dimanche 4 décembre 2005

Dans la nuit - Louis Sclavis (Cité de la Musique - 3 Décembre 2005)

Dans le cycle "Musique/Cinéma", voici un film muet de 1929, unique long métrage de Charles Vanel, accompagné par la musique composée par Louis Sclavis et jouée en directe par lui et ses compagnons.

Le film "Dans la nuit" raconte un drame social et onirique : un ouvrier, quelques mois après s'être marié, subit un terrible accident de travail qui le défigure ; malgré le masque qui cache ses cicatrices, il révulse désormais sa femme, qui se jette dans les bras d'un autre ; entre mari et amant, qui se retrouvent tous deux portant le masque, l'un tuera l'autre, mais lequel ?
Ce film est étonnant, par son mélange de genres, entre l'évocation réaliste de l'usine, le lyrisme fiévreux du mariage et de la fête, puis le cauchemar de ce couple qui se fait horreur, les atmosphères de plus en plus nocturnes (le mari a du prendre un travail de nuit), et la fin (tout cela n'était qu'un rêve, qu'ils sont bêtes, les rêves !), qui serait un insupportable cliché aujourd'hui, mais en 1929 sans doute pas ; par ses détails insolites, une vieille à la fenêtre, une poule dans la cour, les enfants instigateurs de l'accident, puis dangereux témoins potentiels de la fuite ; par ses inventions formelles, le jeu thématique des masques (portés par des collègues farceurs lors de la nuit de noces, puis elle couvrant par jeu son visage d'une serviette), les positions des caméras parfois acrobatiques dans le manège ou la balançoire, les ombres et les lumières...

Pour accompagner le film, cinq musiciens :
- le plus discret, Vincent Courtois, au violoncelle joué à l'archet ;
- pour tenir le rythme, tout repose donc sur François Merville, aux percussions (pour les épisodes dans l'usine) et marimba (beaux interludes poétiques quand le film s'enfonce dans la nuit) ;
- à l'accordéon, Jean-Louis Matinier propose des plages presque abstraites, atones, statiques, mais plonge aussi dans les flonflons populaires quand il le faut ;
- au violon, Dominique Pifarély ose le tragique virtuose, le sentimental exacerbé, dans des envolées magnifiquement émouvantes ;
- enfin, Louis Sclavis, aux clarinettes et saxophone, navigue entre les divers climats, mélodies populaires, airs de fêtes, ou abstractions plus froides.

Film oblige, ils jouent dos au public, regardant l'écran, et sur partition, très écrite, pour coller aux épisodes. Musique très belle, à l'instrumentarium original, permettant de subtiles variations de couleurs. Musique intelligente aussi, qui met en valeur certains aspects du film, des coupures fines (entre aller à contre-courant d'une foule puis se laisser entraîner par elle ; entre s'étourdir de la fête puis s'y sentir mal), des rappels et des prévisions par le biais de leitmotievs (le masque, par exemple).

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ajoute d'autres exemples de musiques réalisées récemment pour des films muets, le groupe "In The Nursery" qui y consacre sa collection "Optical Music Series", et le groupe "Cinematic Orchestra" pour un autre chef d'oeuvre de 1929, "L'homme à la caméra".

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