EIC - Répons, Répons (Cité de la Musique - 15 Avril 2010)
Voilà une idée de concert remarquable d'intelligence, autour de ce passionnant chef-d'oeuvre, "Répons" de Pierre Boulez. Je crois que c'est la troisième fois que je l'entends en concert. La première avait été une intense célébration boulézienne puisqu'il y coiffait les casquettes superposées de compositeur, chef d'orchestre, fondateur de l'IRCAM, fondateur de l'EIC, et initiateur de la Cité de la Musique (concert au sortir duquel j'avais traversé Paris à pied, le temps de me remettre de la dose d'énergie et de sensations), et la deuxième avait été plus une déception, que j'avais mise sur le compte d'un placement moins chanceux dans la salle.
En effet, le dispositif de l'oeuvre pose de manière particulièrement aigüe le problème du placement du spectateur : il y a un orchestre au centre de la pièce, du public très proche tout autour, et à l'étage encore du public plus éloigné donc de l'orchestre, mais entouré par six solistes, dont la proximité relative modifie grandement la perception de certaines parties de l'oeuvre. Le tout est chapeauté par de la spatialisation électronique en temps réel.
En bas, en fonction de la partie de l'orchestre la plus proche, et en haut, selon les solistes les plus proches, la perception varie. Et pour permettre de mieux s'en rendre compte, Susanna Mälkki explique que "Répons" sera jouée deux fois de suite, et que pendant l'entracte, les gens d'en bas sont priés de monter à l'étage, et les gens d'en haut de descendre.
Pierre Boulez - Répons
Je me retrouve pour la première écoute en bas, du coté des cordes. Dans les parties purement instrumentales (par exemple l'introduction) cela me permet d'admirer les jeux des violonistes altistes et contrebassiste, ainsi que des cuivres un peu en arrière, qui doivent par moments tenir des sortes de staccatos impressionnants. Entendre les bois est un peu plus compliqué. Quand l'électronique se déploie, cela ouvre un espace immense au-dessus des têtes. Par contre les solistes de l'étage apparaissent plus comme des éléments de décor. Je ressens particulièrement ce soir des couleurs, certaines venues de Messiaen, chaudes ou glacées, étales ou épaisses, une peinture abstraite et expressionniste. La gamme de coloris établie par les cordes (ponctuations grondantes d'énergie de la contrebasse, vernis d'un bleu glacé des cordes juste avant le final) est spectaculaire à admirer de si près.
Ma partie préférée est la "section Scriabine", en 4, où sur une rythmique lente s'empilent les couches sonores, dans une pulsation d'énergie colorée exaltante. La coda finale par contre me semble bien longue.
Pierre Boulez - Répons
Les gens donc se replacent comme ils peuvent. Certains à l'étage finissent sur les marches, mais tout semble bien se passer. Cette fois, je suis derrière l'orchestre, entre le piano de Vassilakis et le cymbalum de Cerutti. C'est un excellent placement, parce qu'assez éloigné des percussions qui ont vite fait de trop accaparer l'oreille.
L'introduction des solistes est beaucoup plus intéressante à suivre quand on les voit jouer. Et par moments, le piano semble jouer un concerto ! L'orchestre apparait beaucoup plus comme une entité, qui crée un son d'ensemble et mutant, alors que j'en voyais bien plus les différentes composantes en première partie. Il faudrait que je m'installe la prochaine fois du coté des bois, que je n'ai pas pu suivre cette fois !
La partie "Scriabine" change radicalement. L'énergie qui était euphorisante en bas devient plus écrasante en haut, surchargée par le piano si proche et insistant, et par l'électronique ; on y étouffe, manque d'air. C'est du coup le "finale" qui devient le meilleur moment, d'une richesse prodigieuse. La coda reste aussi longue, avec ces morceaux d'arpèges répétés au piano, comme une lente déflation d'énergie, un peu trop lente.
En conclusion, une telle expérience soulève bien des questions. Pierre Boulez explique qu'il a conçu ce dispositif (orchestre proche du chef, solistes éloignés) pour mettre en place une différence de contrôle sur les tempi (strictement contrôlés pour l'orchestre, beaucoup plus libres pour les solistes). Cela donne effectivement une magnifique chorégraphie de direction à Susanna Mälkki, entre les gestes fins et précis destinés à l'orchestre, et les plus amples et génériques destinés aux solistes. Mais cette différence dans la perception par les spectateurs était-elle prévue dès le concept, prise en compte dans l'écriture ? Y a-t-il une "place idéale" pour entendre cette oeuvre ? Il n'est pas certain que la place du chef d'orchestre soit la plus intéressante. Et comment rendre cela sur un disque ? A quel emplacement correspond-il ?
Il me semble que ce serait là une vraie révolution dans la captation / enregistrement / restitution. Plus que le SACD ou que le 6+1, il y aurait là quelque-chose de vraiment nouveau et excitant : la possibilité de définir son emplacement (virtuel) dans la salle (virtuelle) afin d'entendre la musique telle qu'elle arrive à cet endroit-là. Définir qu'on veut écouter une symphonie en s'installant à la place du chef d'orchestre, ou au contraire dans un rang un peu éloigné de la scène, ou un concerto en se posant juste à coté du soliste, etc. Cela serait la seule manière de rendre correctement sur "disque" une telle oeuvre, en permettant d'en apprécier les divers visages offerts par les divers emplacements d'écoute.
En attendant cela, il ne reste plus qu'à attendre les prochains concerts !
Ailleurs : ConcertoNet, MusikZen
Spotify : Répons est dans leur base, ainsi que toute la collection DG 20/21, mais n'est pas autorisé pour la France.
Mais vous pouvez l'écouter sur Youtube (avec des explications !): 1 2 3 4 5
Et dans le genre "point de vue particulier", celui du cymbaliste:
1 commentaire:
Le 5.1 paramétrable dans son salon pour changer de lieu et de perspective d'écoute ! grande idée !
Merci de ce cpte rendu !
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