Raga for the Rainy Season
Ce coup ci, pas de théâtre, pas de texte, juste de la musique, et de la danse au-dessus. En première partie, la musique est un raga, "Mian Malhar" (composé
comme chacun sait des swaras suivants : shaDaj, shuddha rishab, komal gandhAr, shuddha madhyam, pancham, shuddha dhaivat, komal nishAd et shuddha nishAd ; profil très vakra, donc). Le principe d'un raga,
comme chacun sait aussi (et en ne tenant pas compte du fait que les deux sites ne sont pas d'accord sur la définition des swaras...), c'est d'instaurer un climat particulier, lié à l'heure du jour, à la saison, au sentiment à évoquer, voire à invoquer, puisque les effets d'un raga peuvent être magiques, jouer un raga nocturne pendant la journée peut provoquer une éclipse, et jouer comme ce soir un raga pour la pluie peut susciter des orages. Pour obtenir de tels résultats, il faut une musique qui insiste, qui creuse le même sillon sans hésiter, sans dévier ; pas de plan tonal, pas de modulation : le thème impose une tonalité, qui pour ne pas être occidentale (composée de
srutis), n'en devient pas moins rapidement, par son obsessive stagnation, assez gonflante. Quand la pièce dure plus d'une heure, je n'en peux plus...
Et la danse ? Les huit danseuses et le danseur multiplient les solos duos et trios, forment des lignes, se séparent et se rassemblent, le jeu habituel, et respectent il me semble l'esprit même de la musique, donc installent un climat et s'y astreignent, sans vraiment de variations, ou de narrations. De toute façon, assez rapidement, j'ai du mal à garder les yeux ouverts, je n'ai du coup pas vu grand-chose...
A Love Supreme
Après l'entracte, les choses changent... Sur un des disques les plus essentiels du Jazz, et après le semi ratage l'an dernier de sa chorégraphie sur le tout aussi essentiel "Bitches Brew" de Miles Davis, qu'allait faire Anne Teresa De Keersmaeker sur la prière extravertie, la ferveur fiévreuse, du John Coltrane Classic Quartet ? Elle convoque deux danseurs et deux danseuses, et offre de très interéssantes transpositions du Jazz en danse. Difficile de distinguer ce qui est précisément écrit de ce qui est improvisé, puisqu'il y a mélange, indique le livret. Mais la tension qui règne sur le plateau entre les danseurs est bien d'aussi belle nature que celle entre les musiciens. Liberté, écoute. Individualités, échanges. Solos, interactions. Particulièrement superbes sont les déphasages et les rephasages (là on est synchrones, là on ne l'est plus) d'une parfaite et comme naturelle fluidité, les traductions des solos par des solos certainement improvisés, et inspirés, les moments où l'énergie de chacun se trouve canalisée par le groupe qu'ils forment. En tout, une très belle performance, à la hauteur du challenge. Et qui rattrape sans problème la première partie.
On peut aussi noter que Salva Sanchis apparaît comme co-chorégraphe et au poste "vocabulaire de danse" (va-t-elle voler de ses propres ailes, ou Keersmaeker prépare-t-elle un passage de témoin ?), et aussi une jolie utilisation des ombres et des pénombres, surtout pour le raga.
Mise à jour : Je rajoute dans la
radio Pot-Pourri le deuxième mouvement de "A Love Supreme", et, pour compléter, un "Crescent" (c'est l'autre album enregistré en 1964 par Coltrane), sauf que celui-ci n'a rien à voir, puisqu'il s'agit d'un inédit de Dead Can Dance, qui vient des
bootlegs officiels issus de leur tournée 2005, tous "Sold Out" aujourd'hui, trop tard pour les retardataires (le mien, c'est Bruxelles 344/500, et c'est un bien bel objet).