C'est à l'occasion d'un hommage à Billy Higgins que Charles Lloyd créa ce trio, où priment le rythme et l'échange.
Lorsque les musiciens prennent place sur scène, Lloyd s'asseoit, comme un vieillard un peu fatigué ; Eric Harland derrière sa batterie, et Zakir Hussain derrière ses tablas, s'accordent le temps de réveiller leurs instruments, échangent quelques phrases rythmiques, qui peu à peu se densifient ; quand Lloyd se lève pour les rejoindre, et démend par ses balancements et sa rapidité l'impression initiale, la texture est bien établie, et le voyage commence.
Trois musiciens, mais de multiples possibilités. Lloyd varie entre saxophone, flûte (où prédomine la partie basse, plus onirique et flottante que champètre et brillante), et tarogato ; sans oublier piano, voix, ou batterie même, quand Harland l'abandonne pour à son tour se mettre au piano. Hussain lui reste sur son estrade, mais mèle à ses tablas diverses percussions, certaines mélodiques. Et il chante, également. Harland aussi, d'ailleurs. Cela donne des moments d'échange, de passages, assez extraordinaires. Lloyd au piano, rejoint puis remplacé par Harland. Une sorte de trio vocal, Lloyd récitant, Hussain lyrique et mystique, Harland fournissant une basse aux résonnances diatoniques. Harland nous offrant un icroyable solo de batterie inspiré par les techniques indiennes (alternance des vitesses "moyenne", "rapide", "très rapide" ; répétitions avec variations et complexifications ; construction de lignes rythmiques à la manière d'un discours ...), où il joue avec les attentes du public, et avec Hussain, qui tentera de lui répondre pareillement (solo de tablas avec des techniques de batterie, malheureusement bien moins passionnant).
Le point faible sera sans doute le jeu de Charles Lloyd, qui me semble toujours rester dans la même densité de notes, où les lignes mélodiques sont fondues en une masse fluide mais un peu trop semblable d'un morceau à l'autre. Le solo final, en dernier bis, seul sur scène, après près de deux heures, y faisant exception, mélodies plus épurées, moins étouffées par les ornementations proliférantes, mais sans me transporter non plus.
Le point fort, c'est l'échange entre les musicens, particulièrement Hussain et Harland, constamment à se surprendre l'un l'autre, à s'amuser, tout en prenant très au sérieux la musique produite : elle possède sa dose de sacré, le jeu n'est jamais futile. Et entre les doigts magiques de Hussain, qui fait vibrer les peaux de telle manière qu'on a peine à croire parfois qu'il n'y a là que le résultat de ses deux mains, tant est riche la polyphonie, et les baguettes de Harland, capable de me laisser béat d'admiration juste par la manière d'exploiter une cymbale pour piloter un groove majestueux, les moments de communion et de transcendence seront nombreux et féconds.
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