John Scofield et Bugge Wesseltoft (Cité de la Musique - 30 Novembre 2004)
D'abord il y a le rythme. Un DJ, un batteur, un percussionniste, plus Bugge Wesseltoft qui lance des séquences de boite à rythme, cela fait une belle densité. Mais ce n'est pas la démonstration de puissance de feu qui est visée, plutot une certaine qualité d'environnement sonore, fait de multiples couches qui se croisent et s'emboitent. Cette musique est une couverture chaude dans laquelle on s'emmitouffle jusqu'au risque d'étouffer, un bain agité mais accueillant dans lequel on s'enfonce au risque de perdre pied. C'est la jungle, la rivière qui entraine, le feu qui couve mais ne brule pas.
La première heure est un petit miracle pour moi. Cette musique m'aspire et me recueille, je la sens comme totalement naturelle et instinctive, je devine quand, à force de se densifier, il lui faut s'éclaircir, quand, à force d'accélerer, il lui faut ralentir. Mains agitant sur mes genoux une couche rythmique supplémentaire, corps balancé dans le flux, insoucieux du ridicule aux yeux de mes voisins, je me laisse aller, glisser, plonger dans cette moiteur profonde comme le bercement de l'océan.
Les grands bonheurs ne sont pas éternels. Un morceau au rythme plus monolitique, une ambiance moins captivante, et me voilà rejeté sur la rive, à regarder passer les notes.
La troupe réunie par Wesseltoft ne brille pas par la virtuosité technique. Les solos, de basse, de batterie, de percussion, n'ont qu'un intérêt limité, et Bugge lui-même, bien que capable de jolis moments au piano, préfère, bondissant comme un lutin monté en graines entre ses machines et claviers, se concentrer sur des travaux plus ingrats, comme de sampler live ses camarades, et de réinjecter en les triturant ces boucles, brouillant les limites, aidé par le DJ, empéchant en définitive de pouvoir distinguer entre éléments pré-enregistrés et notes jouées réellement sous nos yeux.
Et John Scofield ? Planant au-dessus de ce marécage de rythmes enchevétrés, de morceaux de mélodies, d'ambiances denses, il se contente parfois de gratter sa guitare, mais se lance souvent dans de larges traits gorgés de blues, plongeant parfois dans des sonorités plus aigues, saturées, aigres, qui complètent bien le son Wesseltoft. Il y a de part et d'autre un plaisir évident de la rencontre d'univers, peu évidente à bien gérer, les musiciens de ce groupe n'étant pas très compétents dans les questions/réponses virtuoses habituelles dans les dialogues entre jazzmen.
Pour nous accompagner dans le voyage, un vidéaste projette sur grand écran derrière la scène des animations plutot réussies et en phase avec la musique, oiseaux électroniques démultipliés, silhouette ralentie ou décalée de Scofield dansant sur sa guitare, ou formes géométriques parfois trop proches de Winamp.
Les morceaux de plus d'un quart d'heure se succèdent, avant une courte pause, puis un intermède où Scofield joue "Crying Time" de Ray Charles, berceuse sypathique mais un peu anecdotique, accompagné par Bugge à l'orgue d'église minimaliste. Après quoi la troupe entière revient. Replonger dans le fleuve n'est pas évident, et certains ont pu rester au bord tout du long. Dommage pour eux ! La chaleur douce mais irradiante de ce concert m'a nourri d'un grand bonheur. Merci, les gars.
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