La déesse de la rivière Luo (Théâtre de la Ville - 26 Octobre 2006)
Musique ? Théâtre ? Danse ? Il s'agirait d'opéra chinois ; mais dans le style Nanguan, fort différent du Kunqu, puisque, par exemple, on y chante à peine ! Du coup, si la première page du copieux et magnifiquement illustré livret fourni par la maison de la culture d'Amiens en complément au traditionnel feuillet du Théâtre de la Ville indique "Opéra classique chinois dans le style Nanguan par l'Ensemble taiwanais Han Tang Yefu", la deuxième page parle plutôt de "conte dans le style du théâtre dansé et de la musique Nanguan".
Ce conte, qui s'inscrit dans un contexte légendaire, parle de l'amour entre le poëte Cao Zhi et la déesse Luo Shen, de la peur de celui-là, de la peine de celle-ci, et de leur inéluctable séparation pleine de regrets. Comme pas un mot n'est échangé, un étrange sous-titrage nous explique de temps en temps ce qui se passe, au cours des sept scènes qui durent plus de deux heures, au grand désarroi d'une partie des spectateurs qui tenteront nombreux de partir discrètement, tant pis pour eux qui ne savent déguster la beauté !
Beauté de la danse, chorégraphiée par Chen Mei-E, épurée, stylisée, basée sur des gestes qui doivent imiter le hiératisme irréel des marionettes. Les corps glissent sur le sol, les jambes se dressent lentement, tout semble suspendu ; du Bob Wilson, mais avec des millénaires de culture encodés dans le moindre geste ! La scène 2, où apparaît Luo Shen entourées d'autres déesses, et si éthérée et abstraite que l'engourdissement est presque inévitable ; heureusement, la présence plus terrestre du poëte, ou la venue de dieux plus malicieux ou spectaculaires, permet ensuite de garder vive l'attention.
Beauté de la musique "Vent du Sud", de la famille "Soie et bambou" c'est-à dire utilisant des cordes (pipa, sanxian, erxian), une flûte (dongxiao), et des percussions par moments. Musique aux tessitures légères, flottante et irisée, elle crée le décor qui n'existe pas sur scène, évoque une nostalgie d'un monde idéal, avec une fragilité qui nous parle d'âme à âme, dans un raffinement aristocratique sublimé.
Beauté de la mise en scène, où collaborent Chen Mei-E et Lukas Hemleb, ce dernier également éclairagiste généreux en ambiances magnifiques, couleurs intenses et profondes, jeux de scène à partir d'éléments simples, bougies, arbustes, eau, costumes somptueusement fluides de William "In the Mood for Love" Chang, tout concourt à un émerveillement renouvelé.
Revue de quelques détails :
- à la percussion maniée par le dieu du Fleuve Jaune, impressionnante mais tout en force et finalement assez banale, je préfère le petit tambour jouée avec un pied posé sur la peau du dit tambour, qui permet d'en faire varier la sonorité et la hauteur, tout en libérant les deux mains, ce qui permet d'originaux traits montants ou descendants (l'habitude occidentale est d'utiliser le coude, mais cela ne laisse plus qu'une main pour frapper)
- la danse du seigneur des vagues, armé d'un bâton, et celle des six dragons, qui s'affrontent de plus en plus vivement, convoquent les arts martiaux, dans un écho abstrait mais fructueux
- comme des filles du Rhin bien avant la lettre, trois déesses de la rivière se moquent de l'amour annoncé des deux héros, puis restent à les contempler, accompagnant leur idylle naissante de gestes simples, balancement des bras et des mains, mais constamment modifiés, comme un contrepoint exquis et délicat
- la déclaration d'amour est accompagnée d'un chant, sous-titré, mais uniquement en idéogrammes !
3 commentaires:
"je préfère le petit tambour jouée avec un pied posé sur la peau du dit tambour"
C'est bien arrivé jusqu'en Occident, Han Bennink est un grand spécialiste de ce genre d'acrobatie...
LM
Han Bennink, encore un grand nom que je ne connais pas ... Va falloir fouiller de son coté, du coup ...
Je suis entièrement de cet avis. L'analyse est juste et correspond à mon sentiment général.
Je souhaite insister sur le tableau du Seigneur des Vagues qui a été pour moi le moment le plus intense, d'une émotion extrème (pourtant sans musique), sans artifice : le comble de la beauté !
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