lundi 14 juin 2010

Murail Scelsi Pintscher (Cité de la Musique - 11 Juin 2010)

Giacinto Scelsi - Yamaon

L'instrumentarium donne une bonne idée de la couleur musicale : saxophone alto, saxophone baryton, contrebasson, percussion et contrebasse. Tout cela accompagnant une voix de basse. Ca gronde, vrombit, et déclame. Vers la fin ça s'enflamme en une petite chevauchée rythmique bien colorée. Mais si le but est d'évoquer un personnage qui "prophétise au peuple la conquête et la destruction de la ville d'Ur", je ne suis que moyennement convaincu, et la comparaison avec "Ecuatorial" de Varèse (même principe d'un texte de pures voyelles et consonnes sans mots signifiants) ou avec des prières védiques pré-hindouistes ne jouent pas non plus en sa faveur : c'est un peu trop léger, tout ça.

Giacinto Scelsi - Okanagon

De 10 ans postérieure, cette oeuvre est beaucoup plus intéressante. Harpe, contrebasse, tam-tam, amplification. Mais l'emploi de méthodes originales, particulièrement pour la harpe que Cambreling, assise non derrière mais à coté des cordes, frappe de tiges ou de plectres, transforme tous ses instruments en percussion, et l'ambiance générale ressemble beaucoup à un dialogue d'improvisateurs Jazz tels qu'aurait pu inviter Anne Montaron, si ce n'est que tout est écrit, ce qui permet une lente pulsation bruitiste, à la fois statique et muable. Une partie où tous tapotent à qui mieux-mieux sonne un peu vide, mais les résonances initiales reviennent régulièrement imposer leurs étranges couleurs mordorées.

Tristan Murail - L'Esprit des dunes

J'avais présenté ce morceau dans une chronique de disque, où j'indiquais adorer cette pièce, qui "m'embarque comme rarement". Bon ben là, c'est un peu raté. Au lieu d'être transporté dans un voyage mystique, j'ai la sensation de regarder un paysage au microscope, et de perdre la vue d'ensemble. En même temps, cela prouve qu'il y a diverses options d'interprétation, et c'est sans doute la vision qu'a le chef d'orchestre Ludovic Morlot qui ne me convient pas, insistant sans doute trop sur nombre de détails au lieu de privilégier le mouvement général. Une déception, donc.

Matthias Pintscher - Verzeichnete Spur

Si "Towards Osiris" était brillant et prometteur, et si "Hérodiade-Fragmente" révélait un compositeur à suivre, cette fois on peut parler de chef d'oeuvre. 20 minutes où les sonorités apparaissent parfois abruptement, puis disparaissent comme dans de la brume, où les signes ne surgissent que pour rapidement s'évanouir, dans un constant suspense, une tension formidable. L'effectif s'épanouit autour d'une contrebasse solo, entourée de trois violoncelles (Alexis Descharmes venant compléter l'EIC), de deux clarinettes bien graves elles aussi (clarinette basse, clarinette contrebasse), plus quelques autres pour un peu éclaircir et ponctuer (percussions, piano, harpe). Le tout est enveloppé discrètement d'électronique. Quelques mots sont susurrés. La contrebasse frémit comme un coeur qu'on afflige. Les instruments s'unissent dans des halos harmoniques translucides et tremblants. On est souvent proche d'un silence de neige. Des ombres fantomatiques glissent à la limite de la vision. Une mélodie incertaine flotte quelques instants au-dessus du piano. L'électronique nous enfonce dans un inconnu qui creuse. Les violoncelles soudain se déchainent, jusqu'à ce que la contrebasse les surplombe de sa véhémence lyrique. Les percussions prennent le relais. Et ainsi de suite, dans un constant renouvellement de formes, tout en gardant une grande unité d'atmosphère. Vers la fin, Frédéric Stochl prend un solo aigu admirable, une sorte de plainte d'outre-tombe. Vraiment splendide.

Tristan Murail - Serendib

Après tant d'émotions, il est un peu difficile de se concentrer sur cette pièce où le passage d'une configuration à l'autre se fait comme au hasard des courants et des désirs de l'instant, dans un flux continu qui revient souvent sur ses traces.

Ce concert est en écoute pendant 30 jours sur France Musique.

Ailleurs : ConcertoNet
Spotify : Tristan Murail - Winter Fragments, Giacinto Scelsi - Orchestral Works 2, Mathias Pintscher - Hérodiade Fragments

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