L'Armée des Singes - 15h
Après la présentation de l'association "Apsara" et de sa présidente, mise en avant comme une future canonisée, une danseuse fait une démonstration des mouvements de main, et des exercices d'assouplissements requis par la danse classique khmère. La musique se met peu à peu en place (percussion seule, plus xylophone, plus flute, plus un second xylophone, plus enfin du chant !), et le vrai spectacle commence.
C'est un extrait du Reamker, version khmère du Ramâyana, foisonnante histoire d'amour entre le prince Râma et la belle Sitâ. Dans cet épidode, le singe Hanuman, serviteur de Râma, doit délivrer Sitâ, prisonnière sur une ile. Comme son armée de singes construit une digue vers l'ile, il rencontre la sirène Suvan Machha. Ils tombent amoureux, et ont un enfant, Machanub. Hanuman, ne reconnaissant pas ce fils, le combat, mais la mère les présente l'un à l'autre, et tout finit bien.
Cette pièce est jouée par des enfants, recueillis et éduqués pas l'association Apsara, manière pour eux de regagner une identité, personnelle et culturelle. Nous sommes du coup dans de l'amateurisme, même s'il est de haute volée.
La danse offre un contraste entre les singes (joués par les garçons, masqués, cabriolant et se grattant les puces), et les poissons (joués par les filles, croisant et décroisant leurs trajectoires, avec des gestes qui, je le verrais plus tard, sont une simplification du vocabulaire traditionnel de la danse khmère).
Les costumes sont très beaux, très ornés ; la musique, basée sur des boucles rapides aux xylophones, pourrait être très répétitive mais se ressent plus comme une rivière de notes, cadencée par un percussioniste excellent, qui élabore des rythmes assez complexes (il jongle entre plusieurs instruments, jouent des contre-temps, ne s'enlise jamais dans des cycles simplement répétés) mais qui savent rester très naturels, très satisfaisants, évitant l'approche théorique et intellectualiste des talas indiens. Une flute puisamment nasillarde et quelques chants, viennent parfois orner ce canevas.
Le spectacle est proposé aux familles avec enfants à partir de cinq ans. C'est une bonne indication de son caractère : vif, simple, plaisant, fort sympathique.
Danse des paons - 19h
Les mêmes enfants jouent cette démonstration de danse populaire, dans une sorte d'apéritif gratuit au grand spectacle du soir. La musique est rythmique et chantée, fruste, répétitive, mais efficace. Malheureusement, pendant plus d'une demi-heure, la foule nombreuse empèche de voir quoi que soit, parce que la scène installée à l'entrée est ridiculement petite. Finalement ils se décident à faire bouger la troupe dans l'allée musicale. Les enfants paradent, déguisés en paons, ou mimant des manoeuvres de séduction, puis tentent avec un relatif succés d'entrainer dans la danse les spectateurs heureux.
Preah Sothum - 20h
Voilà de la vraie danse de cour, avec son apparat et ses délicatesses subtiles : rutilance des costumes, cousus d'or et de diamants, magnificence de la musique, qui offre le même instrumentarium que pour l'armée des inges, mais amplifiée, opulence du Ballet Royal (26 danseuses, 3 danseurs).
Tout est dans la sinuosité, le ralentissement, et les infinis variations. Les danseuses semblent flotter dans un temps incertain, dans un monde onirique, baigné de lumière tamisée et de mystérieuse fumée. Les visages restent impassibles, tendance Joconde, les doigts constamment retournés, se plient de mille manières, les jambes sont le plus souvent légèrement arquées.
Et nous sommes dans un récit chevaleresque d'amour compliqué d'obstacles et d'épreuves. Le livret indique que les chanteuses expliquent et commentent l'action. Mais pourquoi n'ont-ils pas mis de sur-titrage ? Du coup, un grand paquet de scènes sont incompréhensibles et peu intéressantes. Toutes ces réunions dans une grande salle de palais, presque statiques, et où la musique elle aussi se soumet au texte, deviennent des moments creux, où l'admiration des costumes ne tient qu'un moment. On aurait aimé mieux comprendre les allers-retours entre le palais et la forêt (des ombres projetées font office de décor ; joli et efficace), où le rôle de ce vieil homme, personnage de théâtre, qui ne danse pas. Sans explication, on subit l'intrigue, c'est frustrant.
Quand les danseuses reviennent, la beauté s'impose. Les scènes dans la forêt baignent dans une féerie magnifique, et les danseuses défilant dans le clair-obscur semblent des sculptures devenues chair.
C'est vraiment dommage que les organisateurs n'aient pas pensé au sur-titrage. Le public dépassait largement la sphère cambodgienne.
Cérémonie arak de guérison - 22h30
Dans la rue musicale, de grands pans de bois et de tissus ont été installés pour bricoler une salle de réunion traditionnelle, recouverte de tapis, avec un autel planté d'encens et surmonté d'un parapluie.
Des musicens commencent l'office. Pas de xylophone cette fois-ci, mais des luths et des vièles, qui donnent une musique beaucoup plus primitive, et plus étrangère à nos oreilles occidentales ; on est assez loin de nos modes harmoniques habituels.
Une femme médium entre ensuite en scène. Ce n'est pas de la transe spectaculaire. Elle s'imprègne de la musique et de la fumée d'encens, puis peu à peu se met en mouvement, choisit parmi quelques accessoires un long foulard, qui doit correspondre à l'esprit qui prend place en son corps, qui doit être un esprit bavard : elle se met à soliloquer de plus en plus rapidement, prise dans des grimaces et quelques tremblements ; quand la possession est suffisament complète, des spectateurs, entrainés par la troupe des enfants Apsara, viennent en ligne recevoir la bénédiction vaporisée de la médium.
Plus tard, elle reçoit une autre possession, plus guerrière apparement, puisqu'elle brandit un long sabre de carton. Parmi les musiciens, le chanteur se met à discuter avec elle, de manière sans doute plaisante, puisque quelques cambodgiens dans le public éclatent de rire.
Le problème avec ce genre de spectacle, c'est justement que c'est un spectacle, alors que c'est supposé être une cérémonie de nature religieuse. Un médium peut-il être possédé "à la demande", et feindre une telle rencontre n'est-il pas un manque de respect envers ceux qui y croient ? C'est intéressant, mais il y a quand même un fond de malaise.