samedi 5 mai 2012

Pina Bausch - 1980 (Théâtre de la Ville - 29 Avril 2012)

Cela fait des années que j'assiste au spectacle annuel du Tanztheater Wuppertal au Théâtre de la Ville, généralement en fin de saison, comme un rituel. Et des années que j'entends un peu toujours les mêmes critiques, à savoir que c'était mieux avant, que c'est devenu décoratif, redondant et inutile, que Pina Bausch n'avait plus rien à dire, se contentait de vivre sur sa gloire d'antan, en envoyant des cartes postales sans grand intérêt.
Cette année ne pouvait qu'être différente. Pina Bausch est morte, et ils n'ont plus de nouveau spectacle à présenter. Alors, on retourne aux sources : "1980", une des premières pièces, écrite après une autre disparition, celle de Rolf Borzik, son compagnon d'alors à la scène comme à la ville. D'un deuil à un autre, comment résonne aujourd'hui ce spectacle ?

On y retrouve plein d'éléments qui seront sans cesse repris dans les décennies suivantes. Une scène à la fois vaste, vide, et très présente, la première concoctée par Peter Pabst : une pelouse de gazon en rouleau, qui frappe par son odeur et son invasion des premiers rangs. Des costumes pour les hommes et des robes de soir pour les dames. Des musiques diverses montées abruptement, mais qui sont ici moins nombreuses que dans le futur, et qui du coup lassent plus vite. Et la longueur, plus de trois heures, avec un entracte.
Mais ce qui frappe le plus, c'est l'absence presque totale de danse ! A vrai dire, il est difficile de qualifier ce qui se passe sur scène. Souvent, les actions s'y superposent, des hommes et des femmes entrent et sortent de scène, des techniciens amènent et retirent des tables, des chaises, une estrade, des gens s'allongent sous des couvertures, discutent, apostrophent le public, font quelques pas de valse, prennent le thé et offrent des bonbons aux premiers rangs, ça s'agite de façon assez anarchique, sans qu'on puisse en tirer grand-chose.

Des thèmes pourtant s'installent. L'enfance, avec ces jeux ("how deep is the water", ou une sorte de jeu du furet, ou des chaises musicales sans musique), son innocence, sa cruauté, un refuge peut-être. Est-ce pour rappeler les capacités d'émerveillement des enfants qu'intervient un prestidigitateur ? Je m'en serais passé, ainsi que de l'encore plus anecdotique athlète de fond de plateau.
L'enfance comme un refuge loin du deuil, qui envahit périodiquement le plateau de sa pénombre gorgée de tristesse, où tout se calme quelques instants (d'ailleurs, tous ces corps qui s'allongent sous des couvertures ...).
La troupe elle-même se place en sujet, qui se constitue dans l'épreuve : ils se présentent par leur nom, trois mots pour désigner leur pays d'origine, leurs peurs, leurs cicatrices, des détails qui les individualisent ; et paradent, là aussi moment répété, à la file les uns des autres, sourires et mouvements de bras, parcours au sein du public (cette marche figure dans le film "Pina"), en formation collective. Je placerais aussi dans cette thématique le sketch des Miss, exhibition et humiliation, et l'évocation de la prostitution.
Et puis l'humour, dans la dérision, la tension, l'absurde, la caricature, comme cette scène ou ils prennent tous le soleil dans des poses ridicules.

Je me souviens d'un vieil article dans Télérama (apparemment pas disponible en ligne) où un critique racontait que dans une des pièces de Pina Bausch, un homme sortait des ballons en plastique de son slip, les gonflait puis les lâchait, et ce de manière lente et répétitive, et qu'un spectateur soudain hors de lui avait surgi sur scène pour l'empêcher de continuer. Son art tient aussi de l'épreuve, face à la durée, face aux répétitions (quoiqu'ici elles soient moindres : la seconde partie n'est pas un copié/collé de la première), à l'incompréhension. Et son "message" n'a jamais été simple à saisir. Il est d'autant plus surprenant qu'une telle foule se presse chaque année : pour moi ce n'est pas, loin de là, de la matière théâtro-chorégraphique amenée à devenir populaire. Mais là, pour analyser ce que les "cherche 1 place" s'attendent à voir, cela relève plus de la sociologie, branche "étude des religions".
Pour ma part, j'ai pas mal somnolé pendant la première partie, j'ai beaucoup mieux suivi la seconde, je n'ai pas tout compris, mais certaines images, certaines sensations, me restent vives une semaine après. Et puis, j'aime cette troupe, les visages qui vieillissent, les corps si différenciés, les retrouvailles, et la force qui se propage entre eux, et dont, il me semble, j'ai capté quelques bribes au passage.
1980 - une pièce de pina bausch
Ailleurs : Danse avec la plume, Ocita, Danse aujourd'hui, Aligateau, Palpatine, etc.

Aucun commentaire: