vendredi 19 juin 2009

Médéric Collignon et invités - Hommage à "Kind of Blue" (Duc des Lombards - 16 et 17 Juin 2009)

Des albums Jazz mythiques de 1959, oserai-je dire que je n'aime pas "Kind of Blue" ? L'exploration modale me laisse froid, en Jazz comme en classique, je ne vois guère la révolution qui consisterait à oser des grilles harmoniques nouvelles, quant on peut tout aussi bien se passer totalement des grilles. Et l'album sonne trop maitrisé à mon gout, je n'y entends pas assez les prises de risque, les vertiges au bord de l'abime que j'aime dans le Jazz. Trop propre, pas assez de fièvre et de sueur.
Mais une relecture avec Médéric Collignon, ça ne pouvait qu'être joyeusement aventureux ! Depuis un passage télé chez Zigel où il m'avait franchement éberlué, j'avais fort envie de voir l'énergumène sur une vraie scène. Et c'était suffisamment bien pour que j'y retourne le lendemain, même si je n'ai pris chaque soir que le premier set, alors que le second était beaucoup plus fou et exceptionnel, ais-je entendu ; tant pis pour moi.

Comme il l'avait fait pour un fameux "Porgy and Bess" (que Télérama avait salué d'un gros coup de canon, leur note la plus basse et rarissimement donnée, que les musiciens, un temps estomaqués, avaient repris avec humour en T-shirt), Collignon transpose et arrange les cinq morceaux de "Kind of Blue" pour son groupe "Jus de Bosce". Mais Collignon mixe chaque pièce avec une autre, apparemment chaque fois également du Miles Davis, "Johnny Bratton" ou "Decoy", par exemple.
On commence par "So What", cela lance rapidement le morceau dans une rythmique très funky, propulsée par la batterie volontiers explosive de Philippe Gleizes (beaucoup plus proche de Tony Williams que de Jimmy Cobb), la contrebasse sage et imperturbable de Frédéric Chiffoleau (sauf quand une pièce casse, ce qui est arrivé au second set du premier soir, obligeant Collignon à "chanter" la basse, en plus de son bugle ...), et le Fender Rhodes dont Franck Woste triture parfois les sons vers des déglinguages sci-fi un peu comme Bojan Z (mais qui s'embarque aussi dans des solos splendides d'émotions, mélancoliques et romantiques, parfait dans les ballades centrales de l'album).

médéric collignon invite géraldine laurentAu milieu de la piste, Médéric Collignon joue du bugle (phrases courtes, tendues, serrées, chatoyantes, énergiques), mais il chante aussi (entre scat yaourt, mélopées vaguement voyellisées, bruitages vocaux de toutes natures, utilisant bouche nez gorge pour émettre une gamme impressionnante et jouissive de sons divers et variés, bourdonnements, sifflements), et puis il anime le groupe, dirige du geste, du corps et des yeux, dansant, se trémoussant, puis se plantant face à l'un ou l'autre pour le lancer dans son improvisation, le défiant quasiment. Il assure aussi le spectacle entre les morceaux, blagues, anecdotes, accents, délires plus ou moins contrôlés, il est extraordinaire.

Pour compléter la mise, chaque soir, un invité.

Le mardi, c'est Pierrick Pédron, qui complète bien le trompettiste : plus lyrique, il décolle parfois lentement, et déroule plus en douceur un discours construit sur du plus long terme. Collignon parfois le ponctue alors de petites interventions.
Ce soir-là, les moments les plus forts furent les plus rapides, le "So What" initial, et le final "Freddie Freeloader" (oui, l'ordre originel n'a pas été respecté), suivi d'un sensationnel "Bitches Brew".

Le mercredi, c'est Géraldine Laurent, qui entre beaucoup plus dans le style de jeu de Collignon, aussi rapide, agile, fougueuse, énergique. Lorsqu'ils se lancent en parallèle et entrecroisent leurs voix, la magie se cristallise de fort excitante manière (dans ma faible expérience de Jazz, je n'ai guère à mettre en comparaison que Zorn et Douglas, mais en inversé, puisqu'ici c'est le trompettiste qui dirige).
Etrangement, les morceaux ne me semblent pas aussi différenciés sur le plan de l'énergie (la veille, on avait vraiment des morceaux funk/rock assez furieux, et des ballades vraiment douces) ; mais l'énergie non dépensée, ils la balancent dans un pot-pourri final renversant.
médéric collignon invite géraldine laurent

Ailleurs : mes photos, Ptilou

6 commentaires:

ptilou a dit…

Ah que oui ! le beau concert du jus de Bosc avec Geraldine Laurent... grand dommage, tu n'est pas resté au 2ème set !!! Où le groupe est passé à la vitesse supérieure... vraiment !

Mon cpte rendu complémentaire de ta note :
http://cooldesource.blog.lemonde.fr/2009/06/24/jus-de-bosc-et-geraldine-laurent-au-duc/

Tiens je pense qu'en photographiant le groupe, Emma doit avoir des photos de toi en train de shooter au premier rang !!!
on te les enverra !!!

;-)

bladsurb a dit…

J'avais pas tout à fait compris la politique tarifaire. Je pensais les deux sets au même prix. Et payer 25 euros de plus ne me disait pas assez, malgré la hauteur de la musique. Pour seulement 10, par contre ...

J'essaierais de m'en souvenir pour la prochaine fois !

Sinon, j'aurais effectivement grand plaisir à recevoir des photos d'Emma (que je sois dessus ou pas, d'ailleurs, vu leur qualité) !

Pierre, par chez Ptilou a dit…

Assez osé, de dire qu'on n'aime pas "Kind of blue".
Ca surprend un peu au départ pour qui vient vous lire pour la première fois.
Mais vous argumentez, donc respect (sourire!), (et c'est une bonne accroche pour qu'on lise la suite de la note!).

ptilou a dit…

Kind of blue est un album plus fin et plus complexe qu'il n'y parait... La difficulté, c'est qu'on peut dîner avec, sans empêcher personne de causer à table... on peut même le mettre en musique d'ascenseurs ou de station services...
Le coup du modal, c'est un peu pour exégètes... on peut l'écouter et y trouver des couleurs intéressantes sans connaissance particulière du dorien ou du myxolidien... Reste un ensemble cohérent avec des intervenants de haut niveau et qui bluffe particulièrement dès qu'on écoute ce disque à bon niveau sonore... Kind of blue cela roule...

Et comme on est privé depuis kek années de Miles en scène, Collignon nous fait un cadeau de faire revivre cette musique façon jazz- rock à sa sauce Jus de Bosc.

Pierre, revient butiner chez Bladsurb... aucun doute que tu va y faire des découvertes !

ptilou a dit…

Le concert est "visionable" sur Arte

http://liveweb.arte.tv/fr/video/Mederic_Collignon_au_Duc_des_Lombards/

Info obtenue par Fred Chiffoleau "on bass"

bladsurb a dit…

Youpi !
En plus, c'est le second set !
Merci pour l'info !