" n'est plus un choix entre amour et argent, mais un calcul pour déterminer l'ennemi le plus à craindre entre dieux et nains. Une histoire de pouvoir, avant tout. Ca, je l'avais oublié !

Suite dimanche prochain.

vendredi 21 octobre 2005

Radio-Jazz : dixième heure

Comme annoncé, cette dixième heure de la Radio Jazz tourne autour de la figure tutélaire de John Coltrane. D'abord ses années de compagnonnage, avec des maîtres formateurs comme Thelonious Monk ou Miles Davis, ou des rencontres plus circonstancielles comme Cecil Taylor ou Duke Ellington. Puis quelques bribes d'héritage, le thème "My Favorite Things" qu'il a tant marqué de son empreinte, et ses propres standards, repris par quelques souffleurs illustres.
Bonne écoute !

lundi 17 octobre 2005

Akram Khan, Sidi Larbi Cherkaoui - Zero degrees (Théâtre de la Ville - 16 Octobre 2005)

Dans un décor quasi nu (des toiles closent l'espace, le fond par moment transparent laissera voir les musiciens) et presque vide (des mannequins créés par Antony Gormley, clones des deux danseurs, serviront de refuges, de golems, de punching-balls), Khan et Cherkaoui s'avancent, s'assoient, parlent en duo au synchronisme stupéfiant. Ils racontent une histoire survenue à Kahn lors du passage d'une frontière, entre Bangladesh et Inde, une confrontation avec des gardes aux yeux morts et porteurs de mort, puis avec un vrai mort dans un wagon de train. Incompréhension, impuissance, l'expérience fut traumatisante. Le récit, livré par salves, sert de séparateur aux parties dansées.
Les deux danseurs ont mis dans un pot commun leurs vocabulaires, sans souci de hiérarchisation ou d'opposition. Pas de dualité tradtion/modernité, ou orient/occident, etc. Les gestes issus du kathak, du théâtre dansé, des arts martiaux, sont mélangés remixés et redistribués, à chaque corps de réinterpréter sa donne. Voir les deux virtuoses lancer les mêmes gestes, chacun à sa manière, dans un parallélisme sans cesse faussé, est fascinant : ils n'ont pas la même conception du rythme, du mouvement, de la façon de créer de l'énergie ou d'y répondre. A Khan la vitesse d'exécution effarante, l'espace déchiré par la main ou la jambe, le tempo suivi à la milliseconde. A Cherkaoui les équilibres improbables, les contorsions invraissemblables, le tempo souple et fluctuant.
Entre les deux corps, toute une gamme d'attitudes, subordonnées au récit : soumission subie ou acceptée, passages entre violence et jeu, indifférence, plus de refus que de désir.
La musique, jouée en direct par un chanteur, une violoniste, un contrebassiste très amplifié et un percussionniste, a été composée pour l'occasion par Nitin Sawhney, et fonctionne particulièrement bien pour la danse.
La salle, complètement pleine, voire un peu plus, réserve un beau tonnerre d'applaudissements pour cette oeuvre qui refuse de n'être que spectaculaire (les tableaux finaux sont vraiment post-climax, douloureux et un peu tristes, là où ils auraient pu bluffer par de nouvelles pirouettes étonnantes).

dimanche 16 octobre 2005

Posadas / Murail / Grisey (Cité de la Musique - 15 Octobre 2005)

Alberto Posadas - Oscuro abismo de llanto y de ternura

Ce jeune compositeur espagnol (il a mon age !) parle beaucoup de fractals, mais cela ne s'entend pas vraiment, car ils servent essentiellement à fabriquer les textures orchestrales, et ne semblent pas commander les mélodies ou les structures de l'oeuvre. Le livret indique trois matériaux principaux : un "son noir", tellurique et grave ; un choral de vent, aigu et liquide ; des cordes en mouvement brownien, gazeux et médian. Echange, passage de l'un à l'autre, etc. Pour l'instant, je trouve de fortes similitudes avec certaines pièces de Scelsi, dans la manière de travailler des blocs sonores de l'intérieur, en y fondant les instruments jusqu'à ce qu'on ne puisse les reconnaître, et créant des sonorités comme des forces primaires, élémentales (la terre, l'eau, le vent). Le langage reste à décanter ("Abîme obscur de pleurs et de tendresse" programme un brin trop ambitieux), mais certains passages sont déjà très réussis. Compositeur à suivre.

Tristan Murail - Désintégrations

C'est une oeuvre emblématique de la musique spectrale. Le travail sur bande magnétique est admirable : bien des oeuvres fusionnant bande et instruments réels vieillissent mal, le son électronique étalant sa technique sans émotion ajoutée ; ici, cela reste discret, souvent peu détectable, sauf parfois où sa mise en avant est vraiment justifiée par la structure musicale (surpassement et prolongation du piano vers l'aigu, par exemple). Mais la pièce reste théorique. Ecrite il y a plus de 20 ans, on continue d'y sentir la volonté d'établir un langage, de marquer un territoire stylistique, de prouver la validité de la démarche. Parfois, de l'émotion surgie, mais comme par inadvertance, pas comme but. L'écoute est agréable, mais il y manque quelque-chose ...

Gérard Grisey - Quatre Chants pour franchir le Seuil

15 ans plus tard, Grisey écrit cette oeuvre en méditation sur la mort, avant de disparaître à son tour. L'aspect "spectral" est totalement digéré, il s'agit de musique, simplement. Les chants sont très différents les uns des autres. "La mort de l'ange", le ressassement névrotique d'une mélodie ressérrée, ponctuée des cris de la soprano. "La mort de la civilisation", mon préféré sur le CD, une scansion minimaliste à la harpe, à la contrebasse et au violoncelle, à peine habillée de percussions ; mais Pierre-André Valade ralentit trop le tempo, et la soprano Sylvia Nopper n'articule pas suffisament, ce qui amoindrit l'impact émotionnel. "La mort de la voix", une charge d'énergie qui retombe peu à peu dans un marécage. Enfin, le plus impressionnant ce soir, "La mort de l'humanité", où surgit un monstre, d'abord seule ossature rythmique proliférante, qui récupère sa chair dans un chaos de trompes et de cris, puis se fige dans des vrombissements ; remplacé in extremis par une berceuse post-apocalypse, qui reprend le premier chant, mais avec une vraie ligne mélodique.
Sinon, c'était mon premier concert de l'année avec l'Ensemble InterContemporain, content de les revoir ; j'ai cru à l'arrivée d'une nouvelle pianiste, Tamaki Niga (belles interventions dans "Désintégrations"), mais elle était juste en "musicenne supplémentaire".

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ajoute le premier mouvement de "Aion" de Scelsi que ma mémoire évoquait pour Posadas, "l'esprit des dunes" de Murail plus ouvertement poétique que "Désintégrations", et l'énumération ô combien funèbre de sarcophages égyptens du moyen empire, par Grisey.

vendredi 14 octobre 2005

Richard Wagner / Gustav Mahler (Cité de la Musique - 12 Octobre 2005)

Richard Wagner - Prélude et Mort d'Isolde

Dès l'accord fondateur, l'orchestre national de Lille installe sa très belle sonorité. Ce qui frappe surtout, c'est sa limpidité, la transparence même lorsque la texture s'épaissit, la lisibilité parfaite et constante. Le prélude est splendide, gorgé d'émotions ; certaine montée vers l'apex, soutenue de roulement de timbale, me met au bord des larmes. La mort d'Isolde est juste un peu moins exaltante : les cordes trop en avant ici, quelques instruments pas tout à fait en place là. Défauts mineurs, moment de grand bonheur.

Gustav Mahler - Le Chant de la Terre

Sans entracte, viennent encadrer Jean-Claude Casadesus le ténor Donald Litaker, et la mezzo-soprano Birgit Remmert. Saisissant contrastes entre les deux chanteurs : lui, tel un torrent rempli de rocailles, surjoue l'exaltation désespérée, ponctue son texte d'articulations proéminentes, change soudain de densité ou de volume, hallucine la moitié du temps ; elle, brise au-dessus du lac, intériorise la douleur pour mieux la polir, fragilité qui impose le respect, dame de verre au regard perdu dans sa mélancolie, voix posée pas si loin de l'abîme.
L'orchestre dirigé par un Casadesus nerveux et impératif, brille principalement dans les moments "musique de chambre", avec de merveilleuses interventions à la flûte ou à la clarinette, des alliages sonores surprenant mais réussis dans les tintements aigus, dans les harpes, dans les coups de butoir des contrebasses. Dans le début du "Solitaire en automne", c'est la ritournelle des violons qui me bouleverse. L'épanouissement sonore à la fin de "L'adieu" arrive comme une surprise : quoi, déjà fini ?
Lecture moins impressionnante que l'an dernier, plus impressioniste. Retour en bus près du chauffeur, Paris la nuit nimbé de mélodies mordorées. Autre avis chez Patrick Antoine.

Mise à jour : J'ajoute dans le Pot-Pourri un Rückert-Lied, et un Wesendonck-Lied (que de voix ! que de voix !).

jeudi 6 octobre 2005

Claude Vivier (Cité de la Musique - 5 Octobre 2005)

Préambule historique

Il y a presque 10 ans, le Festival d'Automne programmait un concert Claude Vivier à la Cité de la Musique. La scène s'étalait sur tout un des grands cotés de la salle, le public regroupé en quelques larges rangées, les spectateurs moins noyés dans l'habituelle masse rassurante, affrontant quasi seul à seul la musique. Les pièces, aux effectifs divers, s'enchaînaient presque sans interruption, chaque groupe de musicien prenant place à son tour dans un coin de cette scène étirée. Concert qui me bouleversa, pour tout dire m'ébranla comme rarement, l'impression d'être aspiré par la musique vers un autre moi-même que je n'avais pas forcément envie de connaître, et sensation de lutte pour ne pas glisser le long de cette dangereuse ligne de fuite (oserais-je dire : au sens deleuzien du terme ?).
Musique puissante, donc, et rare, d'un auteur qui avait tout pour devenir une légende (québecquois homosexuel, expulsé de ses études de prêtre, seconde naissance dans la musique, assassiné à Paris à l'age de 35 ans), peu de disques, rapidement épuisés. A part pour l'instant un dique vocal, par l'ensemble "Les Jeunes Solistes", qui est justement la vedette du concert de ce soir.

Chants

En front de scène, trois chanteuses, représentant des veuves. Derrière le public, invisibles, trois autres, leurs ombres. En fond de scène, une septième, ponctuant la pièce de grands coups de percussions, et prenant soudain la parole en vociférant, qui représente le compositeur. La musique me semble proche de celle de Berio : rhythmiques superposées, techniques vocales diversifiées, de la psalmodie figée à la récitation précipitée, du parler bébé au cri. Mais contrairement au concert passé, cela me laisse quasiment de marbre. Les petites percussions que tapotent les trois chanteuses principales, certains éléments du texte, l'utilisation très peu convaincante de la spatialisation, le disparate trop travaillé des effets vocaux, beaucoup de cela me semble artificiel. Le fait est que la voix me parle rarement. Les sept chanteuses sont excellentes, mais l'émotion est absente.

Journal

C'est un peu la même chose, mais en plus grand. Le choeur est au complet, avec quatre solistes devant, et un percussioniste derrière. Celui-ci reste discret, et régulièrement frappe une cloche, qui provoque une inclinaison du buste des choristes et/ou de certains solistes, théâtralisme un peu vain. La pièce est divisée en quatre parties, "Enfance, "Amour", "Mort", "Après la mort", dont les plus intéressantes sont les 2 et 4. Mais de nombreuses longueurs et des répétitions me font perdre le fil, et je m'ennuie un peu, tranquillement, mais quand même.
Ce ne sera donc pas par ce disque que j'attaquerai la discographie de ce compositeur.

Mise à jour : J'ajoute dans le Pot-Pourri un peu de voix, un extrait de la Sinfonia de Berio consacré à Martin Luther King, un passage de Coro où se succèdent maints traitements vocaux, et juste pour le plaisir un morceau purement instrumental de Pierre Boulez, "Dérive 1".

mardi 4 octobre 2005

Vingt-trois - Cinq

Finalement, j'y ai (presque) droit.

Mais comme je ne vois vraiment pas l'intérêt de cette chaîne (les archives des blogues sont libres d'accès, et chacun peut y fouiller à son gré pour y trouver ça et y lire "Malheureusement, Mathilde Monnier ne sait pas être suffisament radicale pour abandonner toute radicalité" ; à tout prendre, la phrase suivante était mieux),

je vous propose plutôt de trouver d'où viennent ces extraits intimement liés à du 23-5 :

A) Poissons enfilés par les ouïes / Faveurs par les dames du palais / Rien qui ne soit profitable

B) Tu dresses devant moi une table en face de mes ennemis ; tu répands l'huile sur ma tête ; ma coupe est débordante.

C) La langoureuse Asie et la brûlante Afrique

D) Quelle aberration - pardonner à son ennemi, tendre à ses gifles et à ses crachats toutes les joues inventées par une pudeur ridicule, alors que nos instincts nous incitent à l'écraser comme une bête puante !

E) Le choeur arbitre : "Immondices ! Immondices ! Séance tenante il fallait se décider à décoller. Au cocon, la nuit de la rédemption a paru odieuse et bouffonne !"

Y a rien à gagner. Vous avez donc intérêt à répondre vite.

Je vous propose d'utiliser Google-fr pour chercher "Poissons enfilés par les ouïes". Sa suggestion de correction orthographique est intéressante...

Solutions :

A) "Yi Jing, le livre des changements" Cyrille J.-D. Javary, Pierre Faure
Hexagramme 23 "Usure", trait 5

B) "La Sainte Bible" L'abbé A. Crampon
Psaume 23, verset 5

C) "Les Fleurs du Mal" Baudelaire
Poème XXIII "La Chevelure", vers 5

D) "Le Bréviaire des Vaincus" Cioran
Chapitre 23, phrase 5

E) "Moulin Premier" René Char (recueil "Le Marteau sans Maître")
Texte 23, paragraphe 5

Dès demain, retour au programme musical habituel.

lundi 3 octobre 2005

Liszt - Messiaen (Cité de la Musique - 2 Octobre 2005)

Franz Liszt - Dante-Symphonie

Après leur pitoyable prestation de l'an dernier, revoir l'Orchestre National de Lyon me faisait un peu peur. Heureusement, ce concert fut bien meilleur. Même si le choix de cette symphonie un brin poussive ne s'avéra pas exaltant...
Au-dessus d'un épais tapis de cordes, les bois font flotter de mignonnes mélodies, accompagnés d'une harpe joliment vivace. Tout ceci est assez agréable, très bien tenu par le chef d'orchestre Jun Märkl, mais 45 minutes, franchement, c'est long. L'arrivée du choeur de femmes de Radio France est un soulagement, une arrivée d'air frais qui offre enfin un vrai beau moment de musique ("enfer", "purgatoire", une certaine lourdeur est certainement assumée par l'auteur ; mais en matière de "musique terrible", le XXème siècle saura faire plus efficace ; le "ricanement blasphématoire" de la fin du premier mouvement m'a peu touché, disons...).

Olivier Messiaen - Et expecto resurrectionem mortuorum

Les bois et les cuivres alignés en quelques rangées rigoureusement rectilignes me masquent en partie les percussions métalliques, qui débordent quand même de part et d'autre. Cette partition, que je connais par un disque dirigé par Boulez, perd ici en hiératisme monumental et gagne en détails hédonistes. Mini-séquences assemblées en mouvements sans "grand plan" unificateur, déploiement somptueux des couleurs d'accord, avec les sonorités mystérieuses des percussions, rhythmes simples, lents, ponctués des surgissements proprement étourdissants des gongs (les musiciens voisins sont heureusement munis de protège-tympans...), cette lecture de l'oeuvre me semble plus orientée vers les caractéristiques générales de la musique de Messiaen, que vers les particularités propres à cette pièce-ci. La gravité du thème (nous sommes dans le cycle des "Requiems", tout de même !) se perd quelque peu dans les réminiscences des chants d'oiseaux ! Ce qui n'empèche pas le plaisir...

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ajoute un extrait de "Et Exspecto", suivi d'un de la "Turangalila-Symphonie", qui n'est finalement pas si éloignée, et je termine par du Ferneyhough, qui aurait bien convenu à la thématique "Requiems" ; et laisser ma radio sans Ferneyhough, ça ne pouvait pas durer...