Marie Chouinard - Orphée et Eurydice (Théâtre de la Ville - 14 Mai 2009)
Dans un espace scénique presque vide, les danseurs et danseuses avancent à la queue-leu-leu, gestuelles à la Nijinski (celui du Faune), costumes amusants et sexys (toques en fourrures, torses nus, cache-tétons dorés pour les hommes comme pour les femmes, pantalons ou culottes), cris d'avant l'invention du langage. C'est beau, surprenant, drôle, à l'image du reste du spectacle.
On parle d'Orphée, d'abord, le poète premier, musicien aussi, et puis de son amour avec Eurydice. Heureusement, l'histoire nous est rappelée en cours de route, ce qui permet de comprendre certains détails de la chorégraphie, comme ces serpents, responsables de la mort d'Eurydice, qui s'invitent à plusieurs reprises, pour finir par s'agiter attachés à l'entrejambe des messieurs.
La dimension sexuelle est en effet bien présente, comme souvent avec Marie Chouinard. Mais ce qui fait beaucoup de bien par rapport à la scène flamande par exemple, c'est que pour Chouinard, le sexe est ludique, bénéfique, source d'énergie et de joie (et non pas lié au péché, et source de souffrance). Même les scènes d'orgies, où plusieurs couples enchainent les positions, sont pleines de peps, d'amusement, de découverte du corps.
L'humour aussi a une place prépondérante. Une danseuse arrive au micro pour tenter de parler, avale sa salive, manque de souffle, bref essaie encore et encore d'échapper une seule parole, finalement renonce ; une course où le premier qui réussit à se retourner a gagné ; une escapade d'une danseuse dans le public, où elle hurle en gesticulant et en grimpant au milieu des fauteuils, tandis que deux collègues restés sur la scène demande instamment aux premiers rangs de ne pas la regarder puisque cela la transformerait en cendres (conseil impossible à suivre, vu l'agitation provocatrice de la belle ...) ; de manière générale, les attitudes, les mimiques, suggèrent constamment une envie de se faire plaisir, de jouer les situations, de ne pas trop se prendre au sérieux.
Cela n'empêche pas certains moments plus sérieux. D'une part, des moments de pure beauté visuelle, comme ces hommes en fausse ombre chinoise, montés sur des chaussures à talons, parfois pour les rendre androgynes façon drag-queens, parfois pour les rendre plus virils en accentuant la différence de taille avec les femmes. D'autre part, des moments aux propos sans doute plus graves, mais que j'ai moins appréciés, parfois parce qu'ils étaient peu compréhensibles, comme la récitation à peine audible à cause de la musique des "Profanations" de Giorgio Agamben, avec une chorégraphie très structurée et complexe mais dont je n'ai pas saisi le sens, parfois parce que je ne voyais pas le lien avec le reste de la pièce (des tirs de mitraillettes, par exemple).
Seul point vraiment moyen, la musique, qui fait un peu feu de tout bois, de la parodie de musique moyenâgeuse ici, de la fanfare tzigane là, de la presque-techno ailleurs, disons qu'elle est fonctionnelle, écrite spécialement pour la pièce, mais ne m'a jamais vraiment plu.
Au final, un spectacle que j'ai trouvé particulièrement tonique, riche en images fortes, en énergie vitale, en plaisirs. Marie Chouinard s'affirme de spectacle en spectacle comme une nouvelle grande chorégraphe, et en plus, une qui ne se morfond pas dans la désespérance ou la critique du monde moderne qui est si terrible ahlala.
Ailleurs : Les trois coups
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