dimanche 15 mars 2009

Cordes et Ames : Manu Codjia

La première fois que j'ai entendu le nom de Manu Codjia, c'était en Septembre 2003, lors d'un concert du Strada de Texier, qui, annoncé quintet dans les programmes, devenait ce soir-là un sextet, par l'adjonction du guitariste.
Il avait déjà une riche carrière à son actif (1er prix au Conservatoire National de Paris en 1998, 1er prix au concours national de Jazz de la Défense en 1999, participations à de multiples projets et disques ... ), mais ce soir-là, ce qui me frappa, c'était sa discrétion. Quand il s'empare d'un solo, le contraste est étonnant entre la musique de feu qui sort de ses mains et de ses pieds (il est toujours entouré de boitiers d'effets) et son attitude réservée, presque timide dans un coin de la scène, ne cherchant jamais à accaparer l'attention.

strada sextet au new morning

Je l'ai depuis vu dans plusieurs configurations, et c'est son coté caméléon qui en ressort chaque fois plus admirable. Il s'en explique un peu dans le livret de son disque en trio "songlines" :

"Suivant la musique que je joue, la mienne ou celle d'un autre, ou plutôt suivant le contexte musical dans lequel je joue, j'essaie de m'adapter aussi bien au niveau du son qu'au niveau du style. Je vais donc plus ou moins consciemment piocher dans plusieurs références, même si ce n'est pas très joli de décrire cela ainsi ... Au bout du compte, cela donne une espèce d'amalgame, une sorte d'unité. Et c'est pour cela que j'aime participer à des projets différents ..."

De fait, duo avec contrebasse, trio avec contrebasse et batterie, trio avec saxophone et batterie, quartet, quintet, sextet, ambiances jazz, jazz électrique, world jazz, jazz rock, punk jazz, jazz expérimental, mélangeant les générations les écoles et les influences, il sait profiter de la porosité du monde du Jazz pour se frotter à bien du beau monde, et développer des amitiés durables, qui l'inscrivent fortement dans le paysage du Jazz français et affinités.



Depuis quelques temps, il me semble abandonner la carte "guitar-hero" de son jeu, le coté "Hendrix", pour des influences plus subtiles, liquides et aériennes, où se conjuguent explorations sonores et mélodiques. Il est maintenant capable d'offrir à ses partenaires des éléments qui semblent parfois incongrus à prime abord, plus électrique ou plus vaporeux qu'attendu, et qui imposent ensuite leur évidence, complétant la construction du "moment" par une touche insolite qui en parachève la beauté. Et quand il accompagne par exemple le trio de Dave Liebman, il faut oser se lancer ainsi.
De fait, il est encore comme réservé sur scène, un peu ailleurs ; mais c'est qu'il écoute, intensément, plus attentif semble-t-il encore, à la musique qu'il reçoit de ses partenaires qu'à celle qu'il produit.

Voici pour finir un extrait de concert, au Sunside, le 28 Novembre 2008, où Codjia prend le relais de Simon Goubert jouant au piano "Auroville", un morceau de Michel Grailler (ce n'est sans doute pas le morceau le plus démonstratif du talent de Codjia, mais j'aime beaucoup cette musique, alors voilà).



Ce billet est écrit dans le cadre du collectif "Z Band", dont les membres étaient invités pour cette sixième session à parler de guitariste.

Ailleurs :
L’ivre d’image : Lionel Loueke ; Jazz Chronique & coup de coeur : Eric Lörher ; Mysterioso : Gabor Szabo ; Jazzques : Jacques Piroton ; JazzOcentre : John Scofield ; Native Dancer : Marc Ribot ; Maitre Chronique : John Mc Laughlin ; Backstabber : Bill Frisell ; Ptilou’s blog : Mike Stern ; Jipes : Charlie Hunter ; Belette & Jazz : Rémi Charmasson ; Jazz Frisson : Kurt Rosenwinkel

7 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai découvert Codjia au sein du baby Boom de Humair.
http://cooldesource.blog.lemonde.fr/2007/08/01/daniel-humair-et-son-baby-boom/
Très inspiré, très véloce et très à l'écoute de ses partenaires... un guitariste à suivre et qui va progresser.
Excellent coup de coeur, de mettre en avant ce musicien.

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup ce que tu as écrit sur Manu Codjia, un guitariste qui a mon sens, enfin, celui de mes oreilles, a une culture musicale phénoménale.
Un musicien à l’écoute ? Oui, je le crois aussi et à travers la diversité de ses collaborations, on se rends compte combien il vient au service de la musique, avant de penser à lui, ce qui en soit, est une attitude admirable.
J’ai le souvenir d’une vidéo aux cotés de Daniel Humair, avec un solo de guitare magnifique, épuré et de toute beauté, comme ici d’ailleurs avec ton extrait, très aérien, ça me rappèle le grand John Abercrombie, un de mes Gurus,qui n'a pas du laissé Manu indifférent je pense ;-)
Par contre, je n’apprécie pas toutes ses facettes, les plus Hendrixiennes ne me bottent pas toujours.
En tous les cas, ce qu'il fait aux coté d'Henri Texier est superbe.
Dommage, je n’ai pas écrit sur Eric Lörhrer comme c’était prévu, car il aurait trouvé une belle place dans cette réunion de guitariste très actuelle.

Anonyme a dit…

Je connais peu Manu Codjia, mais il fait assurément partie des jeunes musiciens qu'on a envie de suivre.
Merci aussi pour l'extrait musical, Simon Goubert au piano est vraiment touchant (plus qu'à la batterie je trouve, mais c'est un autre sujet !)

Maître Chronique a dit…

Merci pour Manu, dont la présence sur "Love Songs Reflexions" du Red Route Quartet d'Henri Texier est vraiment un bonheur.

Anonyme a dit…

Jce guitariste que j'ai découvert dans la formation alternative de Erik Truffaz notamment l'excellent "Mantis"et le super "Saloua" où il démontre tout son talent de créateur de textures sonores. Je me suis procuré "Songlines" son disque sous son nom ben pas déçu ça décoiffe harmoniquement ça torture et ça cherche j'aime cette démarche

Bill Vesée a dit…

J'aime beaucoup ces deux extraits. Texier, pour commencer. Rien de ce qu'il fait ne me laisse indifférent et, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il sait s'entourer !
Le deuxième extrait est absolument magnifique, avec un piano Debusso-Tynérien superbe, et un jeu de guitare très subtil.
Un guitariste à suivre, assurément.

roudodoudourou a dit…

"... pour des influences plus subtiles, liquides et aériennes, où se conjuguent explorations sonores et mélodiques."
C'est très beau ce que tu dis là,
et très juste.
En entendant Codjia,
je vois des lignes,
des lignes souple qui filent vers l'infini.
Il y a pour moi les musiciens qui peignent,
qui travaillent par taches,
par touches (Monk, Mingus, Coltrane..).
Et des musiciens qui dessinent,
qui tracent des lignes et des courbes (Konitz, Abercrombie, comme le dis bien Z.)

Bref, mon commentaire est confus, mais je me comprend!

Bien beau billet.
Tu t'inscris avec de façon éclatante dans cette livraison du Z-Band!
Bravo!