samedi 14 mai 2005

Emigrations 1 (Cité de la Musique - 11 Mai 2005)

Iannis Xenakis - Linaia-Agon

Linos, au trombone, provoque en duel Apollon, au cor et au tuba. Le combat se base sur des matrices de gain venues de la théorie des jeux. Un programme informatique fait office d'arbitre et compte les points. L'ordinateur est projeté sur grand écran au-dessus des musiciens. On ne comprend strictement rien aux règles, ça claironne à tout va, un économiseur d'écran "Objects volants 3D" s'invite brièvement, le trombone se félicite de sa victoire, mais Apollon le tue quand même, tout ça est complètement anecdotique, mais plutôt rigolo, adjectifs rares quand on parle de Xenakis !

Béla Bartok - Sonate pour deux pianos et percussion

Grand classique du XXème siècle. Interprétation bien sur impeccable des pianistes de l'ensemble intercontemporain, mais je suis particulièrement subjugué par le jeu de Michel Cerutti aux timbales. Précision des frappes, variété des couleurs, douceur des timbres, sécheresse des attaques, il offre un magnifique équilibre entre fureur et mystère (hé!).

Edgard Varèse - Offrandes

Sous le chant rempli d'accents debussystes, interprété par Marie Devellereau, s'offre un splendide échantillon des beautés varésiennes. Ecriture aérée et lumineuse, mur de sept percussionistes qui pourtant n'empiètent jamais sur le territoire d'une harpe omniprésente (peut-être est-ce là l'équilibre sonore des pupitres que Boulez n'arrive pas à obtenir dans "Sur Incises"), bribes de mélodies percutantes et lancinantes.

Iannis Xenakis - Thalleïn

Cette oeuvre de 1984 me permet de découvrir un nouveau visage de Xenakis. Sans doute parce que je connais surtout les pièces pour quelques solistes, faciles à programmer, et celles pour grand ensemble, par les disques de Tamayo. Ici, nous sommes à mi-chemin, pour quatorze instrumentistes, qui ont reçu comme injonction impérative "Le vibrato est prescrit !".
Le titre, qui signifie "bourgeonner" évoque le monde végétal, mais l'oeuvre est plus mutante que ça, animale par bien des aspects aussi. C'est une créature aux contours mous, mais aux arêtes coupantes, qui avance par excroissances organiques, par reptations rhyzomatiques, entre un ensemble étal de vents aux couleurs étranges, et un quintet à cordes aux rythmiques virtuoses. J'aurais aimé que cela dure bien plus longtemps que ces 17 minutes, parce que cette pièce nous promène dans des climats sans cesse surprenants, aux évolutions imprévisibles et pourtant sans rien de chaotiques, comme un organisme étranger, parfaitement adapté à un environnenement non-humain.

Edgard Varèse - Intégrales

Pour terminer ce magnifique programme, où le thème "Emigrations" se fait peu sentir (la biographie des compositeurs, et l'impact sur leur musique, vaste sujet...), mais où les oeuvres s'enchaînent avec bonheur, se répondant sans doute souterrainement, un autre classique de XXème siècle.
J'adore comment Varèse décrit cette composition : "Regardons la projection changeante d'une figure géométrique sur un plan, avec la figure et le plan qui, tous deux, se meuvent dans l'espace, mais chacun avec ses vitesses propres, changeantes et variées, de translation et de rotation.". Cela semble bien abstrait, mais se traduit par un thème minimal, typique de Varèse, qui se déplace et se déforme dans tout l'orchestre, entre ombre et lumière, entre précipitation hispanisée et stagnation répétitive, entre tutti percussifs, et magnifiques traits finaux de hautbois aux charmes, encore une fois, debussystes.
Le chef d'orchestre s'appelle Baldur Brönnimann, mais avec l'EIC, il est difficile de déterminer la part de l'un et de l'autre dans l'excellence des interprétations.

Mise à jour : je rajoute dans la radio Pot-pourri deux extraits d'oeuvres de Xenakis, l'assez calme "Idmen" pour percussions (et choeur), et le plus effrayant "Shaar" pour grand orchestre à cordes.

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