vendredi 18 avril 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Tristan Murail

Premier volume de la collection dont je ne trouve pas la pochette sur Amazon, première pochette qui ne comporte pas la photographie du compositeur, premier compositeur qui bénéficiait déjà d'une bonne discographie lors de la parution de ce volume. Le livret du coup ne présente pas seulement les oeuvres du disque, mais doit les situer par rapport aux étapes précédentes du parcours de Murail.

Serendib

J'extrais du livret ces notes : << Le titre fait référence au nom mythique donné par Sindbad le marin à l'île de Ceylan, qu'il découvre par le plus grand des hasards au cours d'un de ses voyages. [...] Le compositeur a lui-même confié qu'il se sentait dans une position analogue à celle de Sindbad, balloté au gré des vagues, "rejeté, avec un peu de chances, sur des rivages toujours plus lointains et plus fabuleux, pour y découvrir les architectures imprécises mais imposantes de nos rêves collectifs." >> (on peut noter que de Serendib vient aussi le mot sérenpidité, concept bien connu des internautes).
Musique au parcours hasardeux, donc, née d'une résonance grave retrouvée en guise de fin, qui se complait dans l'instant, sans pulsation rythmique, tout en glissements vaporeux, iridescences aux bords de l'illusion d'optique, éruptions soudaines et chatoyantes de drapures évanescentes, réminiscences "exotiques" (pas de carte postale ici, mais un univers autre) de chants d'oiseaux et de percussions balinaises. On se perd facilement dans cette matière sans repère, dans cette texture sonore très lâche, sans fil conducteur thématique, ni structure en épisodes clairement distinguables. On peut s'y plaire, on peut aussi préférer des nourritures plus substantielles.

L'esprit des dunes

Exotisme toujours, mais peu complaisant. Pour évoquer les déserts, Tristan Murail utilise des musiques traditionnelles de Mongolie et du Tibet, dont un appel initial au hautbois, qu'orne des échos électroniques fabuleux, et qui reviendra tout au long de l'oeuvre. Dans ces échos on entend les chants de moines, les longues trompettes rituelles, des voix de gorge et en technique diphonique khoomii, mais le tout est retravaillé pour se présenter de façon mythique, un lointain inaccessible, nécessitant un voyage autant spirituel que physique. J'adore cette pièce, la beauté de ces sonorités étranges (extraordinaire fusion orchestre/électronique), son ascèse, son périple, elle m'embarque comme rarement.

Désintégrations

Cette pièce date de 1982-83, soit une dizaine d'années avant les deux autres. Du coup, après l'utilisation de synthétiseurs pour "Serendib" et d'un programme informatique pour "L'esprit des dunes", ici est utilisée la technique plus rustique de la bande magnétique, qui offre beaucoup moins de subtilités en terme de fusion avec l'orchestre. Mais le langage de Murail n'était pas non plus le même. Ici se sentent beaucoup plus les "process" chers à l'école spectrale, ces lentes déformations d'un objet sonore (ou de l'une de ses caractéristiques) en un autre. Le livret détaille (trop) la structure, en la découpant en 11 épisodes (ce qui donne une moyenne de deux minutes par épisode). Certains passages sont impressionnants, d'autres assez magnifiques ; mais ce qui me gène, c'est l'enjeu, qui me semble assez abstrait (des histoires de fréquences, de correspondances entre composition spectrale de certains sons et organisation de certaines séquences ...) ; et dans ce genre de beauté froide, je préfère "Les espaces acoustiques" de Grisey.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour ma part, je lui préfère le disque "Allégories/Vues aériennes/Territoires de l'oubli", pour le souvenir de longues soirées psychédéliques passées sur le dernier morceau sus-nommé.
Ceci dit, l'esprit des dunes est effectivement un chef d'oeuvre.

bladsurb a dit…

"Allégories ..." est le premier disque de Murail que j'ai acheté. Je pense que celui que j'écoute le plus souvent aujourd'hui est "Couleurs de mer / attente ...", dans la même série Accord / Una Corda. Et dans le troisième volume "Ethers" vaudrait à lui seul l'achat. Bref, dans Murail, y a toujours du bon, mangez-en.

Anonyme a dit…

Ecouté ! et à réécouter ! intéressant en effet...
D'autant que j'avais utilisé des voix Mongoles dans une petite esquisse musicale à ma façon... et sans prétention aucune
http://cooldesource.blog.lemonde.fr/2007/01/07/esquisse-musicale-25/

Anonyme a dit…

"L'esprit des dunes" a l'air vraiment bien ! J'ai déjà Gondwana et Winter Fragments, mais Tristan Murail n'a pas fini de m'étonner et de me surprendre en bien (même si certaines pièces ont un peu vieilli du fait même de l'évolution vertigineuse des moyens techniques)

bladsurb a dit…

"Gondwana" j'ai pas ; du moins, pas encore ... "Winter fragments", je le chroniquerai un jour, puisque la série "aeon" est dans mon programme ; mais vue ma vitesse, c'est pas pour demain !