Jean-Luc Lagarce - Retour à la citadelle (Théâtre des Abbesses - 14 Décembre 2007)
Le début ressemble à un extrait du "Charme discret de la bourgeoisie" de Bunuel, où une famille en train de diner s'aperçoit soudain qu'ils sont sur une scène de théâtre. Ici, une longue table dans le fond, des convives assis tous de dos, l'un se retourne, fait un signe discret à son voisin qui zieute à son tour le public, enfin une jeune femme prend la parole, "C'est à moi ?", pour nous expliquer la situation, pourquoi tout ce monde est réuni là, pour célébrer l'arrivée du nouveau gouverneur. D'une manière générale, cette pièce est plus faite de monologues que de dialogues, adressés bien souvent aux spectateurs, auxquels les personnages adressent des discours interminables, légèrement ronflants, remplis de digressions et de ressassements, bâtis autour de formules répétées à l'envi, avant d'être brutalement interrompus par un autre personnage revendiquant son tour à la parole "c'est à moi, maintenant ?".
Qui sont-ils ? Il y a l'ancien gouverneur et sa femme, qui ont atterri dans ce morceau de terre perdu loin de la métropole, sans trop même savoir si ce n'était pas une sinistre farce, mais décidant que "ce qu'il fallait prouver", c'est l'appartenance de cette Cité ("Disons 'Cité', c'est bien, c'est plus net, plus précis ... quoique précis, comment dire ? ...") à l'Etat (abandonnés là sans instructions, et n'échappant ainsi qu'à peine, par des discours pompeux qui ne font guère illusions, au sentiment d'absurdité totale de leur situation).
Il y a l'intendant, fonctionnaire obséquieux que "cela [...] gênerait d'avoir l'air pédant tout de suite", qui a écrit un petit compliment "dans les règles de l'art", mais aussi un dossier sur les manquements de ses petits camarades, "de la lecture pour ses prochaines soirées. Le tout bien sur dans une langue pure et claire, à la limite peut-être de l'exercice littéraire, ou du simple rapport opportun, mais non dénué, et ce peut être ma fierté, non dénué de style et d'images poétiques, métaphoriques en diable. Mon oeuvre."
Il y a un ancien ami du nouveau gouverneur, qui tente de s'imposer à son souvenir défaillant, pour en tirer peut-être quelque avantage, mais sincère peut-être aussi, si désespéré de ne pas être reconnu.
Il y a la soeur et la mère du nouveau gouverneur, qui lui en veulent de s'être enfui il y a 10 ans à la métropole, sans donner signe de vie, au point d'être pensé mort, ou, pour la soeur, de s'être enfui sans elle, l'abandonnant dans ce trou où elle n'a rien fait de sa vie. Il y a aussi le père, mais il restera muet.
Et enfin, le nouveau gouverneur lui-même, jeune homme peu causant, qui restera assez opaque, fuyant d'une conversation à l'autre, retournant dans la cité plus en situation d'échec que de triomphe.
Au sein de ces paroles dévidées plus qu'échangées, des pépites de vérité sont glissés, sous les banalités. Cela rend la pièce passionnante à suivre, on scrute, on guette, derrière la mécanique souvent très drôle des mots, les sentiments et les confessions. Tout ce petit monde est futile, ridicule dans leurs échecs, leurs déceptions, leurs souffrances ; mais le texte ne les assomme pas de cynisme, est rempli au contraire de tendresse et d'empathie pour ces amoindris fatigués par la vie.
La mise en scène de François Rancillac est excellente. Décor unique, gravier, table, chaises, lampadaire, posés sur un socle circulaire tournant, ce qui donne de belles surprises, décor tout retourné après une seconde de noir. Cela désoriente, et donne, aidé par le hachage aussi du texte, où les interruptions sont constantes, une impression d'un temps indéfini, cette cérémonie de bienvenue pouvant durer quelques heures, ou un morceau d'éternité.
Coté acteurs, je marquerai spécialement Olivier Achard, intendant un peu dégoulinant de préciosité et d'ambition mal dissimulée, Martine Bertrand, mère confondante de naturel, et Yves Graffey, père muet mais à la présence lourde, comme douloureuse, impressionnante.
Bref, un spectacle que j'ai beaucoup aimé, et un texte très fort, acheté en fin de représentation, alors que je n'ai presque aucune pièce de théâtre dans ma bibliothèque ("Pour un oui ou pour un non" de Sarraute, et "Dans la solitude des champs de coton" de Koltès, et c'est tout).
1 commentaire:
Je n'ai pas lu ton billet. J'y vais jeudi. Je ne veux pas anticiper :-)
Enregistrer un commentaire