L'Autre Coté - Bruno Mantovani (Cité de la Musique - 4 Mars 2008)
Ecrire un opéra à la fois contemporain et accessible, serait-ce possible ? Mais oui ! Bruno Mantovani, l'étoile montante des compositeurs français (auquel l'EIC consacre le premier disque de sa nouvelle collection "Sirènes" chez KAIROS) s'y attelle, et réussit !
Il faut d'abord une histoire, à la fois suffisamment linéaire et compréhensible pour maintenir l'attention, mais pleine d'échos et de symboles pour permettre diverses lectures, évitant le purement anecdotique autant que l'abscons déconstruit. François Régnault s'est inspiré du roman "L'autre coté" d'Alfred Kubin, un dessinateur dont KA a bien entendu parlé.
Le narrateur, Kubin, reçoit la visite d'un émissaire lui annonçant que son ami d'enfance, Claus Patera, est devenu richissime, et a fondé un empire, l'Empire du Rêve, où tout progrès est interdit, et y invite Kubin et sa femme. Elle rechigne, mais ils acceptent. Ils découvrent un pays triste, sans soleil, où Patera est un tyran invisible, et où règne une bureaucratie vaine et molle. La femme de Kubin meurt, suite à un effondrement mental. Kubin souffre d'hallucinations. Un américain débarque, qui déclare vouloir conquérir le pouvoir. Au milieu de la ville qui plonge dans le chaos, il affronte Patera, le tue, puis repart aux Etats-Unis. Kubin, devenu fou, rentre aussi chez lui, accompagné d'un médecin.
On peut voir dans cet Empire des Rêves une allusion à la tour d'ivoire d'un artiste paralysé par les références du passé, ou une allégorie prémonitoire des pays communistes, ou une sorte de pays du magicien d'Oz croisé du Chateau Kafkaïen. Il y a une invasion de la ville par des animaux, diverses hallucinations fantasmagoriques, un combat de géant où le mort irradie de beauté. Tout un matériel qui ne demande qu'un metteur en scène pour en fabriquer des images scéniques potentiellement extraordinaires !
Mais ce soir, c'est version de concert, donc nada.
Il faut une technique de chant. Mantovani laisse parler les interprètes, récitant parfois tout simplement, souvent glissant de façon continue entre parlé et chanté, parfois enfin chantant vraiment, mais toujours des lignes vocales aux ambitus restreints, sans aucune acrobatie stupéfiante ou morceau de bravoure anthologique. Ce parti-pris permet de rendre le sur-titrage presque inutile, le sens étant quasiment toujours audible et compréhensible, ce qui est vraiment rare pour un opéra contemporain !
Dans les chanteurs qui ont aussi à être acteurs (non par la gestuelle, mais par les intonations des passages parlés), je retiendrais le ténor Fabrice Dallis (omniprésent Kubin), le contre-ténor Robert Expert que j'aimerais entendre à nouveau pour apprécier sa voix particulièrement puissante pour cette tessiture, et la basse Jean-Loup Pagésy, d'une texture très riche.
Il faut aussi de la musique. L'Orchestre National d'Ile-de-France dirigé par Pascal Rophé est complété par les Percussions de Strasbourg, spatialisé dans les hauteurs à droite et à gauche, et par le Choeur de chambre les éléments de Joël Suhubiette. Mantovani ne craint pas de recourir à des procédés faciles, mais fortement efficaces, à l'impact direct : une augmentation par palier du rythme lors du voyage en train, un effet de stéréo entre les percussions vibrantes, des tohu-bohus monumentaux qui parfois concurrencent sévèrement les chanteurs. Beaucoup de pulsations régulières très marquées, beaucoup aussi de sons tenus et frémissants. Il sait aussi se faire plus léger, il y a de merveilleux moments pour violon (bravo à la supersoliste Ann-Estelle Medouze), en solo, en duo avec une percussion, ou avec les bois.
A lire : l'analyse de DavidLeMarrec, le compte-rendu de Corley.
1 commentaire:
Je l'ai vu aussi, mais j'en retire une impression plus mitigée. il y a de très bonnes choses dans l'utilisation de l'orchestre notamment mais j'ai trouvé le livret très plat (autant par le sujet que par le style) et l'écriture vocale pas franchement transcendante. Quant aux surtitres, j'ai essayé de fermer les yeux 3 minutes et je ne distinguais pas un mot sur trois.
Mais l'opéra c'est difficile car il faut réunir le meilleur de plusieurs arts (le théâtre, l'orchestre, le chant, parfois la danse et les arts plastiques). C'est pour cette raison que toute tentative dans ce domaine doit être saluée et encouragée.
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