Pina Bausch - Ten Chi (Théâtre de la Ville - 8 Mai 2005)
Ten Chi, Ciel et Terre, trois traits Yang au-dessus de trois traits Yin, cela donne dans le Yi-King l'hexagramme 12 "l'Adversité" ; equinoxe d'automne, absence de communication, stagnation. Clé peu validable, puisque le spectacle répond à une résidence à Tokyo, et non en Chine. Pourtant, le climat est bien celui-là.
Dans un décor (Peter Pabst) de baleine enfouie dont seule la queue surgit, en arbre étrange, sur le devant de la scène, et que viendra bientôt lentement recouvrir une douce pluie sèche de papier blanc (neige ? pétales ? ... cendres ?), s'avance Ditta Miranda Jasjfi, chavirante d'exubérance maîtrisée, d'inventivité expressive, recréant encore et encore un langage du corps, des bras et des mains. Miraculeuse entrée en scène. Suivent des solos à n'en plus pouvoir, certains presque banals (baclés ?), surtout pour les jeunes hommes, démonstrations d'énergie un peu gratuite, mais ponctués d'états de grace, femmes à la beauté renversante, puisant dans leur âme des cadeaux invraisemblables pour les offrir au public.
Entre ces solos, pas grand-chose. De l'anecdotique japonisant, éventails ou tatouages, de l'humour, sur la politesse pressante d'une guide stressée ("Can we think that we are going now ? Yes ?"), sur des leçons de prononciations ("Ki Mo No, kakekikokukoikaiki moooo noooo"), de l'interaction avec le public (Dominique Mercy essaie d'apprendre au public à ronfler ; c'est à peu près tout).
C'est là ce qui me frappe le plus, dans cette pièce. Pas de violence, pas de conflits, pratiquement pas d'échange. Les hommes agissent en chevaliers servants, apportant des objets quand ces dames le veulent, les portant, pour qu'elles flottent, qu'elles nagent, qu'elles patinent sur le sol, mais sont comme peu impliqués, déconnectés, absents. Lorsque mis au défi par sa belle, l'un d'eux se lance dans une démonstration acrobatique, c'est pour préférer s'enfuir lorsqu'elle accepte de s'approcher. Lorsque l'une d'elles s'avance en mix montrueusement drôle de Godzilla, de robot manga, et de Sadako Ring-esque, massacrant à grand bruit un oreiller, c'est, une fois installé à table, pour dévorer d'un baiser goulu son partenaire terrifié. Dominique Mercy, bien sur, est à part, autre part. Immobile sous les flocons, on le déshabille, couche après couche, de tous ses kimonos superposés, pour ensuite l'habiller à l'occidentale, étrange cérémonie au goût funèbre ; il plonge alors dans la danse, encore un solo, corps de pantin vieillissant, magnifique.
Les accessoires aussi ont changé. Une seule bouteille, mais vide, et qui s'écrase avec les pieds ; pas une seule goutte d'eau, pas de bain, pas de repas de groupe. A la place, des oreillers pour se boucher le visage, des serpents en plastique.
A la fin, un peu d'hystérie pour secouer : les hommes courent en tous sens, encombrés de cravates, les femmes suivent, se bouchant les oreilles puis hurlant, et le tout s'achève dans un tempo élevé, par une suite d'interventions solos, encore et toujours, chacun et chacune son tour traversant le plateau, marquant tout le spectacle sous le signe d'une solitude traumatisante, comme si la guerre des sexes s'était offert un armistice neurasthénique.
Mise à jour: Dans la radio-blog Pot-Pourri, je rajoute une chanson de Beth Gibbons (la chanteuse de "Portishead") qui est dans "Ten Chi", et une reprise de "Paris-Texas" par Gotan Project (pourri, j'ai dit, le pot...) qui colle assez bien à l'atmosphère musicale des spectacles de Pina Bausch, cet exotisme fatigué et un peu triste (moins de "fado" cette fois-ci).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire