mercredi 26 janvier 2005

Dmitri Chostakovitch - Le Nez (Cité de la Musique - 25 Janvier 2005)

Oeuvre étonnante ! Agé de 21 ans à peine, Dmitri Chostakovitch profite d'une relative tolérance du régime stalinien pour créer son premier opéra, et y incorpore une foison d'idées loufoques, pour un véritable feu d'artifice d'inventions, de pastiches, de coups d'éclat et de fantaisies diverses. La nouvelle de Gogol est respectée : un type trouve un nez dans une miche de pain et tente de s'en débarasser ; un autre se réveille un matin sans son nez, qu'il retrouve se pavanant devant la cathédrale. La foule s'enfièvre de l'histoire, qui se résoud sans explication par le retour du nez au milieu de la figure de son propriétaire.
L'absurde délirant de Gogol est encore amplifié par Chostakovitch, qui s'amuse à mélanger les genres et les registres, les instrumentations et les références, avec un impressionant solo pour 9 percussions, des ballades à la balalaïka, un splendide choeur d'hommes, des tohu-bohus presque Stravinskiens, des lambeaux de valses Malheriéennes...
L'Opéra de Chambre de Moscou, dirigé par Anatoly Levine, se tire à merveille de tous les pièges de la partition et brille des mille feux requis par une écriture détaillée pour chaque instrumentiste.
Pour les voix, c'est une autre histoire. L'ensemble des chanteurs et chanteuses fonctionne comme une troupe de théâtre, ou une compagnie de danse, privilégiant la vérité psychologique et la cohérence du groupe, à la virtuosité individuelle. Ce sont donc plus des comédiens qui chantent, et parfois récitent, psalmodient, crient, ou même hurlent à la mort (dans cette liberté parfois chaotique, l'oeuvre annonce autant Zimmermann que Ligeti)...
Il faut dire aussi que la mise en scène (de Boris Pokrovski) ne leur laisse pas le temps de paufiner des contre-ut. Changeant de costume directement sur scène, ils multiplient à leur tour les cocasseries burlesques, les exagérations proches des films muets, dans les déplacements, les mimiques, les interactions. Sans surtitres ni livret, l'action se suit cependant sans trop de problèmes, par leur jeu et par la musique.
La Cité de la Musique donnant des opéras, cela restera sans doute rare, la salle n'est pas vraiment adaptée. Beaucoup de fauteuils condamnés, l'orchestre installé devant la courte scène, les contraintes sont nombreuses. Mais les privilégiés ont pu découvrir un Chostakovitch étonnant, plein de verve et de gouaille, profondément russe, jeune chien fou, que la férocité du régime calmera rapidement...

Mise à jour : La radio.blog "Pot Pourri" propose des extraits des quatre premières symphonies de Chostakovitch.

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