Etre en vacances est aussi l'occasion d'aller à des concerts un peu au hasard, juste pour le lieu ou quelques noms, et de se laisser du coup surprendre.
Chaque soir de ce festival de trois jours se rencontrent des gens après plus ou moins de préparations, pour de la musique essentiellement improvisée, mais qui refuse de se limiter au terrain du Jazz, ou à quelque terrain que ce soit d'ailleurs. Certaines séquences sont une réussite magnifique, d'autres moins, et c'est ça qui est bien.
Miguel Benasayag
On commence par un peu de parlotte théorique, d'abord une présentation du festival, sa prise de risque, sa nécessité, ses sponsors, etc., puis un entretien avec Miguel Benasaysag, pour son livre "Résister c'est créer Créer c'est résister" ; résister à l'asservissement des passions tristes est une nécessité vitale dans nos sociétés qui ne se nourrissent plus que de peur et de défiance, et pour cela il faut non pas simplement s'opposer à un ennemi guère discernable, mais créer, proposer, inventer, se placer sous le signe de la joie. Bon programme !
Akosh S., Jörg Müller
Du fond du théâtre plongé dans le noir surgissent deux sons qui peu à peu se rejoignent au centre de la piste, le saxophone âpre, rustique, presque primitif, de Akosh S., et une réponse en conque marine par Jörg Müller qui l'abandonne pour détacher cinq tubes suspendus qu'il fait parfois sonner puis tournoyer. Magnifique rencontre, de nature circacienne. L'effet produit par ses tubes accrochés très haut, et qu'il fait tourner autour du saxophoniste immobile et improvisant calmement, ressemble à ceux d'une jonglerie, complexité croissante des figures, prise de risque qui semble même physique, ébahissement progressif devant la simplicité du matériel et la variété des variations obtenues. Il peut, tout en les relançant encore et encore, les rendre silencieux, ou les faire résonner (une bague métallique je suppose), pour donner un substrat harmonique, que Akosh S utilise, ou pas. Cette rencontre me fait penser aux "Chinoiseries" de Mathilde Monnier autour de Louis Sclavis, un de mes premiers chocs chorégraphiques. Magique.
Décrochés brutalement, les tubes se fracassent sur le sol puis sont trainés en coulisses dans un chaos bruitiste tout aussi réjouissant.
Serge Pey Solo
C'est le gros point faible de la soirée. Ce poète vient lire quelques pages, en les accompagnement sommairement de bruitage percussif. Je n'ai aimé ni le texte répétitif et prétentieux ni le ton déclamatoire et forcé ni l'accompagnement trop rudimentaire pour être qualifié de musical, et ces litanies m'ont semblées interminables. Je n'ai même pas pris de photos, c'est dire.
Elise Caron, Edward Perraud
La rencontre de deux pyrotechniciens. Lui est autant batteur que percussionniste, et ajoute encore des effets électroniques. Elle passe par toutes les voix, fillette geignarde, chamane exotique, diva d'opéra, elle yaourtise en français anglais ou allemand, et elle joue aussi de la flute. Mais de tout cela jaillissent de belles gerbes d'étincelles sans que pourtant ne naisse un incendie. Les discours sont trop hachés, ils ne prennent pas le temps de trouver un terrain commun, et lui surtout balance continuellement de nouveaux sons, de nouvelles idées, de nouveaux défis, qu'elle relève souvent avec bonheur, mais cassant du coup ce qui était en train de s'installer. Ce zapping tue l'émotion, dommage.
Eric Elmosnino, Serge Teyssot-Gay
L'acteur interprète de Gainsbourg au cinéma, et le guitariste de "Noir Désir" : nous ne sommes plus dans le Jazz. Elmosnino nous lit des pages de Maïakovski. Mais sa voix est constamment menacée d'être submergée, et l'est souvent, par la guitare de Teyssot-Gay, qui commence par frotter les cordes avec une bouteille ou une baguette, mais d'autres guitaristes improvisateurs sont incomparablement plus intéressants dans ce domaine, et il me convainc plus quand il passe à un jeu plus "classique", quoique toujours saturé de bruits. Au-dessus de cette lourde pâte sonore éclatent par moments les tourments amoureux et métaphysiques de Maïakovski, crachés par un Elmosnino enfiévré. L'équilibre permettant de comprendre le texte n'est que rarement trouvé, mais cela fait peut-être partie du concept.
Labyala Nosfell, Médéric Collignon, Peter Corser, Edward Perraud, Grégory Feurté
Après l'entracte, l'attraction principale de la soirée, avec de gros clients. On sent que ce groupe là, même éphémère, s'est plus préparé : tout est de nature improvisée, mais les climats se mettent en place puis évoluent à une allure correcte, il y a des points de convergence, un accord général sur le type de musique à produire.
Edward Perraud s'est un peu calmé. Il laisse plus les choses s'installer, et utilise son appareillage de batterie synthétiseur pour mettre en place des couches de basse. Le saxophoniste Peter Corser apporte le plus de stabilité à la réunion, restant dans un registre mélodique, sans pourtant sembler hors du coup, par rapport à des camarades plus Free. En effet, Médéric Collignon se déchaine, à la trompette et à la voix. Et trouve avec Nosfell un partenaire pour lui répondre dans les scats délirants, où ils jouent et rivalisent dans des joutes spectaculaires. Quand il ne produit pas de musique, Nosfell saisit l'espace scénique, dansant, rampant, seul ou en duo avec le dernier lascar, Grégory Feurté, artiste circacien là encore, sur mât chinois, planté au milieu pendant l'entracte.
C'est intense. Ambiances souterraines, grondantes d'énergie. Beauté du type convulsif. C'est du lourd qui fait du bien. Au salut final, Feurté a disparu, du coup c'est Collignon qui s'empare du mât chinois, bientôt suivi de ses camarades. Ce type est fou, mais c'est pas nouveau !
Ailleurs :
Un set de photosSpotify :
Akosh S Unit - Nap Mint Nap,
Return of the New Thing où joue Perraud,
Serge Teyssot-Gay - On Croit Qu'On En Est Sorti ...