Rachid Ouramdane - Superstars
Sur la scène très blanche, délimitée par de hauts murs en toile tendue, trainent quelques écrans vidéos et mégaphones. Un guitariste, Alexandre Meyer, vient bidouiller quelques branchements, puis commence à jouer, des impros assez variées, en fonction du danseur présent. Il s'agit en effet d'une suite de solos, accompagnés par la voix de l'interprète racontant des souvenirs, d'enfance ou plus récent, liés, pour la plupart, à des bouleversements historiques. Sud-africaine blanche lors de la fin de l'apartheid, Russe assistant à la chute de la société soviétique, Brésilien fuyant son pays ... Les propos, entre intime et Histoire, sont fragiles, émouvants par moments, réveillant des échos (ainsi du Brésilien en exil en France, à qui l'administration, embêtée par l'absence du nom paternel sur le certificat de naissance, réclame une lettre expliquant pourquoi son père a refusé de le reconnaitre, ricochet d'
un des billets les plus estomaquants lus chez Kozlika), ou tombent dans le nawak (une Française avoue sa passion pour Orson Welles ; so what ?!). Les écrans pleins de gros plans ou d'images d'archives se baladent d'un coté à l'autre de la scène, les lumières passent au rouge, il y a là-dedans tout un tas de clichés de danse contemporaine fana d'installation, de pluridisciplinarité, de concept et de discours, qui agace.
Et la danse ? On la sent réalisée en pleine collaboration avec chaque danseur, tant elle colle à leurs corps, et à leur envie de danse. Caelyn Knight, éblouissante de souplesse languide, croisement d'une chatte et d'une algue ; Pavel Trush, explosif, éruptif ; Yang Jiang (qui restera muet, bonne option), impressionnant de précision, de vitesse, de sureté. En général, c'est lent, tranquille, basé sur des gestes répétés, proche du minimal, mais intensément porté par chaque interprète.
Bilan : pas de quoi se relever la nuit, mais on ne s'ennuie pas, et passé le rideau des conventions modernistes, on découvre de chouettes danseurs et danseuses, avec qui on est content de passer un agréable moment.
William Forsythe - Enemy in the Figure
Changement de braquet. Chef d'oeuvre. J'avais vu il y a des années "Limb's Theorem" au Châtelet, cet extrait m'explose en plein coeur. Intense, à couper le souffle.
La scène est encombrée d'une structure courbe, en bois, qui en dissimule une part. La lumière, essentiellement un énorme projecteur sur roulettes promené de tous cotés, plonge souvent de larges portions de la scène dans des ombres épaisses. Autant dire qu'on ne peut pas tout voir. Il y a des couples qu'on devine à peine, des numéros qui nous échappent. Cela crée une tension continuelle, pour attraper le maximum de beauté. Il y en a tant, mais qui affame !
Les bras des femmes aussi, sont des compas, qui découpent l'espace en tous sens, lui donnant son énergie et son harmonie. Mais le mouvement surgit de partout, et entraine tout le corps, et tout l'espace autour. Tout vibre d'énergie, comme ces cordes régulièrement secouées, traversées d'ondes. Caelyn Knight happe l'attention, seule, en couple, en groupe, dès qu'elle apparait, il y a de la magie. D'autres (dont les noms me sont inconnus s'ils n'ont pas participé à la première pièce) sont tout autant éblouissants, un athlétique noir d'une vivacité incroyable, une asiatique qui danse les pieds au mur, un couple découpé en ombres chinoises, c'est une suite d'instants magnifiques en noir et blanc, mais enchainés à toute vitesse.
Sensation rare et précieuse, "je ne veux pas que cela s'arrête", ressentie avec une telle intensité lors du "Ulysse" de Galotta, du "Voyageur immobile" de Genty, quand d'autre ? Cela tient aussi à la musique, du Thom Willems caverneux et bondissant, énergétique, presque agressif mais seulement presque.
Voilà. Ca dure une demi-heure. Si Forsythe est parfois insupportablement intello, chichiteux ou pompeux, il est aussi l'auteur de pièces qui seront incontestablement partie des chefs d'oeuvres de la chorégraphie du XXème siècle. Celle-ci en fait partie.