Harrison Birtwistle - Theseus Game
Comme l'indique la brochure, "Harrison Birtwistle a toujours été fasciné par le théâtre". Du coup, il fait de la mise en scène. Pour diriger l'Ensemble InterContemporain ("grand ensemble", dit la brochure, pour 30 personnes ?!), il met deux chefs d'orchestre, qui sont ce soir David Robertson, qui a toujours aimé ce genre de spectacularisation de la musique, et Ludovic Morlot. Ils agitent les bras, parfois synchrones, parfois pas, ça fait du mouvement. Pour mettre un peu plus d'animation, il met sur le devant de la scène deux chaises. A tour de rôle, des musiciens viennent y prendre place, et jouent une partie soliste, en se relayant les uns les autres. Comme ça ne suffit pas, il met aussi vers l'arrière deux petites estrades, où des cuivres vont parfois jouer en échos l'un de l'autre.
Le problème, c'est que rien ne marche vraiment. Si les solistes sont supposés dessiner un fil rouge/fil d'Ariane, les fréquentes interruptions dans le relai entre musiciens ne sont guère rassurantes pour Thésée. Plus génant, il est de toute façon quasiment impossible d'entendre leurs interventions, absorbées par le fond orchestral, très bruyant. La répartition des rôles entre les deux chefs n'est pas évidente à comprendre, mais le résultat est une musique qui "frotte", ou qui "grince", avec une aggressivité abrupte et froide. Devant ce mur assez compact et vaguement menaçant, comme une coulée de lave presque figée, les décorations des solistes sont quasiment invisibles. Quant aux estrades du fond, leur intérêt est simplement nul.
Cette pièce me fait penser à "Jagden und Formen" de Wolfgang Rihm (entre la chasse d'une forme au milieu d'un forêt changeante, et la fuite loin d'un monstre dans un labyrinthe, les analogies sont faciles). Mais en beaucoup moins réussi...
Pierre Boulez - ...explosante-fixe...
Voilà une oeuvre quintessentielle de Boulez. A partir d'un hommage à Stravinski, mis et remis sur le métier, il a tiré cette pièce, en forme de concerto pour flute, mais aussi "Rituel: in memoriam Maderna" pour ensemble, "Mémoriale" pour flute et 8 instruments, ou "Anthèmes" pour violon seul !
Il y a trois mouvements, séparés par des intermèdes purement électroniques. Le premier se focalise sur le jeu de la flutiste Emmanuelle Ophèle, doublée par deux consoeurs flutistes, entouré d'un ensemble de bois, de cuivres, et de cordes (pas de percussion), amplifié par de la spatialisation. Le deuxième mouvement utilise beaucoup plus les cordes (Robertson ne peut s'empécher de "mettre en scène" lui aussi ; les lumières baissent, passent au rouge, puis reviennent, et les violonistes se lèvent et resteront debout tout ce mouvement ! Quel intérêt ?), et j'y reconnais même un passage à la rhythmique typiquement stravinskienne ! La flute apparaît comme en creux, comme une empreinte vide dans le moule qui l'entourait lors du premier mouvement. Le troisième mouvement, "Originel", donne une impression de reconciliation, de retour au calme.
Belle oeuvre, qui rassemble pas mal de caractéristiques bouleziennes. On y retrouve la beauté du timbre, très doré, lumineux jusqu'à l'incandescence ; la gestion du temps où s'oppose le lisse et le strié, avec de grands blocs architecturaux qui donnent une impression de statisme, et une profusion de détails qui peuvent plonger l'auditeur dans un hédonisme de la microforme ; la spatialisation Ircam, qui envoie tournoyer autour de la salle des bribes du jeu "en temps réel".
Cette partie électronique pose aujourd'hui problème, elle gène plus qu'elle ne ravit. Si les intersticiels, ces moments purement électroniques qui signalent le passage d'un mouvement au suivant, sont très beaux et fonctionnent bien, l'irruption de bruits de bouche ou de souffle démultipliés dans tous les sens ressemble à un système 5.1 mal réglé, qui au lieu d'immerger davantage dans le spectacle, nous en distrait. La problématique de la lutherie électronique et de sa fusion avec l'orchestre traditionnel est encore loin d'être réglée !
Mise à jour : J'ajoute dans la radio "Pot-Pourri" le deuxième mouvement du Concerto pour orchestre de Bartok (malheureusement dans une version mollassonne de Karajan, celle de Reiner est plus passionnante mais mon PC refuse de lire le CD !), où les solistes successifs n'avaient pas besoin de se lever pour briller ; un extrait de "Jagden und Formen" de Rihm, qui se situe vers la fin de la pièce ; et une oeuvre pour flute basse et bande pré-enregistrée, où Ferneyhough se montre sous un jour inhabituellement calme.