Takemitsu : My Way of Life (Théâtre du Châtelet - 28 Janvier 2005)
Mort en 1996, Toru Takemitsu n'avait pu réaliser son projet d'opéra. A la demande de sa famille, voici par Peter Mussbach et Kent Nagano un hommage posthume en forme de collage enrobé dans une mise en scène.
Commençons par la musique, dont l'ossature consiste en cinq oeuvres de Takemitsu :
- "Requiem for Strings", pour orchestre à cordes. Facture très classique. Les textures sont belles, les mélodies un brin trop harmonieuses pour mon goût, mais surtout, il n'y a pas d'articulations rhythmiques. Tout est d'une seule lente coulée, tranquille et languide, sans accélération, sans fièvre, sans émotion.
- "November Steps", pour biwa, shakuhachi et orchestre. Fondée sur l'opposition orient/occident plutôt que sur le syncrétisme des cultures, la pièce est malheureusement beaucoup trop longue et répétitive. Le jeu assez limité de ces instruments traditionnels n'arrive pas à se renouveler, et rapidement ça lasse, puis ça agace.
- "Family Tree" pour récitante et orchestre. Là, les choses s'aggravent. Les poèmes de Tanikawa, traduits par Durastanti, sans si insupportables dans leur psychanalyse de bazar, dans leur étalage de poncifs, qu'il est impossible d'entendre la musique (qui de toute façon, reste au niveau d'une musique de film hollywoodien, dans des épisodes sentimentaux mélodramatiques). J'ai failli quitter la salle. D'autres le font.
- "Stanza 1", pour guitare, piano, célesta, harpe, vibraphone et voix de femme. L'instrumentation est originale, pointilliste, agréable. De loin la pièce qui me plaît le plus.
- "My Way of Life", pour baryton, choeur mixte et orchestre. Proche de Ravel, c'est une pièce solide, sans guère d'originalité, mais agréable. Dwayne Croft met dans sa voix puissante et pleine, des accents de crooner, qui conviennent bien à ces lignes vocales simples. Le choeur Accentus, invisible, lance ses interventions depuis les balcons supérieurs.
Autour de ces pièces, d'autres prennent place, comme "Parlez-moi d'amour" chanté par Greco, ou des extraits de bande radiophonique, ou des musiques de films, pour évoquer tout le panel d'activité de Takemitsu. Cela permet de profiter de "Munari by Munari", très beau solo de percussion spatialisé, mais cela rend souvent les choses plus confuses. Qu'entend-on nous ? Pourquoi ? Il y a dans cette démarche un manque de respect, puisque les oeuvres originales sont ainsi modifiées, coupées, superposées, sans que ne surgisse un surplus de beauté ou de sens qui validerait la démarche.
Mais le pire, c'est la mise en scène de Mussbach, ampoulée, ridicule, désastreuse. L'argument : une vieille femme revoit sa vie, et s'aperçoit qu'elle l'a ratée, restée seule de bout en bout. Pour évoquer ce passage de la vie, on a droit à :
- des ours en peluche qui défilent lentement, ou dansent la valse
- des barbarellas de manga, qui s'exhibent
- des trous dans le sol, où montent et descendent sans arrêt la femme à ses différents âges, en des poses savantes
- des cris et des rires dérangés, qui veulent sans doute évoquer la démence, ou la férocité des passions, ou que sais-je (encore une manière de mutiler la musique...)
Dans "My Way of Life", Croft est ainsi tout drapé d'un costume doré, évoquant une vieille femme nue, avec les seins qui pendent et des plis partout... Pitoyable.
Takemitsu était fasciné par Debussy. Malheureusement, je n'ai pas l'impression qu'il ait réussi à gérer cet héritage en fabriquant son propre langage, comme Dutilleux. Ses orchestrations sont ainsi assez basiques, nappes de cordes et éclats des cuivres, et le rhythme, qui depuis Stravinsky est devenu un des éléments de langage musical qui a le plus évolué, n'est quasiment pas travaillé.
Cette musique fonctionne très bien en complément d'un film. Mais prise pour elle-même, qu'en dire ? Que c'est une musique du rêve, de l'entre-deux, du flottement. Alors Mussbach fait aussi une mise en scène onirique à deux balles, avec de vagues concepts psy, du surréalisme de pacotille, et de l'occupation de scène pour meubler.
Au final de cette soirée presque éprouvante d'ennui et de prétention, quelques remarques :
- cela faisait fort longtemps que je n'avais pas entendu de huées à la fin d'un concert (c'est assez fréquent pour la danse ; mais tant de chefs d'oeuvre musicaux ont été mal accueillis à leur création que la prudence s'est maintenant imposée chez les mélomanes) ; les applaudissements ont ensuite pris le dessus, mais bon...
- Georgette Dee est "diseuse" ; c'est la deuxième fois que j'assiste à un spectacle où intervient cette personne ; je la range illico dans les signes de danger potentiel pour des specacles profonds dans le sens de creux.
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