Ne reculant devant aucune innovation, l'Ensemble InterContemporain, après son blog Musicaréaction, a ouvert un compte Youtube pour y déposer des vidéos.
On y trouve de l'ancien (relativement ...)
et du nouveau en répétition,
du plutôt calme
et du un peu plus agité
(je crois qu'un volume Yann Robin est prévu dans la collection "Sirènes" de Kairos).
Voici un compositeur que je pense n'avoir jamais entendu en concert, et dont je ne connais que ce disque. Le livret en est d'ailleurs fort atypique pour cette collection : aucune biographie (rien donc sur les influences, le parcours, les évolutions du style, etc.), uniquement une analyse des oeuvres, et en plus rédigée de manière moins technique, plus poétique, que d'habitude.
La Terre Habitable
Le premier morceau est de loin le plus gros : 40 minutes, 5 parties, 3 groupes instrumentaux. Je ne connais pas les textes inspirateurs de Julien Gracq, qui donnent les titres aux mouvements.
"Les Eaux Etroites" expose le matériel musical du cycle complet. Les 3 groupes instrumentaux sont utilisés, si bien que l'ambiance oscille entre musique chambriste (il y a même une presque cadence pour piano) et musique orchestrale. Une impression d'équilibre, ni trop rapide ni trop lent, ni trop virtuose ni trop trivial, s'impose.
"Aubrac" par contre s'engonce dans la lenteur, dans l'instant qui se fige, traversé d'éclats fugaces mystérieux. Seul joue le groupe instrumental "B". Pour donner une idée du livret, rédigé par Alain Franco, en voici un extrait : "La notion de continuité y est toujours paradoxale, puisque les figures rythmées nous disent surtout combien le temps ne passe pas, tandis que l'audition pure de temps (les lianes sonores) produit un effet d'étalement, à l'image d'une tache d'encre sur un buvard".
"Les Hautes Terres de Sertalejo" est une séquence de réveil, après l'engourdissement d'Aubrac. L'orchestre entier se secoue en une courte transe frénétique qui s'achève dans un grand tremblement.
"La Presqu'Ile" utilise les groupes "A" et "C" (le négatif d'Aubrac, donc). Cela sonne presque par moments comme un concerto pour violon. A d'autres, comme une juxtaposition de phrases prononcées tour à tour, sans qu'on puisse dire qu'il y ait vraiment dialogue. Le livret de nouveau : "l'accélération semble essentiellement intérieure, comme si le territoire à circonscrire faisait l'objet d'une inquiétude quant à son étendue réelle et comme si persistait un doute quant à la volonté d'aller jusqu'au bout de son exploration".
"Liberté Grande", en tant que dernier mouvement d'un cycle, se doit de le reparcourir en l'unissant, tout en offrant une nouvelle vision. J'y repère effectivement des éléments déjà entendus. Mais si je comprends quelques-unes des intentions, si je sens la structure de l'oeuvre, j'ai bien du mal à m'y intéresser. Il me manque quelque-chose, un élément qui focaliserait mon attention, qui exciterait un peu de passion. En l'absence de cet élément, j'écoute sans déplaisir, mais sans vrai plaisir non plus.
Nachtstrahl
On retrouve une formation souvent utilisée au XXème siècle (pour des oeuvres spectrales, entre autres) : flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano. Formation à laquelle s'ajoute une voix, pour un poème de Paul Celan. Commençant en "Sprechgesang" puis passant sans discontinuité à du mélismatique presque extravagant, la mezzo-soprano Katherine Ciesinski a fort à faire, malgré la relative brièveté de la pièce (moins de 10 minutes). Les couleurs instrumentales sont tout aussi contrastées, touches violentes au début (piano percussif, flûte stridente, violon tendu), puis cela s'offre un peu de mélodique, menace de se taire tout à fait, repart en bribes éparses. La voix et les instruments s'accompagnent dans une construction pas à pas, souvent pointilliste, que les amateurs de post-romantisme schoenbergien (à la fois intense et secret) pourront apprécier.
Epitaphe
L'effectif est tout différent ici : grand ensemble et électronique. Le titre indique l'atmosphère générale, lugubre (surtout au début) et solennelle (une impression de rituel), et peuplée de fantômes. Des échos d'autres compositeurs (le livret propose Stravinski, Debussy, Mahler, Webern ...) passent comme à travers un brouillard, par la composition, et par l'électronique, qui nimbent les sons d'une aura nébuleuse. Cela n'empêchera pas des moments de force (choral de cuivres, cadence de piano). Rien de puissamment original ou de révolutionnaire, mais une belle manière, du travail précis et profond, de la beauté. Même si j'ai toujours cette difficulté à accrocher vraiment, à rester concentré sur l'écoute, j'aimerais bien entendre cette oeuvre en concert, où elle doit déployer une présence assez captivante.
Une discussion d'après spectacle me fait craindre d'être passé totalement à coté de cette création. Là où l'un a vu un panorama historique à la 2001, commençant par des singes, passant par une apparition christique, se terminant par une fin du monde, où l'autre a vu une famille légèrement dysfonctionnelle, avec un père absent, une mère trop présente, un fils perturbé par l'arrivée d'un nouvel homme, moi je n'ai pas vu grand-chose. Des corps qui s'agitent plus qu'ils ne dansent, qui se tordent, qui parfois convulsent. Une sorte de théâtre presque sans paroles. Des personnages qui passent d'une émotion à une autre sans que je ne saisisse de scénario général. Des séquences visiblement issues de séances d'improvisation, mais insuffisamment retravaillées, comme laissées brut de décoffrage. Le problème se pose dès le démarrage, avec 5 danseurs et danseuses se présentant au public, donnant leur prénom, puis des surnoms, puis des expressions plus ou moins compréhensibles, mais avec 15 secondes entre chaque mot prononcé, et en recommençant si souvent, que tout de suite j'ai un sentiment d'ennui, et de rejet. Après quoi, je n'arrive pas à entrer dans leur monde. Le plateau est intéressant, avec un tunnel de branchages, une grosse niche dans un coin, une table avec des chaises. Mais j'ai l'impression qu'ils essaient d'y faire tout ce qui est possible : marcher au-dessus du tunnel, y ramper, y courir, s'y accrocher par les vêtements, y disparaitre, en boucher les extrémités ; se disputer l'entrée dans la niche, s'y mettre tous ensemble, poser sur son toit une chaise pour s'y assoir, etc. Mais à part cette énumération des possibles, quel est le sens de la plupart de ces gestes ? Je n'en ai guère vu. Et ça dure deux heures. Ce qui est long, quand on reste totalement en-dehors du truc. Du coup, mes séquences préférées sont celles qui parviennent à me surprendre : un chien empaillé qu'ils essaient de faire courir après un bâton (et y réussissent : il suffit de pousser le chien pour lui faire faire le trajet !) ; deux hommes qui entrent avec des pots de fleur sur la tête, assez poétique et joli dans son esthétique surréaliste. Cela faisait assez longtemps que je n'avais vu (et entendu, merci les fauteuils qui claquent !) autant de spectateurs s'en aller en cours de route. Je ne pense pas que ce soit qu'ils étaient "choqués" ; juste qu'ils s'ennuyaient encore plus profondément que moi. Par contre, beaucoup d'applaudissements enthousiastes à la fin. Disons qu'une partie du public à su entrer dans cet univers, et une partie, pas.
Le dernier anniversaire marqué pour ce blogue, c'était ses deux ans, à l'occasion d'un diptyque d'Akynou. Pas de circonstance particulière cette fois, seule l'envie de marquer un tant soit peu ce quinquennat. Un essai de bilan ? Les tentatives de diversification de la ligne éditoriale n'ont guère tenues, j'ai créé ce blogue pour y garder trace des spectacles consommés, et c'est bien là toujours l'essentiel des billets. La fréquentation a eu des hauts et des un peu plus bas : Et maintenant ? Eh ben, pareil, a priori !
C'est une plage de musique assez extraordinaire, qui commence par de la percussion et le presque silence, d'où s'extirpe, bribe à bribe, hésitante, fragile, menacée, une mélodie, au milieu d'un chaos confus de blocs discontinus.
Jean-Philippe Rameau - Airs et danses d'Hippolyte et Aricie
C'est dommage d'enchainer sur cette suite de pièces, certes fort agréables, bien troussées, vives et joyeuses, mais un peu trop "normales", et surtout trop nombreuses, Pierre Hantaï n'en finissant pas de tourner les pages de son pupitre pour encore un air, puis encore une danse, etc. Le seul moment aussi avant-gardiste que l'ouverture précédente, et qui colle vraiment à la thématique du rapprochement Grisey-Rameau, c'est quand le Concert Français se réaccorde en cours de route ...
Gérard Grisey - Partiels
Cette oeuvre, déjà formidable en disque, gagne encore à être vue en concert, pour apprécier la "fabrication" des sonorités, qui gagnent à la fois en clarté (ah, cette intro grondante et râleuse, c'est de la contrebasse et du tuba ?) et en mystère (mais comment fait Grisey pour mixer ainsi les instruments en quelque-chose d'inouï ?). Susanna Mälkki privilégie, dans sa mise en place sonore, les aspects chambristes, voire solistes. Du coup ressort avec un relief saisissant une partie pour cordes presque seules qui tangue, roule, et peu à peu prend l'eau et chavire ; ou un duo de flûtes qui entraine tout l'ensemble dans leur danse. La fin est très mise en scène, depuis l'apparition des sons parasites (partitions agitées, coffrets de rangements ouverts et fermés, claquements de becs, frottements d'archets ...), jusqu'à Mälkki s'épongeant d'un mouchoir rouge, et la lumière se réduisant à un projecteur braqué sur un percussionniste tendant des cymbales qu'il ne claquera pas.
Gérard Grisey - Modulations
L'effectif, selon le principe du cycle "Les espaces acoustiques", a grimpé, de 18, à 33 musiciens. C'est de la vraie matière orchestrale, et moins marquée en épisodes successifs que "Partiels", plus en transformation continue. Je décide de déguster le morceau en l'abordant comme si c'était un voyage à l'intérieur d'un minuscule morceau de temps, étalé et observé au microscope, révélant des détails fascinants. La présence d'un orgue Hammond permet d'accentuer l'aspect faussement "traitement électronique", en agrégeant un court moment les autres pupitres en une nappe unifiée. Il y a des accélérations et des immobilismes, du respiratoire qui devient de plus en plus aérien, du cardiaque tellurique, et une fin où, aspiré comme dans un tourbillon (un vortex ?), on découvre au coeur de cette goutte de temps un immense paysage spatial.
Jean-Philippe Rameau - Concerts pour clavecin, violon et viole de gambe
Voilà de la musique qui coule comme de l'eau vive, fraiche et désaltérante, avec de petits coins ombreux et doux, d'autres tourbillonnants et scintillants, de soudaines accélérations, des ruptures et des mélodies charmantes. Le clavecin de Christophe Rousset est peut-être un peu trop en arrière-plan, la viole de gambe de Atsushi Sakaï est peut-être parfois à la limite de sa virtuosité, (rien à dire sur le violon de Gilone Gaubert-Jacques), mais le tout est parfaitement agréable.
Gérard Grisey - Vortex Temporum
Cette pièce est vraiment un chef d'oeuvre. Chaque audition en approfondit le plaisir. La première séquence, dialogue flûte et clarinette, m'étonne par des sortes d'écart entre Ophèle et Billard ; quand les cordes s'ajoutent, tous se lancent dans un course toute en puissance, un déferlement sonore qui trouve son apogée dans le solo de piano de Sébastien Vichard, qui me stupéfie par son engagement furieux. J'ai l'impression que l'EIC tient là un digne successeur à Aimard ... J'ai beaucoup plus apprécié la deuxième partie que la dernière fois ; le mouvement des spectres et des harmonies engendre un sentiment d'apesanteur, un flottement où on ne distingue plus le haut du bas, l'aigu du grave, où on se perd dans un paysage spatial assez immense. Par contre, je relache un peu mon attention dans la troisième partie, où on balaie le champ des possibles dans la matrice des contraintes posées par Grisey, en passant par des transformations incessantes d'un point à un autre, mais à une vitesse telle que cela devient un peu un catalogue de processus feuilleté trop vite, et qui s'enchainent comme au hasard.
Dans un espace scénique presque vide, les danseurs et danseuses avancent à la queue-leu-leu, gestuelles à la Nijinski (celui du Faune), costumes amusants et sexys (toques en fourrures, torses nus, cache-tétons dorés pour les hommes comme pour les femmes, pantalons ou culottes), cris d'avant l'invention du langage. C'est beau, surprenant, drôle, à l'image du reste du spectacle. On parle d'Orphée, d'abord, le poète premier, musicien aussi, et puis de son amour avec Eurydice. Heureusement, l'histoire nous est rappelée en cours de route, ce qui permet de comprendre certains détails de la chorégraphie, comme ces serpents, responsables de la mort d'Eurydice, qui s'invitent à plusieurs reprises, pour finir par s'agiter attachés à l'entrejambe des messieurs. La dimension sexuelle est en effet bien présente, comme souvent avec Marie Chouinard. Mais ce qui fait beaucoup de bien par rapport à la scène flamande par exemple, c'est que pour Chouinard, le sexe est ludique, bénéfique, source d'énergie et de joie (et non pas lié au péché, et source de souffrance). Même les scènes d'orgies, où plusieurs couples enchainent les positions, sont pleines de peps, d'amusement, de découverte du corps. L'humour aussi a une place prépondérante. Une danseuse arrive au micro pour tenter de parler, avale sa salive, manque de souffle, bref essaie encore et encore d'échapper une seule parole, finalement renonce ; une course où le premier qui réussit à se retourner a gagné ; une escapade d'une danseuse dans le public, où elle hurle en gesticulant et en grimpant au milieu des fauteuils, tandis que deux collègues restés sur la scène demande instamment aux premiers rangs de ne pas la regarder puisque cela la transformerait en cendres (conseil impossible à suivre, vu l'agitation provocatrice de la belle ...) ; de manière générale, les attitudes, les mimiques, suggèrent constamment une envie de se faire plaisir, de jouer les situations, de ne pas trop se prendre au sérieux. Cela n'empêche pas certains moments plus sérieux. D'une part, des moments de pure beauté visuelle, comme ces hommes en fausse ombre chinoise, montés sur des chaussures à talons, parfois pour les rendre androgynes façon drag-queens, parfois pour les rendre plus virils en accentuant la différence de taille avec les femmes. D'autre part, des moments aux propos sans doute plus graves, mais que j'ai moins appréciés, parfois parce qu'ils étaient peu compréhensibles, comme la récitation à peine audible à cause de la musique des "Profanations" de Giorgio Agamben, avec une chorégraphie très structurée et complexe mais dont je n'ai pas saisi le sens, parfois parce que je ne voyais pas le lien avec le reste de la pièce (des tirs de mitraillettes, par exemple). Seul point vraiment moyen, la musique, qui fait un peu feu de tout bois, de la parodie de musique moyenâgeuse ici, de la fanfare tzigane là, de la presque-techno ailleurs, disons qu'elle est fonctionnelle, écrite spécialement pour la pièce, mais ne m'a jamais vraiment plu. Au final, un spectacle que j'ai trouvé particulièrement tonique, riche en images fortes, en énergie vitale, en plaisirs. Marie Chouinard s'affirme de spectacle en spectacle comme une nouvelle grande chorégraphe, et en plus, une qui ne se morfond pas dans la désespérance ou la critique du monde moderne qui est si terrible ahlala.
J'ai longtemps boudé ce disque, suite à un concert où j'avais détesté "Death of Light / Light of Death". Cette chronique me permet de le redécouvrir !
One Evening ...
Dans cette oeuvre se croisent plusieurs préoccupations majeures de Harvey : la fusion instrument / électronique, l'aspiration mystique, l'Inde. Une soprano et une mezzo-soprano chantent des textes choisis autour du thème du "vide transcendantal", entourées d'un petit ensemble instrumental, élargi par de l'électronique. La première partie, basée sur un texte issu du bouddhisme chinois, commence aux frontières du silence, avant une belle expansion dans des sonorités résonnantes (cloches, harpes, vibraphone), tandis que les voix, d'abord parlantes, fusionnent avec l'électronique dans du monocorde presque statique. Les parties 2 et 3 utilisent une lettre de Tagore, et un texte anonyme américain. C'est une musique très variée, tour à tour lyrique ou bruitiste, désespérée ou tranquillement dansante, virtuose ou minimale. On s'éloigne du mystique, pris dans le flux chatoyant des événements.
La dernière partie, de loin la plus longue, commence dans un souffle électronique, où les deux chanteuses viennent bientôt échanger autour de "Om Namo Bhagavatyai Âryaprajñâpâramitâyai", issu du Soutra de l'Essence de la Sagesse Suprême. Le mouvement est surtout remarquable pour ses multiples accélérations paradoxales, où les rythmes, parfois électroniques, parfois au tabla, deviennent si rapides qu'ils en deviennent une envolée figée, qui se dissout en couleur texturée.
Advaya
Le titre, explique Harvey, vient de l'enseignement bouddhique, et signifie "qui n'est pas deux", pour désigner une dualité transcendante. En fait, c'est un long solo de violoncelle, entouré d'une partie électronique où tous les sons sont issus du violoncelle lui-même (extensions harmoniques, décompositions de spectres, utilisation en percussions, etc.). C'est une oeuvre intéressante, mais que je trouve trop longue, dans un genre où beaucoup a été écrit au XXème siècle. Certains passages sont brillants, voire fascinants, mais d'autres sonnent banals, déjà entendus ailleurs, parfois avec plus d'intensité émotionnelle (je pense à Scelsi ou Saariaho, par exemple), et certaines sonorités électroniques sont devenues tout simplement moches.
Deah of Light / Light of Death
Cinq instruments, et cinq parties, pour les cinq personnages du retable d'Issenheim de Matthias Grünewald. Un hautbois ou cor anglais incarne à chaque fois le personnage, tandis que les cordes (harpe, violon, alto, violoncelle) représentent son contexte. "Jésus crucifié" hurle ainsi sa douleur dans des multiphoniques criards et aigus du hautbois, puissamment expressif et douloureux, accompagné de fusées en trémolos, ou presque abandonné ; "Marie-Madeleine", au contraire, rapidement quasiment disparait sous les agitations frénétiques des cordes ; pour "Marie, mère de Jésus", la harpiste passe au tam-tam (dixit le livret ; moi j'entends comme une sorte de gong !), qui sonne comme un glas, tandis qu'un espace vide se déploie, hanté, livide, où erre la mélodie exténuée du hautbois ; "Jean l'apôtre" a droit à une séquence dansante et aérienne que je m'explique mal ; enfin, "Jean-Baptiste" est déjà ailleurs, ou plus tard, dans une référence à l'éternité qui se sert d'ambiances de Gagaku, un prolongement presque apaisé de la partie "Marie, mère de Jésus". C'est là de la musique ni jolie, ni agréable, mais qui tente d'atteindre l'intensité nécessitée par son sujet (le retable d'Issenheim), et y parvient plutôt. Je ne sais pas pourquoi j'ai tant détesté à la première écoute !
J'ai vu cet opéra il y a ... quelques années, à Paris, en version mise en scène (du moins il me semble ; cette liste des représentations me fait craindre que je confonde avec autre chose !). Je me souvenais de l'histoire, inspirée d'un roman de Jules Verne, qui parle d'opéra et préfigure des enregistrements vidéo en relief, mais absolument rien ne m'était resté de la musique. C'est parce qu'il n'y a en fait rien de mémorable dans cette musique. Sans doute pas stricto sensu tonale, elle est quand même imprégnée d'harmonies, de climats, de couleurs, héritées d'un post-romantisme, mais qui serait en plus anesthésiée, castrée de toute audace. L'oeuvre commence par un "opéra dans l'opéra", qui s'avère fatal pour l'héroïne. Que cet air soit suranné convient fort bien à l'intrigue. Le problème, c'est qu'on ne sent pas la coupure avec la "vraie" musique de Hersant, et quand cet air revient, à plusieurs reprises, elle se fond parfaitement avec le reste, parce que ce reste est tout aussi daté que cet opéra fictif initial. C'est du travail propre, et pro, avec de belles parties solistes, pour violoncelle, pour timbales, pour fanfare de cuivres ... mais qu'est-ce qu'on s'ennuie ! Palpatine me réveille gentiment à un moment, mais je repique du nez rapidement, tant toutes ces mélodies gentiment plates, ces arrangements orchestraux si conventionnels, d'une façon générale l'absence totale de surprises (à part l'intervention d'un magnétophone, et une extinction momentanée des lumières ...), me fatiguent les oreilles.
Je pensais qu'il s'agissait de danse, mais le livret indique qu'il y a une partie Cinéma, et une partie Théâtre. En effet, sur la scène est monté un plateau tournant, au centre duquel est installé un écran, qui présentera essentiellement 10 petits films, avec des prologues et des interludes. Devant cet écran, Wayn Traub gesticule grimé façon Lorne, présente les films et les commente, s'occupe on ne sait pas trop à quoi pendant la projection (à manipuler et déplacer divers objets genre coupes ou poignards d'un piédestal à un autre), et chante. La musique tient une part importante : techno gothique de Jaan Hellkvist, pas vraiment originale mais plutôt réussie, sur laquelle la voix facilement grandiloquente de Traub passe fort bien.
Il y a des moments excellents : - les nonnes asiatiques aux visages blanchis et aux habits noirs aux manches ultralongues, qui esquissent au ralenti des gestes de danses traditionnelles - la chanson où Marie-Madeleine est fusionnée avec Salomé, et est appelée "Mother", pour un mix un brin extravagant mais évocateur d'une sorte de puissance féminine à la séduction un peu effrayante (toujours dans le Buffyverse, c'est cette fois à Drusilla que je songe) - le film sur la vente d'une abbaye, où la vendeuse vante tour à tour la simplicité et la possibilité d'installer des jacuzzis, le caractère intemporel et éternel de l'endroit et les futurs aménagements tous azimuts, avant de se faire interrompre par des hurlements qu'elle commence par nier entendre (des animaux peut-être ? ou du bois qui craque ?) avant de s'excuser (c'est en cours d'investigation ; c'est indubitablement un mauvais point ; mais il n'est pas nécessaire de paniquer) puis d'expliquer, fascinée, qu'un moine de l'abbaye avait sculptée une statue de Marie-Madeleine, mais si pleine de sensualité qu'il l'avait finalement possédée, ce qu'apprenant ses frères avait brulée la statue, qui avait alors poussé ces hurlements qu'on entend encore. Dans les restes calcinés manquait un pied, qui doit encore être quelque-part ... On le reverra en effet dans un autre des films.
Comme on voit, ce spectacle regorge d'aspects fétichistes : des japonaises, des nonnes, des pieds, des maquillages outranciers, du sang, etc, j'ai du en louper quelques-uns. Cela donne pas mal de matière aux films. Mais au-delà ? Que nous dit Wayn Traub ? Tout en surfant sur des thèmes à la mode comme les méfaits de l'obsession consumériste ou du vide spirituel de nos sociétés individualistes et matérielles, il parle d'une catastrophe à venir, de la peur, d'une prochaine apparition ... Une sorte de cross-over entre Buffy et MilleniuM. Le second degré de ses interventions fait que cela passe relativement bien, et est même fort plaisant par passages. La dernière séquence filmée montre deux conservateurs de musée se disputant au sujet d'une oeuvre, l'un en vantant la spectaculaire intelligence, l'autre en dénonçant la boursoufflure du vide. Ce qui est un bon résumé de ce troisième épisode (je n'ai pas vu les deux premiers) de la trilogie "Wayn Wash".
Quelques départs en cours de route, mais surtout, très peu d'applaudissements. Cela dit, Wayn Traub ne vient même pas saluer. Les lumières se rallument comme dans une salle de cinéma.
Ailleurs : L'Octuple Sentier (qui renvoie sur d'autres critiques presse et blogues)
Toux et fatigue s'estompant enfin, la reprise des activités est donc envisageable (je vais approcher la demi-dizaine de spectacles non vus cette année, un record !). Cette fin de saison s'annonce particulièrement dansante !