Pina Bausch - Néfes (Théâtre de la Ville - 12 Juin 2004)
De la résidence à Istanbul ne restent que des traces (la nourriture, les bains, l'eau ...) et des allusions (des jeux sur le voile, l'ancienneté de la culture ...). Comme d'habitude alternent les sketches et scènes théâtrales, et les morceaux de danse pure.
Cette fois-ci, les sketches sont peu convaincants : trop anecdotiques, ou trop personnels, il leur manque souvent la charge d'absurde et d'universel. Pourquoi ces ronds sur le sol ? ou ces casiers sur roulettes ? Certains sketches font mouche néanmoins : le couple qui escalade le bord de scène pour déguster des friandies cachées, l'homme qui bondit pour embrasser une belle qui n'est plus là, les deux femmes qui échangent un même verre d'un bord à l'autre du fleuve...
Il y a aussi ces intermèdes théâtraux, qui souvent permettent d'évoquer au mieux la ville visitée, ou de donner le "message" de la pièce. Ils sont ici plus rares : un pique-nique avec apparement une invitée prestigieuse, une terrasse de café où les femmes sont comme de splendides toutous, plusieurs jeux sur le hammam, avec de blocs de bulles de mousse. Et il n'y aucune interaction avec le public (mis à part les sourires et les regards...).
Cette diminution de l'aspect théâtre se ressent aussi dans le décor : le plateau est quasiment nu, avec des rideaux tirés parfois pour passer de courts films d'ambiance, et un creux, peu discernable au début, où sourd peu à peu en une lente marée une eau inquiétante, à la "Dark Water", évocation de fleuve ou de lac.
Reste enfin la danse, pleine de duos et de solos. Les duos sont devenus presque classiques, avec des femmes qui provoquent gentiment, puis se laissent séduire par des princes charmants, qui les portent et les transportent, des couples qui s'enlacent et se délassent, une innocence des rapports homme/femme qui évitent les conflits trop heurtés et brutaux pour trouver des gestes d'entente et de conciliation. Quelques figures légendaires du Tanztheater Wuppertal ont quittées l'aventure, une nouvelle génération s'installe, qui visiblement se prend moins la tête pour ces histoires d'amour, se pose moins de questions, et laisse les relations se dérouler plus sereinement.
Les solos, enfin, sont l'essentiel du spectacle. Ils sont ciselés autour de chaque personnalité, mélangeant les gestuelles de la danse classique, des mouvements de la pantomime, et les apports de chacun chacune (danse indienne par exemple...), le tout mixé avec un art consommé de la sinuosité. Dire qu'ils sont superbes est en-deça de la vérité. Certains d'entre eux sont bouleversants, d'autres époustouflants, voire magiques.
La suite de solos féminins est extraordinaire, mais ce que ma mémoire choisit comme sommet, c'est ce solo masculin qui finit sous la pluie, tout en désespoir extraverti converti en énergie déployée ; et le solo féminin de danse indienne, répété devant témoin, est aussi splendide.
Il semble qu'au fil des années, Pina Bausch cesse de plus en plus de déverser ses angoisses et ses doutes sur le public ; au contraire, elle ne cesse d'offrir plus de beauté, dans des bijoux de danse imprégnés d'amour et de compassion. Le parcours de la Dame met d'autant plus de prix à ce cadeau : la danse comme meilleur moyen de prouver la beauté de la vie.
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