Marco Stroppa - Re Orso (Opéra Comique - 21 Mai 2012)
A une époque, Marco Stroppa était fortement mis en avant par l'IRCAM et l'EIC, comme jeune compositeur à suivre : je me souviens que Pierre-Laurent Aimard avait conclu un cycle de conférences sur le piano au XXe siècle par un numéro consacré à Stroppa, après avoir consacré les précédents à Messiaen ou Ligeti (il y était question de personnages rythmiques, qui se transformaient selon des méthodes post-spectrales, et que j'avais été incapable de suivre malgré les exemples joués par Aimard). Il avait ensuite largement disparu de mon radar. Le revoici dans une création d'opéra, intitulé "Légende musicale".
La parenté qui me semble la plus évidente est avec Luciano Berio : un matériel disparate mais sous contrôle, de l'humour souvent grinçant, un amour pour des mélodies qui se chantent ... Mais le tout revu par l'IRCAM, donc avec un habillage électronique très présent, jusqu'à devenir omniprésent dans la deuxième partie.
L'histoire est celle d'un roi tyran, meurtrier et violeur, poursuivi par la voix d'un ver, qui finit par mourir sans rédemption.
Il y a une introduction, puis deux parties, découpées en huit scènes, chacune étant présentée dans le livret par un titre et un climat musical : "Histoires anciennes ébouriffées (passacaile rocky avec verve)" ou "Noces et chansons (outrecuidant) et intermède historique (festif, chaotique)". Le spectacle est sans entracte, en 1h20.
Dans la fosse, Susanna Mälkki dirige l'Ensemble intercontemporain, ou plutôt même un sous-ensemble de 10 musiciens de l'EIC, complété de 2 additionnels. Cet effectif de musique de chambre, qui fonctionne ainsi par moments, avec des passages solistes au violon ou au cor je crois, est largement amplifié, par des dispositifs électroniques divers, et autres, comme ce piano mécanique programmé à la Nancarrow pour jouer des dizaines de notes à la fois. Il est du coup parfois malaisé de se repérer dans cet univers musical complexe, entre les sons joués directement, ceux enregistrés et rediffusés, ceux transformés et spatialisés, ceux générés ex-nihilo, etc.
Des modèles musicaux permettent cependant de ne pas être trop perdu. Les premiers pas de la contrebasse sont indéniablement issus du Jazz, en gros slapping rythmique. Il y a un peu plus tard un air de tango joué à l'accordéon. La mort du tyran est précédé d'une cloche très proche de celle de "mortuos plango vivos voco". Et cette matière protéiforme s'adapte scène après scène au déroulé de l'histoire, férocité chaotique, farce cruelle, ou mélopée désespérée.
La mise en scène tire partie de moyens limités mais bien suffisants, avec un bloc central monté sur cables qui sera table ou autel ou lit selon les besoins. Les acteurs sont invités à se balader un peu partout, depuis la fosse (où je peux les suivre en me levant, ayant préféré ne pas me replacer et du coup restant au dernier rang occupé du Paradis) jusque dans les cintres au-dessus de la scène (où là par contre ils disparaissent à mes yeux).
Dans les chanteurs, Rodrigo Ferreira, contre-ténor, impressionne en roi Ours, tant vocalement qu'en engagement scénique, surtout qu'il n'est venu dans l'équipe qu'en remplacement, un mois avant la représentation. La voix de Monica Bacelli, pour le ver, est continuellement accompagnée d'électronique qui le réverbère et la diffuse. La soprano Marisol Montalvo, la femme forcée du roi, lance des aigus superbes. Toute la troupe, une dizaine de chanteurs et acteurs, joue pleinement la comédie.
Après que les musiciens de l'EIC aient quitté la fosse en montant sur scène dans une pagaille chaotique, tout en dansant et jouant leur musique, il y a une sorte de choeur chuchoté puis de grandes plages électroniques, qui sont moins captivantes (et un solo final d'accordéon, moins bon aussi). Mais l'ensemble de la pièce est un beau succès, largement applaudi, même si la salle n'est pas pleine.
Ailleurs : Joël, Claude Samuel, Philippe Venturini.
Pour quelques temps, la captation est disponible sur France Musique.
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