Acoustic Masada. En concert. John Zorn, Dave Douglas, Greg Cohen, Joey Baron, sur la scène du Châtelet. Que dire sans être trivial ? Depuis plus de 10 ans qu'ils se cotoient, la télépathie est bien au point, la mécanique pourrait tourner toute seule ; mais ils ne sauraient s'en satisfaire, et encore aujourd'hui semblent réussir à s'étonner les uns les autres. Nimbés de rouge et d'or par un dispositif d'éclairage assez simple, ils sont regroupés serrés au centre, habitués sans doute à des espaces plus restreints.
A la contrebasse, Greg Cohen (déjà vu accompagnant Ornette Coleman) est au mieux quand il joue obsessionnel minimaliste, impulsion vitale obstinée ; ses rares solos ne me passionnent pas.
A la batterie, Joey Baron s'amuse comme un fou, un festival d'énergie, à main nue (j'adore ces passages !), aux balais, mailloches, baguettes, passant de l'un à l'autre pour des gradations de puissance, frappant les peaux, les rebords, les dessous des futs, au point qu'il semble parfois y avoir deux batteries sur scène, tout ça avec un plaisir du groove, un allant presque rock, il est dans cette tournée particulièrement en forme !
A la trompette, Dave Douglas, dont le quintet m'avait déçu, semble plus à son aise ici pour expérimenter, se lancer dans des épopées lyriques, échapper aux enchaînements harmoniques imposés et proposer de splendides alternatives dans des morceaux qu'ils ont dû jouer de nombreuses centaines de fois.
Enfin, bien sûr, John Zorn, au saxophone, capable de tout, de dérouler une mélodie dans sa beauté toute simple, de hurler des aigus déchirants en souffle continu, de superposer à cette hululation une mélodie dans les graves, de hoqueter le thème dans le jeu des clés, tout en dirigeant, de signes de la main, ses partenaires (de fait, ce sont les morceaux les plus chaotiques qui sont les plus sous contrôle, où il donne tous les arrêts / redémarrages).
Le set de 50 minutes, suivi de plusieurs bis, utilise quelques pièces du deuxième livre, mais me semble plutôt concentré sur le premier. La salle, bien remplie malgré le match de foot, fait un excellent accueil.
Voir sur scène pour la première fois le groupe de jazz le plus important des années 90, essayer de comprendre comment se fabrique cette musique, comment ils s'écoutent les uns les autres, prennent les relais, se relancent, jouent avec leurs habitudes, avec les attentes du public, l'embarquent dans le voyage, entre déconstructions explosives et spectaculaires, et longs morceaux hypnotiques aux émotions chavirantes, ça ne s'explique pas vraiment. Le concert était à la hauteur de l'attente. Je ne saurais dire si c'était un "bon concert Masada", mais c'était pour moi un des plus gratifiants de cette année.
Mise à jour : Je mets dans le Pot-Pourri deux morceaux venant d'un concert qu'ils ont donné la semaine dernière à Montréal ; je ne suis pas vraiment doué pour reconnaître les thèmes, donc si quelqu'un peut m'indiquer les titres ?