samedi 2 juin 2007

Le Livre du Graal : Droit privé / droit public

Et le chevalier Bertelai ? Lui non plus ne sort pas du néant.

Il est vrai que le roi Léodegan, qui était animé d'un esprit de justice, avait un chevalier très preux et très sage, un très bon chevalier qui lui avait rendu de grands services. Ce chevalier de très haut lignage avait servi le roi Léodegan parce qu'il l'aimait beaucoup. Il se nommait Bertelai et il haïssait à mort un autre chevalier qui avait été tué un de ses cousins amoureux de la femme de ce chevalier.
Quand Bertelai sut que ce chevalier avait tué son cousin et qu'il l'avait honni à cause de sa femme, il ne daigna pas porter plainte auprès du roi mais il alla trouver le chevalier et le défia à mort. [..] Il advint alors que Bertelai rencontra le chevalier en compagnie de deux écuyers. Quand bertelai le vit, il l'assaillit et le tua avec le poignard.
Les premiers faits du roi Arthur, §495-496


Le roi Léodegan envoya chercher Bertelai chez lui et celui-ci vint sans peine mais très bien armé sous ses habits et il emmena une grande compagnie de chevaliers avec lui. Il était plein de courtoisie et savait toujours très bien s'exprimer et il était bien équipé. Quand le roi Léodegan le vit, il lui demanda pourquoi il avait tué le chevalier en pure trahison. Bertelai répondit qu'il se défendrait de cette accusation de félonie contre tous ceux qui la lui imputeraient : "Je ne dis pas que je ne l'ai pas tué mais auparavant je lui ai lancé un défi. Je ne l'ai pas tué sans motif parce que beaucoup de gens savent qu'il a tué un de mes cousins germains après l'affaire de sa femme qui lui avait valu d'être honni. Il m'est avis que, de toutes les manières possibles, on doit s'en prendre à son ennemi mortel à partir du moment où on l'a défié." Le roi dit que ce n'était pas une raison. "Mais si vous étiez venu me voir et si vous vous étiez plaint à moi et si je n'avais pas daigné vous rendre justice, alors vous auriez pu obtenir vous-même votre vengeance. Mais vous ne m'avez jamais présenté de requête en vue de faire valoir votre bon droit auprès de moi.
- Seigneur, répond-il, vous dites votre volonté mais je n'ai pas mal agi envers vous et je n'ai pas l'intention de le faire, grâce à Dieu. - Sachez, fait le roi, que je veux voir le droit respecté. - Seigneur, fait Bertelai, je voulais dire qu'une telle chose ne doit pas dépendre de votre seule volonté." Et le roi Léodegan ordonna que justice fût rendue eu égard à ses gens et à ses barons. A ce jugement participaient le roi Arthur, le roi Ban et le roi Bohort, monseigneur Gauvain et monseigneur Yvain, Sagremor, Nascien, Adragain, Henri de Rivel et Guiomar. Ces dix personnes délibérèrent sur l'affaire et discutèrent ensemble de tous ses aspects. Elles finirent par s'accorder sur le fait que Bertelai devait être dépossédé de ses biens et qu'il devait quitter pour toujours la terre du roi Léodegan. Le roi Ban annonça la sentence qui avait été jugée remarquablement bonne. [...]
Ainsi s'en alla Bertelai mais il eut un très beau convoi de chevaliers à qui il avait fait des dons car il avait été un bon et valeureux chevalier. Il fit de longues journées de route, une heure succédant à l'autre, et il arriva là où la fausse Guenièvre se trouvait. Il s'arrêta à cet endroit et y séjourna fort longtemps mais restait très préoccupé, en homme rompu au mal, de savoir comment il pourrait se venger du roi Léodegan et du roi Arthur qui l'avaient banni. Il devait un découler ensuite pour le roi Arthur un si grand malheur et une si grande discorde entre lui et sa femme qu'il se sépara longtemps d'elle comme le conte vous le rapportera plus loin, s'il y a un conteur pour le faire.
Les Premiers Faits du roi Arthur, §501-503

Comment transformer le droit à la vengeance privée (qui pouvait se transformer en guerre meurtrière entre familles, façon vendetta) en procès publics, dont les jugements soient acceptés et respectés ? Un tribunal formé des hommes "les plus éminents et les plus puissants du monde" fait l'affaire. Se faisant, Arthur a-t-il suffisamment fait attention en se choisissant ainsi un ennemi ? Heureusement, il y aura bien un conteur pour nous raconter la suite ...

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