Angelin Preljocaj - Empty moves, Noces (Théâtre de la Ville - 9 Avril 2006)
Empty moves
La bande son est déjà extraordinaire. En 1974, John Cage prend le texte "Du devoir de désobéissance civique" de David Thoreau, et par opérations mathématiques et jeux de hasard, en dérive une suite de phonèmes et bribes de phrases, où tout sens ne peut que disparaître. Invité en 1977 à Milan, il y récite ses syllabes insensées, plus ou moins séparées de silences, accentuées d'un peu d'effets électroniques. Le public italien manifeste sa surprise puis son exaspération, dans une montée de bruits divers, d'applaudissements interruptifs, de jurons imprécatoires, de plus en plus violents. Il est certain que c'est là la réaction attendue par Cage, qui continuant impertubablement son éprouvante lecture "désignifiante", laisse le public faire sa part du spectacle.
Comment danser sur une pareille bande son ? Preljocaj utilise un quatuor, deux hommes et deux femmes, qui décline avec une inventivité admirable un vocabulaire somme toute assez classique de positions et de mouvements, délivrés dans un tempo plutôt lent, sans jamais aucun signe d'esbrouffe. Les costumes eux-même refusent tout apparat, tee-shirts et maillots moches, scène sans décor, lumière neutre.
On peut beaucoup réfléchir pendant cette pièce : la musique de Cage renvoie à Cunningham, l'absence de tout indice de narration aussi, mais les costumes dans leur banalité sont plus européens ; de là, quelle part de théâtre doit intégrer la danse, la modernité est-elle plus chez Bausch ou chez Cunningham, et pourquoi pas élargir le débat, quel a été et quel doit être le rôle de l'avant-garde, de la provocation au public, comment celui-ci peut-il ou doit-il réagir, etc.
On peut aussi se contenter d'admirer la beauté de ces danseurs et danseuses, de ces mouvements précisément écrits et à la trompeuse simplicité, du renouvellement des figures qui se fondent, s'engendrent, se dérivent, dans une lente et continue métamorphose avant de revenir au point d'origine ; et goûter à quel point du corps lui-même, s'exhale presqu'inévitablement, dès lors qu'il se meut, une bienheureuse sensualité.
Noces
Là, c'est du répertoire. Aussi bien la musique, de Stravinski (bien sur), que la danse, écrite en 1989, déjà captée en vidéo et maintes fois reprise. Quelques bancs forment le décor, censés évoquer une salle des fêtes, mais j'y vois toujours plus un vestiaire de salle de gym... Lumières extraordinaires, en faisceaux croisés pour pénombre de cathédrale, en spots abrupts cloisonnant les couples... La danse est plus explosive, secouée par les percussions et nourrie de la rencontre choc entre les hommes et les femmes, qui parfois se frottent tendrement, puis se maltraitent avec enthousiasme. Des mannequins de mariées prolongent les sévices subis, dans des émotions qui touchent le morbide ; Thanatos flotte en-dessous du maelstrom rythmique et du chaos chorégraphique. Une fois les pantins accrochés (sacrifiés ?) aux bancs renversés, où ces maris conduisent-ils leur femme, les yeux fermés ?
Et après tant d'émotions (5 spectacles et sorties en 6 jours, semaine chargée), un chocolat chaud en charmante compagnie permet de se préparer à quelques semaines bien vides (prochaine date : 4 Mai !).
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