mercredi 15 novembre 2023

Jeanne Added - By Your Side (Philharmonie de Paris - 3 Novembre 2023)

C'est le premier concert de Jeanne Added dans le cadre de sa carte blanche à la Philharmonie cette année (elle reviendra deux fois), et elle commence par le plus habituel, présentant son dernier album, et un peu plus. En effet, deux heure trente n'est pas une durée classique pour elle, et pour habiter cette durée, elle a clairement découpé la soirée en trois parties, avec, et c'est la première fois que je la vois faire cela, des changements de tenue !

jeanne added à la philharmonie le 3/11/2023

On commence par une version un peu plus courte et un peu plus pêchue des concerts qu'elle a donnés l'an dernier pour la sortie de l'album (un des concerts tombés dans la période de silence de ce blogue). Même tenue noire, pantalon et haut moulant, même dispositif scénique avec des escaliers montant à un long balcon surplombant les musiciens poussés sur le bord de scène, mêmes chorégraphies avec les deux choristes. Elle enchaîne les morceaux les plus énergiques, positifs et dansants, parfois en medley, ou juste un peu allongés mais sans grands changements par rapport aux versions studios. C'est fichtrement efficace, et c'est impressionnant comme elle a construit en quelques années une ribambelle de tubes. Galvanisant et jouissif. Et fin du premier acte.

jeanne added à la philharmonie le 3/11/2023

Elle revient tout en rose, en robe avec de longues manches, mais en latex (ou genre latex). Girlie but queer ... Et rapidement, en chantant du Sinéad O'Connor (un titre que je ne connaissais pas), elle descent de scène, traverse la foule du parterre, s'installe sur une petite estrade au milieu du public, troque sa guitare électrique contre une guitare sèche, et se lance, en compagnie des deux choristes et de la claviériste dans une session acoustique, pleine de reprises, des titres les plus émouvants et lents, demandant à un moment au public de lui souffler les paroles, c'est détendu, intime, très touchant.

jeanne added à la philharmonie le 3/11/2023

Pour le troisième acte, retour sur scène, où les musiciens alignés prennent plus de place, et où les morceaux ont le plus été retravaillés, souvent plus secs, plus tranchants, plus longs. Un "It" puissant et rageur. Une version de "Lydia" de référence. Une énergie qui vient des tripes et qui donne envie de hurler. Un set sombre et lumineux, bouleversant. 

jeanne added à la philharmonie le 3/11/2023

Et c'est déjà la fin. Un titre en plus, comme ça, a cappella, je ne sais plus lequel, avec toute la troupe (désolé, pas de livret distribué, je n'ai pas trouvé leurs noms) et c'est terminé. 

Un concert somme, qui fonctionne comme un marqueur d'étape, déployant un univers musical mais aussi scénique, une ambition artistique et le plaisir de communiquer avec son public, qui trouve dans la grande salle de la Philharmonie (pleinement remplie) sa jauge idéale (et un son parfait).

Certains des concerts de sa nouvelle carrière souffraient d'une alternance un peu trop rapide entre les moments chauds et froids, lents ou rapides, entre le fun et le poignant. Ce soir, la division en parties bien distinctes permet de creuser successivement chacun des climats, et cela fonctionne à merveille. Sans doute son meilleur concert (post Jazz), et qui fera date.

Spotify : J'ai récupéré la liste des morceaux joués, qui montre que mes souvenirs sont déjà trompeurs ; pas grave, dans ces chroniques, la sensation m'est plus importante que la vérité. J'ai transcrit cette setlist en playlist.

lundi 13 novembre 2023

John Zorn - Masada & Beyond (Philharmonie de Paris - 2 Novembre 2023)

New Masada Quartet

A l'approche de ses 70 ans, John Zorn s'est offert une nouvelle version de son légendaire quartet, en changeant tout le monde, sauf lui-même. Si Jorge Roeder à la contrebasse et Kenny Wollesen à la batterie apportent certainement leur couleur particulière, le changement le plus visible est d'avoir échangé un trompettiste contre un guitariste - Julian Lage. Cela permet d'élargir le spectre musical, qui puise dans le même corpus musical, ritournelle klezmer que les stridences soudaines du saxophone font flamboyer, chaos ordonné de la main de Zorn qui guide les brusques arrêts et départs, berceuse, que sais-je, et puis soudain surgit un blues, que la guitare rend âpre et suintant bien comme il faut. C'est tout pareil que le prermier Masada, mais en différent, et on s'y sent chez soi, mais avec une nouvelle déco. Assez jubilatoire, en fait.

new masada quartet

Heaven and Earth Magick

C'est un quatuor bien coupé en deux. Aux extrémités, le pianiste Steve Gosling et la vibraphoniste Sae Hashimoto jouent sur partition, un jeu de boucles avec des ruptures, assez raffiné. Et au milieu, le batteur Ches Smith et le contrebassiste Jorge Roeder malaxent à l'improviste des rythmiques concassées. C'est  intéressant, on ne s'ennuie pas, mais je ne me relèverai pas la nuit pour ça.

heaven and earth magick

Simulacrum

On passe à du plus brutal. John Medeski à l'orgue, Matt Hollenberg à la guitare, Kenny Grohowski à la batterie. Du son lourd, mais finalement pas tant que ça. Le guitare joue parfois au bassiste, mais ne sature jamais vraiment. Le batteur pourrait remplir bien plus fortement son espace, et la frappe est souvent plutôt lente. C'est Medeski à l'orgue qui me semble le plus véhément. Bon, c'est  intéressant, on ne s'ennuie pas, mais je ne me relèverai pas non plus la nuit pour ça.

simulacrum

Spotify : Tzadik est revenu sur Spotify ! Je préfère le premier disque du New Masada Quartet au deuxième volume. Et Zorn affiche en 2023 une moyenne d'un nouvel album par mois ...

Ailleurs : Damien, qui aussi explique ici pourquoi le livret annonçait une Barbara Hannigan absente sans qu'on nous en dise un mot : elle était bien prévue, mais a chanté la veille la pièce prévue pour ce soir.

mercredi 1 novembre 2023

Nederlands Dans Theater – Tao Ye / Sharon Eyal & Gai Behar (Théâtre de la Ville - 21 Octobre 2023)

 Tao Ye - 15

15 danseurs et danseuses forment un triangle sur scène, et répètent une même phrase chorégraphique très énergique, avec frappes de corps et cris, tous synchrones, tous habillés pareil, les individualités presque complètement gommées (même si la position fixe des interprètes dans le triangle crée de facto une hiérarchie, avec un meneur en pointe et ceux du fond quasi invisibles depuis ma position dans le bas de la salle).

La musique adopte exactement la même démarche que la danse, elle évolue lentement, gardant son caractère de transe, et impulse ou suit les modifications chorégraphiques : passage au sol, puis de nouveau debout, performance physique remarquable de toute la troupe. Le plus grand changement a lieu vers la fin, où les interprètes glissent le long des cotés du triangle, brisant ainsi la hiérarchie évoquée précédemment.

C'est plus impressionnant qu'émouvant, cela dit. Une démonstration de force, mais qui porterait quel discours ?

Nederlands Dans Theater – Tao Ye / 15

Sharon Eyal & Gai Behar - Jakie

La scène est tout aussi vide que précédemment, mais il y a un jeu sur les lumières plus complexe et subtil, avec du brouillard qui crée des premiers et des arrières plans. On a toujours une troupe, là aussi tous habillés pareils, mais il y a toujours des exceptions, des solistes détachés, et une exacerbation des différences de morphologie : ainsi au départ, on semble voir un géant parmi des lutins. 

Les scènes sont presque oniriques, quoique très physiques et exigeantes, il y a plus de poésie, de mystère, de tensions dramatiques. Je retrouve par moments des sensations forsythiennes de mouvements paradoxaux issus du corps de façon inattendue. Il se pourrait qu'une histoire soit racontée, que je n'ai pas comprise - mais qui m'a happé quand même.

Nederlands Dans Theater – Sharon Eyal & Gai Behar / Jakie

Ailleurs : Jean-Frédéric Saumont