Oui au Traité Constitutionnel Européen
Insomnie et prise de tête, suite à la fréquentation assidue de Publius. Se réveiller en pleine nuit avec en tête des questions tourbillonantes sur l'organisation politique/économique/sociale de la France, de l'Europe et du Monde, c'est nouveau pour moi, et guère réjouissant.
Solution 1 : Goldberg. Par Scott Ross. Toujours efficace. Mais tactique court terme...
Solution 2 : Mettre à plat par écrit, laisser refroidir, et voir. Typiquement ce que permet un blog, où l'intimité de la rédaction conjuguée à la possibilité d'être lu par de parfaits étrangers oblige à une mise en forme minimale des idées. Alors, faire une entorse à la définition de ce blog, qui devrait se consacrer à mes consommations d'événementiels culturels ? Si ça peut me permettre de fixer quelques pensées, allons-y. Mais pas sur que ce billet reste.
La question posée semble simple : "oui" ou "non". Sauf que le choix se pose entre trois objets :
- Objet 1 : le(s) Traité(s) qui lient l'Europe aujourd'hui : Traité instituant la Communauté Européenne, Traité sur l'Union Européenne, Traité de Nice. Disponibles ici.
- Objet 2 : Le Traité proposé aujourd'hui : Traité Etablissant une Constitution Européenne. Disponible ici.
- Objet 3 : Un éventuel et hypothétique, voir fantasmé et chimérique "autre" Traité. Disponible nulle part, et pour cause.
- entre 1 et 2, c'est essentiellement les parties I (l'aspect le plus constitutionnel) et II (charte des droits fondamentaux). La partie III reprenant essentiellement ce qui existait déjà en 1. Plus de détails dans les postes magistraux de Samizdjazz sur Publius, dont le billet suivant donne la liste :
(séries à suivre...)
- Entre 2 et 3, difficile à dire... Les incompatibilités entre les différentes propriétés que devrait acquérir l'objet 3, et l'impossibilité de déterminer de manière concrète la façon de le faire surgir dans le monde réel, rendent son examen difficile.
- une Europe plus démocratique :
- étrangement, l'interlocuteur signifie la plupart du temps par cela qu'il veut donner plus de pouvoir au Parlement européen par rapport au Conseil. C'est déjà ce que fait le Traité Constitutionnel, mais "pas assez". Or, nos représentants au Parlement, les députés européens, ont été élus avec une abstention de 57%. Et notre représentant au Conseil, le président de la République, a été élu avec une abstention de 20%. Où est la plus grande légitimité démocratique ?
- Peut-être est-ce du au fait que le président est de droite, alors que nos députés européens sont très légèrement de gauche ; il n'empèche que le Conseil, et le Parlement, sont aujourd'hui tous deux à droite. Ce rééquilibrage des pouvoirs n'apporterait pas dans l'immédiat un rééquilibrage de la couleur politique des décisions prises (ce qui compliquerait la création de l'objet 3, espéré plus à gauche que l'objet 2). Pour le futur, cela dépend bien sur de nos votes à venir, et de ceux du reste de l'Europe. Je crois que ça s'appelle la démocratie.
- Mais est-ce que cela signifie que ces personnes ne font plus confiance au Président pour les représenter dans des réunions inter-gouvernementales, et préfèrent confier cette représentativité à un groupe de quasi-inconnus siégeant dans une assemblée loin, à Bruxelles, et votant des directives selon un process quasi-incompréhensible ? J'espère que cela annonce un intérêt soudain accru pour la façon dont fonctionne l'Europe, et que l'abstention aux prochaines élections européennes baissera fortement.
- une Europe moins libérale :
- voilà un mot qui ne veut plus rien dire, tellement usé, contre-usé, pris et repris par tous. Que n'entend-on pas sur "concurrence libre et non faussée" ! Le mot "concurrence" même devient nauséabond. Ah bon ? L'idéal est donc d'avoir une seule marque de yaourt dans nos supermarchés ? une seule marque de PC, de réfrigérateuur, de voiture ? Le magazine "60 Millions de consommateurs" et ses tableaux comparatifs est à la solde du Grand Capital ennemi des peuples, puisqu'il permet de profiter de la concurrence pour trouver le meilleur rapport qualité/prix ? S'ils mettent "17/20" à un fer à repasser, c'est surement que les ouvriers fabriquant ce fer sont rongés de stress, exploités par les cadences infernales, esclaves de leur Patronat maléfique ? Dans les critères déterminant la qualité d'un produit, on pourrait ajouter la localisation des usines, le taux de syndicalisation des ouvriers, le respect de l'environnement. Si vous êtes prêt à acheter plus cher un réfrigérateur parce que l'usine qui le fabrique est moins polluante et paye plus ses ouvriers. C'est peut-être un peu le cas en Allemagne, mais en France... Les boycotts lancés par les associations de consommateurs n'ont qu'un très faible écho. Or, la solidarité sociale ne s'impose pas par le politique, elle doit aussi se fabriquer au niveau des citoyens. Mais penser que l'individu est libre et qu'il doit assumer ses choix, il parait que c'est être libéral. Arrgh ! Serais-je donc libéral ?
- De plus, oui, certains domaines doivent échapper à la mécanique de la concurrence, parce que cette concurrence n'apporte ni meilleure qualité, ni meilleur prix, aux consommateurs. C'est je pense principalement le cas des secteurs où le nombre de vendeurs est faible, et où entrer sur le marché demande des investissements très importants. Ce sont des marchés spécifiques, à régler au cas par cas. Mais dans la grande majorité des cas, proposer la concurrence comme fondement principal du marché est d'une telle évidence que dire que cela revient à un "choix politique" me semble idiot. Que mettre d'autre ? La solidarité, le partage librement consenti, le don ? Un brin utopique ; disons que le modèle réaliste d'un tel fonctionnement reste à définir... Le monopole, le controle exclusif par l'état ? Nationaliser la production de yaourt ? Je crains que les pays ex-satellites de l'Est ne soient pas bien d'accord, ils ont vu ce que ça donnait...
- Donc, concurrence il y a, parce que c'est comme ça que ça marche. Et tant qu'à avoir une concurrence, je préfère qu'elle soit libre (de nouveaux acteurs peuvent intervenir s'ils le veulent ; si j'ai envie de lancer une marque de yaourt au gout de viande, j'ai le droit d'essayer de m'implanter, dans toute l'Europe, sans bureaucratie interminable dans chaque pays) et non faussée (lutte contre les alliances, contre les abus de position dominante, etc). C'est cet aspect "non faussé" qu'il me semble difficile d'obtenir lorsqu'il n'y a que 3 ou 4 vendeurs.
- une Europe plus sociale :
- qu'est-ce que cela veut dire ? Alors même que le Traité Constitutionnel introduit pour la première fois des mesures sociales, plein d'interlocuteurs se rebiffent là aussi par un "c'est pas assez". Ce que me semble, c'est qu'ils n'accepteraient que l'Europe parle de système social que dans l'unique condition que cela ne touche en rien le système français. Ils voudraient en fait que l'Europe garantisse que le gouvernement français ne puisse pas toucher au système social français... Etrange conception de l'Europe...
- Car ce que l'Europe donne à la France doit être aussi donnée aux autres pays européens. Donc, ils veulent bien que l'Europe parle de social, mais soit pour que toute l'Europe adopte le système social français, soit pour que l'Europe garantisse qu'aucun pays n'ait le droit de modifier son propre système social, sauf si c'est pour le rapprocher du système français.
Quelles sont ces conséquences ? Aucune n'est certaine, ni avec le "oui", ni avec le "non". Pas de boule de cristal, ni de marc de café. Mais des hypothèses, des scénarii. Auxquels ont peut donner une probabilité, et une note (par exemple, entre +5 et -5).
Mais d'abord, il faudrait répondre à ces questions fondamentales :
- est-ce qu'on veut ou non que l'Europe (et pas "le Conseil", "la Commission" ou "le Parlement", mais l'Europe en tant qu'entité politique et juridique) ait plus de pouvoir, par rapport aux parlements et aux gouvernements nationaux (et pas "plus de pouvoir que les parlements et gouvernements français", mais "plus de pouvoir qu'aujourd'hui, face aux parlements et gouvernements nationaux") ?
- est-ce qu'on veut ou pas que l'Europe s'intéresse à l'aspect "Social" de nos systèmes de vie, et donc soit susceptible de légiférer dans ce domaine, quitte à forcer notre système social à changer ?
Dans le cas où on accepte et même souhaite ces changements vers plus d'Europe, alors quels sont les scénarii ?
(bien sur, c'est mon choix de scénarii, mon évaluation des probabilités, mes décisions de notes ; faites le même calcul avec vos scénarii, vos probabilités, vos notes, et obtenez votre décision)
- En cas de "oui"
- Fondamentalement, rien ne change ; proba: 45% ; note: 0
- Les lois cadres sur les Services Publics, sur la Défense, et sans doute quelques autres, annoncées dans le TC, sont mises en chantier ; proba: 20% ; note: +1 (ne pas oublier que le Parlement est à droite ; une loi cadre aujourd'hui sur les Services Publics sera délicate ; mais une plus grande harmonie entre les pays européens reste souhaitable)
- Les lois cadres prennent la poussière, mais le Parlement profite de son plus grand contrôle sur les décisions prises pour les améliorer, et la double majorité permet de prendre plus vite de bonnes décisions (c'est à dire, des décisions qui conviennent à la majorité des Européens) ; proba: 30% ; note: +2
- Le TC possède des "trous", des articles facheux dont les effets se révèlent pervers et néfastes ; proba: 5% ; note : -2 (peu de chances que les garde-barrières des parlements nationaux, et que la Jurisprudence s'il faut aller jusque là, ne laisse passer un effet vraiment néfaste ; mais admettons...)
- En cas de "non"
- Fondamentalement, rien ne change; proba: 40% ; note: 0
- Fondamentalement, rien ne change, sauf que la voix de la France au Conseil n'est plus autant écoutée ; proba: 40% ; note: -1 (difficile de mettre une note ; si la perte d'influence de la France permettait de casser la PAC et de mettre l'argent ainsi économisé vers l'éducation, la recherche, la santé, au lieu de subventionner les surproductions des pollueurs de nos nappes phréatiques, je mettrais +2 ; mais bon, on entre là dans des domaines que je maîtrise mal)
- Suite au "non", le Traité constitutionnel passe par morceaux, en "coopérations renforcées" multiples et diverses, dans une Europe multi-vitesse à la carte, qui devient carrément incompréhensible pour qui que ce soit ; proba: 15% ; note: -2
- Suite aux "non" français, anglais (et autres ?), un nouveau Traité est élaboré, qui est mieux par certains aspects, mais pire par d'autres, vu que c'est ce qui se passe dans des négociations entre revendications incompatibles; proba: 3% ; note: 0
- Suite au "non", un nouveau Traité est élaboré, qui va plus dans le sens voulu par l'aile gauche du Non; proba: 2% ; note: +3
Gain moyen d'un "Non": -0.64
Donc, pour moi, c'est "OUI".
J'aurais pu mettre le joli logo de Laurent Gloagen, mais comme il est spécialement adapté à sa charte graphique, je le laisse.
Bon, on voit que je suis en vacances, pour écrire des billets si longs, et que le travail pour atteindre une sorte de conscience politique est encore en ébauche.
J'ai pu constater sur Publius que certains partisans du Non sont adeptes de Trollage assez agressifs. Les copiés/collés d'articles issus du Web seront supprimés des commentaires. De toute façon, avec Haloscan, il y a une chance sur deux pour qu'ils se fassent débiter en tranches... Vous pouvez par contre laisser des URLs pointant vers ces textes si ça vous chante. Ne vous attendez pas non plus à ce que je réagisse aux commentaires sur cette note. Si vous voulez discuter du Oui/Non au TC, allez sur Publius.
Enfin, je voudrais remercier le travail exemplaire, citoyen et bénévole des bloggeurs suivants, sans qui j'en serais peut-être resté à admirer la haine paranoïaque de Cassen dans le Diplo, et serais resté dans la confortable pose morale d'un socialiste petit-bourgeois, lançant des anathèmes sur le libéralisme tout en en profitant à donf, et attendant d'autant plus le Grand Soir que je sais qu'il n'arrivera jamais :
Emmanuel, Versac, Hugues, Damien et les autres.
Ne me reste plus qu'à débroussailler mes questions, et commencer à chercher des réponses.
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